Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 12 949,03 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des carences fautives de l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS), devenue Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), dans l'exercice de sa mission de contrôle et de police sanitaire des activités de la société Poly Implant Prothèse (PIP) et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1800878 du 11 juin 2020, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 août 2020, Mme A..., représentée par Mes Jacques Gobert et François Morabito, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 12 949,03 euros en réparation de ses préjudices résultant des carences fautives de l'AFSSAPS dans l'exercice de sa mission de contrôle et de police sanitaire des activités de la société PIP ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité de l'Etat est engagée en raison de la carence fautive de l'AFSSAPS, devenue l'ANSM, dans l'exercice de sa mission de surveillance et de contrôle des prothèses fabriquées par la société Poly Implant Prothèse (PIP) ;
- l'AFSSAPS, qui disposait depuis l'année 2001 d'informations concordantes de nature à établir les manœuvres frauduleuses de la société PIP ainsi que la dangerosité de ses prothèses mammaires, est restée passive jusqu'à la fin 2009 ;
- l'inaction de l'AFSSAPS constitue également une violation du principe de précaution garanti notamment par l'article 5 de la charte de l'environnement et engage ainsi la responsabilité de l'Etat ;
- la fraude de la société PIP, qui était grossière et facilement décelable, n'est pas de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité ;
- la mission de l'organisme certificateur allemand (TÜV), chargé de contrôler la conception du produit de santé en application de la règlementation européenne ne constitue pas non plus une cause exonératoire dès lors que ce contrôle ne porte pas sur le produit lui-même ;
- les dommages intérêts qui lui ont été octroyés par le juge répressif au titre de son préjudice moral et d'anxiété résultent de la faute pénale commise par les dirigeants de la société PIP et sont ainsi distincts des préjudices résultant de la carence fautive de l'ANSM ;
- son déficit fonctionnel temporaire doit être réparé à hauteur de la somme de 230 euros ;
- les souffrances endurées justifient le versement d'une somme de 3 500 euros ;
- son préjudice esthétique temporaire doit être réparé à hauteur de 1 500 euros ;
- elle a subi un préjudice moral qui justifie le versement d'une somme de 3 000 euros ;
- ses dépenses de santé doivent être indemnisées à hauteur de 4 719,03 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête de Mme A....
Il soutient que :
- aucune faute ne peut être reprochée à l'encontre de l'ANSM dès lors que la société PIP a commis une fraude caractérisée et sanctionnée par le juge pénal ;
- le Conseil d'Etat a jugé que l'ANSM n'avait pas commis de faute dans l'exercice de ses missions de police sanitaire ;
- les préjudices dont se prévaut Mme A... sont en lien avec la seule fraude de la société PIP.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine Maritime qui n'a pas produit d'observations.
Par une ordonnance en date du 15 juin 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 19 juillet 2021, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte de l'environnement ;
- la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... D..., première con,seillère,
- et les conclusions de M. Guillaume Toutias, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... A... E..., née le 6 mai 1978, a été opérée le 10 juillet 2006 pour une implantation de deux prothèses mammaires de la marque Poly Implant Prothèse (PIP). A la suite d'une inspection dans les locaux de la société, qui a montré que celle-ci commercialisait des implants mammaires remplis d'un gel de silicone différent de celui indiqué dans le dossier de conception ayant fait l'objet d'une évaluation, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a décidé le 29 mars 2010, sur le fondement de l'article L. 5312-1 du code de la santé publique, de suspendre la mise sur le marché, la distribution, l'exportation et l'utilisation des implants mammaires pré-remplis de gel de silicone fabriqués par cette société, jusqu'à leur mise en conformité avec les exigences essentielles mentionnées à l'article R. 5211-17 du même code, et lui a ordonné de procéder au retrait des implants mammaires pré-remplis de gel de silicone, en tout lieu où ils se trouvent. Mme A... a subi une explantation de ses prothèses le 29 avril 2011. Par un jugement du 10 décembre 2013, confirmé par un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 2 mai 2016, le tribunal correctionnel de Marseille a condamné les responsables de la société PIP à verser à Mme A... la somme de 6 000 euros au titre de la réparation de ses préjudices. Cette dernière a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rouen qui a fait droit à sa demande d'expertise par une ordonnance du 6 avril 2017. L'expert a déposé son rapport le 28 décembre 2017. Par un courrier du 10 janvier 2018, Mme A... a demandé à la ministre des solidarités et de la santé l'indemnisation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de carences fautives de l'AFSSAPS dans l'exercice de sa mission de contrôle et de police sanitaire des activités de la société PIP. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Mme A... relève appel du jugement du 11 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 12 949,03 euros pour carence fautive de l'AFSSAPS devenue Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le cadre juridique du litige :
2. Les prothèses mammaires sont des dispositifs médicaux, entrant dans le champ d'application de la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux, alors en vigueur. En vertu de l'article 3 de cette directive, les dispositifs médicaux doivent satisfaire aux exigences essentielles figurant à son annexe I. Son article 11 réglemente la procédure d'évaluation de leur conformité à ces exigences. À cette fin, ainsi que l'énonce le quinzième considérant de celle-ci, ils sont groupés en quatre classes de produits, selon la vulnérabilité du corps humain et les risques potentiels découlant de leur conception et de leur fabrication. Les implants mammaires ont, à ce titre, été reclassés à compter du 1er septembre 2003 par la directive 2003/12/CE de la Commission, du 3 février 2003, concernant la reclassification des implants mammaires dans le cadre de la directive 93/42, comme dispositifs médicaux de classe III, correspondant aux dispositifs les plus sensibles, les implants mis sur le marché avant cette date devant faire l'objet d'une procédure de réévaluation de la conformité au titre de la classe III avant le 1er mars 2004. En vertu de l'article 11 de la directive, le fabricant d'un dispositif de classe III a le choix entre plusieurs procédures d'évaluation de la conformité, parmi lesquelles " la procédure relative à la déclaration CE de conformité (système complet d'assurance de qualité) visée à l'annexe II ". Selon cette procédure, le fabricant doit s'adresser à un " organisme notifié " qui doit, d'une part, évaluer son système de qualité pour déterminer s'il répond aux exigences de la directive, la procédure d'évaluation comprenant une évaluation de la documentation relative à la conception du ou des produits concernés et une visite dans les locaux du fabricant, et, d'autre part, procéder à un examen du dossier de conception relatif au produit. L'organisme notifié procède périodiquement aux inspections et aux évaluations appropriées afin de s'assurer que le fabricant applique le système de qualité approuvé. Le fabricant peut s'adresser à l'organisme de son choix, dès lors qu'il a été, conformément à l'article 16 de la directive, désigné pour effectuer les tâches correspondantes par un Etat membre et notifié à la Commission et aux autres Etats membres. L'article 4, paragraphe 1, de la directive interdit aux Etats membres de faire obstacle, sur leur territoire, à la mise sur le marché et à la mise en service de dispositifs médicaux portant le marquage CE, prévu à l'article 17 de cette directive, indiquant qu'ils ont été soumis à une évaluation de leur conformité conformément à son article 11.
3. La directive du 14 juin 1993 prévoit également à son article 10 que : " 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les données portées à leur connaissance, conformément aux dispositions de la présente directive, concernant les incidents mentionnés ci-après et liés à un dispositif (...) soient recensées et évaluées d'une manière centralisée : / a) tout dysfonctionnement ou toute altération des caractéristiques et/ou des performances d'un dispositif (...) susceptibles d'entraîner ou d'avoir entraîné la mort ou une dégradation grave de l'état de santé d'un patient ou d'un utilisateur ; / b) toute raison d'ordre technique ou médical liée aux caractéristiques ou aux performances d'un dispositif pour les raisons visées au point a) et ayant entraîné le rappel systématique du marché par le fabricant des dispositifs appartenant au même type. / (...) / 3. Après avoir procédé à une évaluation, si possible conjointement avec le fabricant, les États membres (...) informent immédiatement la Commission et les autres États membres des incidents visés au paragraphe 1 pour lesquels des mesures ont été prises ou sont envisagées ". L'article 8 de la directive prévoit une " clause de sauvegarde ", en vertu de laquelle : " 1. Lorsqu'un État membre constate que des dispositifs (...) correctement installés, entretenus et utilisés conformément à leur destination risquent de compromettre la santé et/ou la sécurité des patients, des utilisateurs ou, le cas échéant, d'autres personnes, il prend toutes mesures utiles provisoires pour retirer ces dispositifs du marché, interdire ou restreindre leur mise sur le marché ou leur mise en service. L'État membre notifie immédiatement ces mesures à la Commission, indique les raisons de sa décision et, en particulier, si la non-conformité avec la présente directive résulte : / a) du non-respect des exigences essentielles visées à l'article 3 (...) / 3. Lorsqu'un dispositif non conforme est muni du marquage CE, l'État membre compétent prend, à l'encontre de celui qui a apposé le marquage, les mesures appropriées et en informe la Commission et les autres États membres. (...) ". En outre, l'article 14 ter de la directive dispose que : " Lorsqu'un État membre estime, en ce qui concerne un produit ou groupe de produits donné, qu'il y a lieu, pour protéger la santé et la sécurité, et/ou assurer le respect des impératifs de santé publique conformément à l'article 36 du traité, d'interdire ou de restreindre leur mise à disposition ou de l'assortir de conditions particulières, il peut prendre toutes les mesures transitoires nécessaires et justifiées. Il en informe alors la Commission et les autres États membres, en indiquant les raisons de sa décision. La Commission consulte les parties intéressées et les États membres dans tous les cas où cela est possible et adopte, si les mesures nationales sont justifiées, les mesures communautaires nécessaires (...) ". Enfin, aux termes de l'article 18 de la directive : " Sans préjudice de l'article 8 : / a) tout constat par un État membre de l'apposition indue du marquage CE entraîne pour le fabricant ou son mandataire établi dans la Communauté l'obligation de faire cesser l'infraction dans les conditions fixées par l'État membre ; / b) en cas de persistance de l'infraction, l'État membre prend toutes mesures utiles pour restreindre ou interdire la mise sur le marché du produit en question et pour veiller à ce qu'il soit retiré du marché, conformément à la procédure prévue à l'article 8 ".
4. Pour la transposition de ces dispositions, l'article L. 5212-2 du code de la santé publique prévoit des obligations de matériovigilance : " Le fabricant, les utilisateurs d'un dispositif et les tiers ayant connaissance d'un incident ou d'un risque d'incident mettant en cause un dispositif ayant entraîné ou susceptible d'entraîner la mort ou la dégradation grave de l'état de santé d'un patient, d'un utilisateur ou d'un tiers doivent le signaler sans délai à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. / Le fabricant d'un dispositif ou son mandataire est tenu d'informer l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé de tout rappel de ce dispositif du marché, motivé par une raison technique ou médicale ". Les articles R. 5212-14, R. 5212-15 et R. 5212-20 du même code prévoient que ces incidents sont obligatoirement signalés, que d'autres incidents peuvent l'être à titre facultatif et qu'en cas de fait mentionné à l'article L. 5212-2, il est procédé à une évaluation, si possible conjointement avec le fabricant du dispositif, et sont prises, au besoin, les mesures prévues aux articles L. 5312-1 à L. 5312-3. En vertu de l'article L. 5311-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, l'AFSSAPS assure la mise en œuvre des systèmes de vigilance applicables, notamment, aux dispositifs médicaux et prend ou demande aux autorités compétentes de prendre les mesures de police sanitaire nécessaires lorsque la santé de la population est menacée. Aux termes de l'article L. 5311-2 de ce code, dans sa rédaction alors applicable : " En vue de l'accomplissement de ses missions, l'agence : / 1° Procède ou fait procéder à toute expertise et à tout contrôle technique relatifs aux produits et objets mentionnés à l'article L. 5311-1, aux substances entrant dans leur composition ainsi qu'aux méthodes et moyens de fabrication, de conditionnement, de conservation de transport et de contrôle qui leur sont appliqués (...) ; / 2° Recueille les données scientifiques et techniques nécessaires à l'exercice de ses missions ; (...) recueille et évalue les informations sur les effets inattendus, indésirables ou néfastes des produits mentionnés à l'article L. 5311-1 (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 5312-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé peut suspendre les essais, la fabrication, la préparation, l'importation, l'exploitation, l'exportation, la distribution en gros, le conditionnement, la conservation, la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux, la détention en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, la publicité, la mise en service, l'utilisation, la prescription, la délivrance ou l'administration d'un produit ou groupe de produits mentionné à l'article L. 5311-1, non soumis à une autorisation ou un enregistrement préalable à sa mise sur le marché, sa mise en service ou son utilisation, lorsque ce produit ou groupe de produits, soit présente ou est soupçonné de présenter, dans les conditions normales d'emploi ou dans des conditions raisonnablement prévisibles, un danger pour la santé humaine, soit est mis sur le marché, mis en service ou utilisé en infraction aux dispositions législatives ou réglementaires qui lui sont applicables. (...) ".
En ce qui concerne la carence fautive de l'AFSSAPS dans l'exercice de sa mission de contrôle et de police sanitaire des implants mammaires :
5. D'une part, eu égard tant à la nature des pouvoirs conférés par les dispositions précitées à l'AFSSAPS, agissant au nom de l'Etat, en matière de police sanitaire relative aux dispositifs médicaux, qu'aux buts en vue desquels ces pouvoirs lui ont été attribués, la responsabilité de l'Etat peut être engagée par toute faute commise dans l'exercice de ces attributions, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain.
6. D'autre part, il résulte des dispositions précitées, applicables aux prothèses en litige à compter du 14 juin 1998, que l'évaluation de la conformité d'un dispositif médical avec les exigences essentielles concernant la sécurité et la santé des patients, des utilisateurs et des tiers, déterminées par la directive du 14 juin 1993, relève, s'agissant de dispositifs tels que les implants mammaires, de la compétence de l'organisme désigné à cet effet par l'autorité compétente d'un Etat membre de l'Union européenne et choisi par le fabricant du dispositif. En revanche, il appartient aux autorités compétentes de chaque Etat membre, d'une part, de mettre en œuvre un dispositif de matériovigilance permettant de recenser et d'évaluer, de façon centralisée, les dysfonctionnements et altérations des caractéristiques ou des performances d'un dispositif susceptibles d'entraîner la mort ou une dégradation grave de l'état de santé d'un patient ou d'un utilisateur et les rappels de dispositifs par un fabricant pour ces raisons et, d'autre part, de prendre, au vu des informations ainsi recueillies ou dont elles auraient connaissance par d'autres moyens, toute mesure provisoire nécessaire à la protection de la santé ou de la sécurité des patients ou d'autres personnes.
7. Mme A... fait valoir que l'AFSSAPS, qui disposait depuis l'année 2001 d'informations concordantes de nature à établir les manœuvres frauduleuses de la société PIP ainsi que la dangerosité de ses prothèses mammaires résultant de l'utilisation du gel de silicone " Silopren ", en lieu et place du gel " NuSil ", seul produit déclaré par le fabricant et ayant obtenu la certification de l'organisme notifié dans le cadre de la procédure de marquage CE prévue par la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993, n'a pas fait usage, avant fin 2009, de ses pouvoirs de contrôle et de police sanitaire qu'elle tire des dispositions précitées du code de la santé publique et qu'une telle carence constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Elle soutient également que l'Etat ne peut s'exonérer de sa responsabilité en se prévalant, d'une part, de la fraude de la société PIP alors que celle-ci était grossière et facilement décelable, et, d'autre part, de la circonstance que l'organisme certificateur allemand TÜV avait régulièrement contrôlé cette société et n'avait détecté aucune fraude dès lors que sa mission de contrôle ne concernait pas les implants mammaires eux-mêmes.
8. Toutefois, il résulte de l'instruction que différentes investigations ont été menées et des décisions de police sanitaire prises à l'égard de la société PIP par l'AFSSAPS au moment de la levée, en décembre 2000, de la suspension générale de la mise sur le marché des prothèses remplies de produits autres que du sérum physiologique, et qu'à la suite de ces contrôles, des analyses ont été faites sur les prothèses commercialisées par la société, qui ont montré en 2002 et 2003 des résultats similaires à ceux des prothèses des autres fabricants. En outre, la société PIP, qui a bénéficié en octobre 1997 de la certification de son système d'assurance qualité pour les implants mammaires stériles par l'organisme désigné à cette fin, la société de droit allemand TÜV Rheinland, a par la suite été régulièrement contrôlée par cet organisme, qui a renouvelé ses certifications et n'a transmis aucun élément de suspicion. Dès lors, l'attention de l'AFSSAPS n'a pu être appelée par un refus de renouvellement de la certification de conformité ou par une alerte en provenance de l'organisme chargé d'établir cette certification. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les données issues de la matériovigilance n'ont révélé précisément aucune anomalie dans le niveau et l'évolution du nombre de ruptures, demeurés stables et cohérents avec le risque statistique inhérent au dispositif médical en cause jusqu'en 2007, seules les données de l'année 2008, pouvant être analysées en 2009, ayant fait apparaître un taux d'incidents plus élevé. C'est ainsi que jusqu'en 2007, le suivi des déclarations de matériovigilance effectuées par les chirurgiens concernant les prothèses fabriquées par la société PIP a fait apparaître une relative stabilité de leur nombre, compris entre six et douze selon les années, alors que trente-quatre déclarations ont été enregistrées en 2008, dont vingt-et-un cas de ruptures d'enveloppe. Le bilan des incidents reçus sur les prothèses mammaires, toutes marques confondues et quel que soit le liquide de remplissage, présenté au conseil scientifique de l'AFSSAPS en avril 2009, a conclu à la stabilité des incidents rencontrés sur les prothèses mammaires pré-remplies de silicone au regard de la progression des ventes de ces produits. Si la synthèse des données de vigilance faite par l'agence en août 2009, portant sur les prothèses mammaires en silicone, a mis en évidence l'augmentation du nombre de déclarations, le taux constaté par rapport au nombre total de prothèses vendues par le fabricant au cours des années écoulées restait toutefois comparable à celui des autres fabricants. Ce n'est que le 26 octobre 2009 qu'un chirurgien plasticien a fait part à l'AFSSAPS de treize destructions d'implants du fabricant PIP, tandis que le 26 novembre 2009, l'agence a reçu un courrier de dénonciation assorti de photographies de bidons de matière première différente du gel Nusil déclaré par la société PIP comme liquide de remplissage des prothèses. La société PIP a alors été convoquée par l'agence à une réunion le 18 décembre 2009, au cours de laquelle il lui a été demandé de fournir de très nombreux éléments, suivie de nouvelles demandes d'informations les 31 décembre 2009 et 19 janvier 2010, en raison de l'insuffisance des éléments de réponse apportés. L'analyse, au mois de février 2010, des données fournies par la société a motivé une inspection de la part de l'agence, qui s'est déroulée du 16 au 18 mars 2010 et qui a révélé que le gel de remplissage des implants mammaires qu'elle fabriquait n'était pas le gel Nusil déclaré dans le dossier de marquage CE et dans les dossiers de lots de production. Ces dernières constatations ont conduit le directeur général de l'agence à suspendre le 29 mars 2010 la mise sur le marché, la distribution, l'exportation et l'utilisation des implants pré-remplis de gel de silicone fabriqués par la société PIP et à ordonner à celle-ci de procéder à leur retrait. Il résulte ainsi de l'instruction que la société PIP a échafaudé un système organisé de fraude destiné à tromper les autorités de contrôle, dissimulant la substitution du gel de remplissage soumis au contrôle de l'organisme désigné par un autre gel, responsable de la détérioration et de la rupture de l'enveloppe de nombreuses prothèses.
9. Dans ces conditions, et alors que les ruptures de prothèses mammaires sont des événements attendus qui n'appellent pas une évaluation individuelle mais une surveillance de leur fréquence de survenue, l'AFSSAPS ne peut être regardée comme ayant disposée en 2006, lorsque Mme A... a été opérée pour se voir implanter des prothèses mammaires de la marque PIP, et jusqu'en décembre 2009, d'informations de nature à éveiller le soupçon d'un danger ou d'une absence de conformité des implants commercialisés par la société PIP aux spécifications techniques au regard desquelles leur certification avait été obtenue. Il résulte en outre de l'ensemble des éléments exposés ci-dessus que le délai séparant le moment où l'agence a eu connaissance d'une forte augmentation du nombre de signalements de matériovigilance concernant les implants fabriqués par la société PIP, soit en octobre et novembre 2009, et celui où elle a sollicité de la société les éléments nécessaires pour procéder à une évaluation, soit le 18 décembre 2009, ne peut être regardé comme caractérisant un manque de diligence. Ainsi, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, il ne peut être reproché à l'AFSSAPS une absence de mise en œuvre de mesures d'investigation et de contrôle complémentaires entre avril 2009 et le 18 décembre de la même année. Il suit de là que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'AFSSAPS a commis une faute dans l'exercice de sa mission de contrôle et de police sanitaire des implants mammaires.
En ce qui concerne la méconnaissance du principe de précaution par l'AFSSAPS :
10. Mme A... fait valoir que l'inaction de l'AFSSAPS constitue une méconnaissance du principe de précaution dégagé par l'article 5 de la charte de l'environnement qui prévoit que " lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ". Cependant, en l'absence de dommage susceptible d'affecter l'environnement au sens de l'article 5 de la charte de l'environnement, à laquelle le préambule de la Constitution fait référence, le moyen tiré de la méconnaissance de ses dispositions est inopérant et doit, par suite, être écarté.
11. Par ailleurs, si l'appelante se prévaut du principe de précaution en matière de santé publique en faisant valoir que l'AFSSAPS aurait dû se saisir des données de matériovigilance dont elle était destinatrice et envisager toutes les actions possibles afin de clarifier et encadrer la problématique tenant aux prothèses de marque PIP pré-remplies de silicone, ce moyen doit également être écarté dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que les risques connus n'étaient pas de nature à justifier de prendre des mesures spécifiques.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à Mme A... la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., au ministre de la santé et de la prévention.
Copie sera adressée à la caisse primaire d'assurance de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 27 septembre 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Seulin, présidente chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2022.
La rapporteure,
Signé : S. D...La présidente de chambre,
Signé : A. Seulin
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
Anne-Sophie Villette
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N°20DA01219