La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/10/2022 | FRANCE | N°22DA00566

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 13 octobre 2022, 22DA00566


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part d'annuler l'arrêté du 12 mars 2021 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire, à titre subsidi

aire, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer une autorisation...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part d'annuler l'arrêté du 12 mars 2021 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

Par un jugement n° 2105214 du 1er décembre 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 8 mars 2022 et 24 mars 2022, Mme E..., représentée par Me Rivière, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2105214 du tribunal administratif de Lille ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 12 mars 2021 lui refusant le droit au séjour, l'obligeant à quitter le territoire dans le délai de trente jours, fixant le pays de destination de la mesure de reconduire à la frontière et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans le délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

S'agissant de l'arrêté pris dans son ensemble :

- il est entachée d'incompétence ;

- il est entaché d'une insuffisance de motivation ;

- il est entaché d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;

S'agissant de la décision portant refus de séjour :

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

S'agissant de la décision fixant le pays de destination :

- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an :

- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 juillet 2022, le préfet du Nord conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de la requête de Mme E... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 30 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 2 septembre 2022.

Vu la décision du bureau d'aide juridictionnelle du 3 février 2022 accordant à Mme E... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Sauveplane, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... E..., ressortissante camerounaise née en 2002, est entrée en France le 14 avril 2018 selon ses déclarations. Le 21 octobre 2019, le procureur de la République a ordonné son placement provisoire, en urgence, auprès de l'aide sociale à l'enfance de Lille. Par une ordonnance du 19 novembre 2019, le juge des enfants auprès du tribunal de grande instance de Lille a, dans l'attente d'une audience, ordonné son placement provisoire auprès du service de l'aide sociale à l'enfance de l'Essonne pour une durée de cinq mois à compter du 19 novembre 2019. Mme E... a sollicité, le 8 juin 2020, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 12 mars 2021, le préfet du Nord a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme E... relève appel du jugement du 1er décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé. ".

3. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

4. Il n'est pas contesté que Mme E... était âgée de dix-sept ans lors de son entrée en France, en avril 2018, qu'elle a été prise en charge, le 19 novembre 2019, par le service d'aide sociale à l'enfance du département du Nord et qu'elle a suivi une formation en vue d'obtenir un certificat d'aptitude professionnelle " métier du pressing ". Il ressort des pièces du dossier, et notamment des bulletins scolaires produits pour l'année 2018/2019, que Mme E..., qui a obtenu une moyenne annuelle de 11,97 ainsi que des appréciations indiquant, au premier trimestre, " élève sérieuse et motivée ", a toutefois cumulé, 111 demi-journées d'absence non-justifiées. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le comportement de Mme E... a connu un changement sensible à partir du moment où elle a quitté le domicile de sa parente qui l'hébergeait jusqu'alors, et a rejoint un foyer d'accueil. L'intéressée a alors fait montre d'un comportement plus responsable et d'une implication notablement plus grande dans sa scolarité, ce dont témoignent les résultats qu'elle a pu obtenir et les appréciations portées par ses enseignants et son éducatrice spécialisée attachée au département du nord. En effet, Mme E... s'est inscrite, à partir de septembre 2019, au sein de la section " mission de lutte contre le décrochage scolaire " au lycée professionnel Dinah Derycke et a suivi un stage d'immersion les 16 et 17 décembre 2019 qui a donné lieu à une appréciation globale très positive de la part de son tuteur. Il ressort également des pièces du dossier que l'intéressée, qui a ensuite souhaité se réorienter dans une nouvelle formation en vue d'obtenir un certificat d'aptitude professionnelle " Assistant technique en milieu familial et collectif " et l'a obtenu avec une moyenne de 14.75. L'intéressée a, par la suite, souhaité poursuivre sa scolarité et s'est inscrite, en septembre 2021, en 1ère baccalauréat professionnel Métiers de l'Accueil. Enfin, il ressort des pièces du dossier que Mme E..., qui résidait en France depuis trois ans à la date de l'arrêté en litige, n'a pas conservé d'attache familiale dans son pays d'origine, sa mère ayant refusé à plusieurs reprises de la prendre en charge. Dans les circonstances particulières de l'espèce, en refusant de délivrer à Mme E... un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet a porté une appréciation manifestement erronée sur la situation de l'intéressée et comme ayant, en conséquence, entaché d'illégalité l'arrêté contesté.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 mars 2021.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Le présent arrêt implique nécessairement, compte tenu du motif d'annulation de cet arrêté, qu'un titre de séjour soit délivré à Mme E.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Nord de délivrer à celle-ci un titre de séjour, dans le délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais de l'instance :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement à Me Rivière de la somme de 1500 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que le conseil renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 1er décembre 2021 du tribunal administratif de Lille et l'arrêté du 12 mars 2021 du préfet du Nord sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Nord de délivrer à Mme E... un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Rivière, conseil de M. E..., une somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet du Nord et à Me Rivière.

Délibéré après l'audience publique du 29 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. C... B..., premier-conseiller,

- M. G... A..., premier-conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2022.

Le président- rapporteur,

Signé : M. F... Le conseiller le plus ancien,

Signé : B. B...

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°22DA00566 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00566
Date de la décision : 13/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Sauveplane
Rapporteur ?: M. Mathieu Sauveplane
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : RIVIERE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-10-13;22da00566 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award