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07/07/2022 | FRANCE | N°21DA00310

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 07 juillet 2022, 21DA00310


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 2 mars 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille a procédé à une retenue de trois trentièmes sur son traitement mensuel pour absence de service fait du 26 au 28 janvier 2018 inclus, d'annuler l'arrêté du 29 juin 2018 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, lui a infligé une sanction d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de dix jours avec sursis, d'en

joindre à l'administration pénitentiaire de procéder à la restitution de l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 2 mars 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille a procédé à une retenue de trois trentièmes sur son traitement mensuel pour absence de service fait du 26 au 28 janvier 2018 inclus, d'annuler l'arrêté du 29 juin 2018 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, lui a infligé une sanction d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de dix jours avec sursis, d'enjoindre à l'administration pénitentiaire de procéder à la restitution de la retenue opérée sur son traitement et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral causé par les décisions contestées.

Par un jugement n° 1804359 du 11 décembre 2020 le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 février 2021, M. B..., représenté par Me Robilliart, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 2 mars 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille a procédé à une retenue de trois trentièmes sur son traitement mensuel pour absence de service fait du 26 au 28 janvier 2018 inclus ;

3°) d'annuler l'arrêté du 29 juin 2018 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, lui a infligé une sanction d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de dix jours avec sursis ;

4°) d'enjoindre à l'administration pénitentiaire de procéder à la restitution de la retenue opérée sur son traitement ;

5°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral causé par les décisions contestées ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en l'absence de contre-visite médicale, l'administration ne pouvait légalement procéder à la retenue sur son traitement alors qu'il était en congé de maladie du 23 janvier au 1er février 2018 ;

- il a justifié, dans le délai de quarante-huit heures, d'un motif d'absence lié à son état de santé constaté par un avis d'arrêt de travail ;

- la décision du 4 avril 2018 est entachée de détournement de pouvoir et constitue une sanction déguisée ;

- la sanction est contraire à la décision du Conseil constitutionnel du 10 mai 2019 ayant invalidé l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958 en ce qu'un fonctionnaire de l'Etat peut être sanctionné sans recours à la procédure de droit commun, notamment le principe du contradictoire.

Par un mémoire, enregistré le 25 février 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les conclusions indemnitaires sont irrecevables ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 28 février 2022, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 11 mars 2022 à 12 heures.

Les parties ont été informées, par courrier du 2 juin 2022, que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité pour tardiveté des conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 juin 2018 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, lui a infligé une sanction d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de dix jours avec sursis. Cet arrêté, dont M. B... a pris connaissance le 5 septembre 2018, n'a été contesté que lors de l'enregistrement du mémoire du 17 mai 2019 devant le tribunal soit hors du délai de recours.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 ;

- la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président assesseur,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., brigadier surveillant pénitentiaire affecté au centre pénitentiaire de ..., a communiqué à son employeur un avis d'arrêt de travail du 25 au 28 janvier 2018. Par une décision du 2 mars 2018, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille a procédé à une retenue de trois trentièmes sur son traitement mensuel pour absence de service fait du 26 au 28 janvier 2018 inclus. En outre, par un arrêté du 29 juin 2018, le garde des sceaux, ministre de la justice, lui a infligé une sanction d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de dix jours avec sursis, en raison de sa participation, du 26 au 28 janvier 2018 au mouvement collectif de protestation qui a eu lieu au sein de son établissement d'affectation. Par un jugement du 11 décembre 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision du 2 mars 2018 ainsi que de l'arrêté du 29 juin 2018 et la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation des conséquences dommageables de ces décisions. M. B... relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de retenue sur traitement du 2 mars 2018 :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire (...) ". Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958, alors applicable, relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire : " Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l'administration pénitentiaire est interdit (...) ". Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) ". L'article 25 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, dispose que : " Pour obtenir un congé de maladie ainsi que le renouvellement du congé initialement accordé, le fonctionnaire adresse à l'administration dont il relève, dans un délai de quarante-huit heures suivant son établissement, un avis d'interruption de travail. (...) / L'administration peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption du versement de sa rémunération, à cette contre-visite. / Le comité médical compétent peut être saisi, soit par l'administration, soit par l'intéressé, des conclusions du médecin agréé ". Aux termes de l'article 4 de la loi du 29 juillet 1961 portant loi de finances rectificative pour 1961 : " (...) L'absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d'indivisibilité en vertu de la réglementation prévue à l'alinéa précédent. Il n'y a pas service fait : / 1°) Lorsque l'agent s'abstient d'effectuer tout ou partie de ses heures de services ; / 2°) Lorsque l'agent, bien qu'effectuant ses heures de service, n'exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s'attachent à sa fonction telles qu'elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l'autorité compétente dans le cadre des lois et règlements (...) ".

3. Si en vertu des dispositions précitées l'agent qui adresse à l'administration un avis d'interruption de travail est placé de plein droit en congé de maladie dès la demande qu'il a formulée sur le fondement d'un certificat médical, cela ne fait pas obstacle à ce que l'administration conteste le bien-fondé de ce congé. Dans des circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, lorsqu'en dehors d'une période d'épidémie un nombre important et inhabituel d'arrêts maladie sont adressés à l'administration sur une courte période et que l'administration démontre avoir été dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'article 25 du décret du 14 mars 1986, l'administration peut contester le bien-fondé de ce congé par tous moyens. Il appartient alors à l'agent, seul détenteur des éléments médicaux, d'établir que ce congé était dûment justifié par des raisons médicales.

4. Dès lors, au regard de ces circonstances particulières, l'administration, en l'absence même de contre-visite, peut, en application du principe énoncé au point 3, contester par tout moyen le bien-fondé de l'arrêt maladie de M. B.... Mais en l'espèce, l'arrêt de travail de ce dernier, d'une durée de trois jours était motivé par des " douleurs abdominales invalidantes ". Il ressort des éléments qu'il a produits en première instance et de nouveau en appel, que M. B... souffre d'une pathologie se manifestant par des douleurs abdominales du flanc gauche à irradiation pelvienne, pour laquelle il a suivi un traitement antibiotique en 2017 et pour laquelle il a fait l'objet d'une admission au service des urgences de la clinique Anne d'Artois afin de subir des examens médicaux le 25 janvier 2018. Les douleurs persistant, son médecin traitant lui a prescrit un arrêt de travail du 28 janvier jusqu'au dimanche 28 janvier 2018. Dans les circonstances de l'espèce, M. B... doit être regardé comme établissant que son arrêt de travail était justifié par des raisons médicales. Il suit de là que les retenues sur son traitement mensuel prononcées pour service non fait méconnaissent les dispositions rappelées au point 2.

5. Il résulte de tout ce qui précède, que M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision du 2 mars 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille a procédé à une retenue cumulée sur son traitement mensuel pour absence de service fait pour la période allant du 26 janvier au 28 janvier 2018.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Eu égard au motif exposé au point 4, l'annulation de la décision attaquée implique nécessairement la restitution à M. B... de la retenue opérée en exécution de la décision annulée. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de restituer les sommes retenues du fait de la décision annulée, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 29 juin 2018 portant sanction disciplinaire :

7. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a pris connaissance le 5 septembre 2018 de l'arrêté du 29 juin 2018 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, lui a infligé une sanction d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de dix jours avec sursis. Toutefois, s'il a adressé une copie de cet arrêté en demandant qu'il soit joint à sa requête comme pièce annexe en septembre 2018, il n'a contesté cet arrêté, qui comportait l'indication des voies et délai de recours, que le 17 mai 2019 devant le tribunal. Par suite, compte tenu de la tardiveté de son recours, ses conclusions tendant à l'annulation de cet arrêté sont irrecevables et doivent être rejetées comme telles.

Sur les conclusions à fins indemnitaires :

8. Si M. B... invoque un préjudice moral résultant de la sanction disciplinaire contestée, dont il chiffre la réparation à la somme de 3 000 euros, il ne produit aucun élément au dossier permettant d'établir la réalité d'un tel préjudice. Par suite, ses conclusions à fin d'indemnisation doivent être rejetées.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué jugement du 11 décembre 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision du 2 mars 2018 et ses conclusions à fin d'injonction au ministre de restituer les sommes retenues du fait de la décision annulée.

Sur les frais de l'instance :

10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La décision du 2 mars 2018 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille procédant à une retenue de trois trentièmes sur le traitement mensuel de M. B... pour absence de service fait du 26 au 28 janvier 2018 inclus est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de restituer les trois trentièmes du traitement mensuel du mois de janvier 2018 de M. B... retenus en exécution de la décision annulée dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le jugement du 11 décembre 2020 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. B... au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience publique du 23 juin 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 juillet 2022.

Le président-rapporteur,

Signé : M. C...

La présidente de chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C Huls-Carlier

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

C. Huls-Carlier

2

N° 21DA00310


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA00310
Date de la décision : 07/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : SELARL ROBILLIART

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-07-07;21da00310 ?
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