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30/08/2022 | FRANCE | N°21DA01316

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 30 août 2022, 21DA01316


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 5 août 2019 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse prononçant à son encontre la sanction de la révocation, d'enjoindre à l'administration de le réintégrer sur son poste à titre rétroactif avec toute conséquence de droit, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L

. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1908605 du 16 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 5 août 2019 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse prononçant à son encontre la sanction de la révocation, d'enjoindre à l'administration de le réintégrer sur son poste à titre rétroactif avec toute conséquence de droit, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1908605 du 16 avril 2021 le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 juin 2021, M. C... A..., représenté par la SCP Gros, Hicter et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 5 août 2019 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse prononçant à son encontre la sanction de la révocation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement n'est pas motivé ;

- le tribunal a écarté à tort le moyen tiré de ce qu'aucune enquête administrative n'avait été diligentée, ce qui porte atteinte au droit au procès équitable et au respect des droits de la défense ;

- l'avis du conseil de discipline ne lui a pas été transmis, ce qui l'a empêché d'en connaître les motifs et l'a privé d'une garantie car l'obligation de motivation implique l'obligation de communication ;

- le tribunal a commis une erreur appréciation en écartant ses dénégations quant à l'exactitude matérielle des faits reprochés et en tenant pour acquis l'épisode de l'agression sexuelle sur Mme B....

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 avril 2022, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 11 avril 2022, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 26 avril 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 ;

- le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ;

- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;

- le décret n° 2011-1317 du 17 octobre 2011 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,

- et les observations de Me Robillard, représentant M. C... A....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A..., attaché principal d'administration de l'Etat, était affecté en qualité de directeur d'unité de gestion au centre régional des œuvres universitaires et scolaires de Lille. Informé de ce qu'une étudiante recrutée en qualité d'agent contractuel au centre régional des œuvres universitaires et scolaires de Lille affirmait avoir été victime d'attouchements de sa part, le recteur de l'académie de Lille l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire par un arrêté du 11 janvier 2012 et l'a informé de l'engagement d'une procédure disciplinaire à son encontre. M. A... a demandé, par lettre du 16 mai 2012, à être réintégré dans ses fonctions à compter du 11 mai 2012. Ce courrier est resté sans réponse. Par une ordonnance du 27 septembre 2012, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a suspendu l'exécution de cette décision implicite de rejet. En exécution de cette ordonnance, le recteur de l'académie de Lille a, le 4 octobre 2012, mis fin à la suspension de M. A... de ses fonctions et l'a informé de la poursuite de la procédure disciplinaire engagée à son encontre. Par un jugement du 7 octobre 2014, le tribunal administratif de Lille a annulé, pour défaut de motivation, la décision implicite par laquelle le recteur de l'académie de Lille avait refusé de réintégrer M. A... et lui a enjoint de le réintégrer du 11 mai 2012 à la date d'effet de l'arrêté rectoral du 4 octobre 2012 mettant fin à la mesure de suspension du 11 janvier 2012. En exécution de cette injonction, le recteur de l'académie de Lille a pris un arrêté le 24 octobre 2014. Par un courrier du 10 avril 2013, le procureur adjoint près le tribunal de grande instance de Lille a informé le recteur de l'académie de Lille de la convocation de M. A... devant la sixième chambre du tribunal correctionnel de Lille le 22 mai 2013. Par un arrêté du 15 avril 2013, le recteur de l'académie de Lille a, en conséquence, suspendu M. A... de ses fonctions à titre conservatoire. Par un jugement du 4 février 2014, le tribunal correctionnel de Lille a retenu la culpabilité de M. A... pour les faits d'agression sexuelle et l'a condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis. Par un arrêt du 22 octobre 2014, la cour d'appel de Douai a confirmé ce jugement et a en outre ordonné son inscription au fichier judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes. Par une décision du 13 janvier 2016, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par M. A... contre cet arrêt. La commission administrative paritaire académique, siégeant en formation disciplinaire lors de sa séance du 23 avril 2019 s'est prononcée, à l'unanimité des membres présents, en faveur de la sanction disciplinaire de la révocation. Par arrêté du 5 août 2019, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a prononcé la révocation de M. A.... Par un jugement du 16 avril 2021 le tribunal administratif de Lille a rejeté notamment les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 5 août 2019. M. A... relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". En outre, en vertu de l'article R. 741-2 du même code, les jugements contiennent l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont ils font application.

3. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que les premiers juges ont répondu, par une motivation qui rappelle tant les textes applicables que les faits de l'espèce, à l'ensemble des conclusions et des moyens opérants qui ont été soulevés en première instance. Ils n'étaient pas tenus de faire référence à l'ensemble des arguments que M. A... avait développés devant eux et, notamment, au fait qu'il envisageait de former un recours en révision, ni d'apporter une réponse expresse à cet argument. Ils ont suffisamment motivé leur jugement au regard des exigences posées par les dispositions rappelées au point précédent. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué est insuffisamment motivé ne saurait être accueilli.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Aux termes de l'article 2 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat : " L'organisme siégeant en Conseil de discipline lorsque sa consultation est nécessaire, en application du second alinéa de l'article 19 de la loi susvisée du 13 juillet 1983, est saisi par un rapport émanant de l'autorité ayant pouvoir disciplinaire ou d'un chef de service déconcentré ayant reçu délégation de compétence à cet effet. Ce rapport doit indiquer clairement les faits reprochés au fonctionnaire et préciser les circonstances dans lesquelles ils se sont produits ". Aux termes de l'article 7 du même décret : " S'il ne se juge pas suffisamment éclairé sur les circonstances dans lesquelles ces faits se sont produits, le conseil de discipline peut, à la majorité des membres présents, ordonner une enquête ". Aux termes de l'article 8 du même décret : " (...) Le conseil de discipline, au vu des observations écrites produites devant lui et compte tenu, le cas échéant, des déclarations orales de l'intéressé et des témoins ainsi que des résultats de l'enquête à laquelle il a pu être procédé, émet un avis motivé sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée. / (...) La proposition ayant recueilli l'accord de la majorité des membres présents doit être motivée et être transmise par le président du conseil de discipline à l'autorité ayant pouvoir disciplinaire (...) ".

5. En premier lieu, aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe général du droit, n'oblige l'administration à procéder à une enquête administrative lorsqu'elle entend sanctionner l'un de ses agents. Au surplus, en l'espèce, compte-tenu de la procédure pénale mentionnée au point 1, tant l'autorité disciplinaire que le conseil de discipline disposaient de tous les éléments pour statuer en toute connaissance de cause, sans qu'une enquête administrative ne soit nécessaire.

6. En deuxième lieu, l'exigence de motivation de l'avis de la commission administrative paritaire compétente siégeant en conseil de discipline constitue une garantie. Cette motivation peut être attestée par la production, sinon de l'avis motivé lui-même, du moins du procès-verbal de la réunion de la commission administrative paritaire comportant des mentions suffisantes.

7. En l'espèce, le procès-verbal de la commission administrative paritaire académique du 23 avril 2019 comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui ont conduit cette commission à proposer la sanction de la révocation. Aussi le moyen tiré de ce que cet avis n'est pas motivé doit être écarté.

8. En troisième lieu, par courrier du 18 septembre 2018 reçu le 3 octobre suivant, M. A... s'est vu notifier la décision de la rectrice de saisir le conseil de discipline, accompagnée du rapport par lequel elle saisissait ce conseil de discipline. En revanche, ni les dispositions de l'article 8 du décret du 25 octobre 1984, ni aucune autre disposition ou principe applicable à la fonction publique d'Etat ne contraignaient l'administration à lui communiquer l'avis rendu par le conseil de discipline. Le moyen tiré de ce que M. A... a été empêché de connaître les motifs de l'avis du conseil de discipline et a ainsi été privé d'une garantie doit être écarté.

9. En quatrième lieu, l'autorité absolue de la chose jugée par les juridictions répressives s'attache aux constatations de fait qui sont le soutien nécessaire des jugements définitifs. Une décision rendue en dernier ressort présente, à cet égard, un caractère définitif, même si elle peut encore faire l'objet d'un pourvoi en cassation ou est effectivement l'objet d'un tel pourvoi et si, par suite, elle n'est pas irrévocable.

10. M. A... a été condamné le 4 février 2014 par le tribunal correctionnel de Lille à trois mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits d'agression sexuelle commis sur une subordonnée de vingt-trois ans recrutée en qualité d'agent de service pour des résidences universitaires, durant une période allant du mois du 11 juillet à septembre 2011, en profitant de sa position pour se livrer à des " attouchements impudiques ". La cour d'appel de Douai, par un arrêt du 22 octobre 2014, a confirmé ce jugement en relevant que M. A... avait délibérément menti. Elle a également ordonné son inscription au fichier judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes. Les constations de fait ainsi opérées par la cour d'appel de Douai, au soutien nécessaire de sa décision revêtue de l'autorité absolue de chose jugée, s'imposaient tant à l'administration qu'aux premiers juges. Par suite, M. A... ne peut soutenir ni que l'arrêté contesté est entaché d'erreur quant à la matérialité des faits reprochés, ni que le jugement du tribunal administratif est entaché d'erreur de droit quant à la portée de la chosée jugée par le juge pénal.

11. En cinquième lieu , aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes (...) Troisième groupe : - la rétrogradation ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. Quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ; - la révocation ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes. Il lui appartient également de rechercher si la sanction proposée par un conseil de discipline de recours est proportionnée à la gravité des fautes qui lui sont reprochées.

12. Les faits mentionnés au point 10 sont constitutifs d'une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire. Ils constituent un manquement caractérisé d'une particulière gravité, au devoir de correction et aux obligations d'agir avec dignité et aux responsabilités afférentes à sa qualité de supérieur hiérarchique. Ainsi, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a pris à l'encontre de M. A... la sanction de révocation.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 16 avril 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Délibéré après l'audience publique du 7 juillet 2022 à laquelle siégeaient :

-Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 août 2022.

Le président-rapporteur,

Signé : M. D...La présidente de chambre,

Signé : G. BorotLa greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

C. Huls-Carlier

2

N° 21DA01316


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA01316
Date de la décision : 30/08/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : SCP GROS - HICTER - D'HALLUIN ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 11/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-08-30;21da01316 ?
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