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28/06/2022 | FRANCE | N°21DA02093

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 28 juin 2022, 21DA02093


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Conception réalisation conseil a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 3 juin 2019 par lequel le préfet de l'Eure l'a mise en demeure, en application de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, de procéder à la remise en état du site qu'elle exploite et de cesser définitivement son activité d'extraction.

Par un jugement n° 1902954 du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

P

ar une requête enregistrée le 21 août 2021 et des mémoires enregistrés les 26 février 2022 et 4...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Conception réalisation conseil a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 3 juin 2019 par lequel le préfet de l'Eure l'a mise en demeure, en application de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, de procéder à la remise en état du site qu'elle exploite et de cesser définitivement son activité d'extraction.

Par un jugement n° 1902954 du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 août 2021 et des mémoires enregistrés les 26 février 2022 et 4 avril 2022, la société Conception réalisation conseil, représentée par Me Daphné O'Neil, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 juin 2019 du préfet de l'Eure ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'elle n'a pas été invitée à régulariser sa situation administrative ;

- il prononce une sanction disproportionnée ;

- il méconnaît la rubrique n° 2510 de la nomenclature des installations classées dès lors que les travaux d'affouillement en cause n'étaient pas soumis à autorisation.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 mars 2022, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens contenus dans la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Eustache, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Cécile Gauthereau, représentant la société Conception réalisation conseil.

Considérant ce qui suit :

1. La société Conception réalisation conseil a procédé à une excavation sur une parcelle cadastrée ZE n°217 lui appartenant dans la commune d'Acquigny. A la suite d'une visite effectuée le 8 novembre 2018 par les services de l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement, le préfet de l'Eure a mis en demeure cette société, par un arrêté du 3 juin 2019, de procéder à la remise en état du site et de cesser définitivement son activité d'extraction de matériaux. La société Conception réalisation conseil a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Rouen qui a rejeté sa demande par un jugement du 17 juin 2021. La société relève appel de ce jugement.

Sur la légalité de l'arrêté du 3 juin 2019 :

2. Aux termes du I de l'article L. 171-7 du code de l'environnement : " Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement, de l'agrément, de l'homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application du présent code, ou sans avoir tenu compte d'une opposition à déclaration, l'autorité administrative compétente met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d'un an. / Elle peut, par le même acte ou par un acte distinct, suspendre le fonctionnement des installations ou ouvrages, l'utilisation des objets et dispositifs ou la poursuite des travaux, opérations, activités ou aménagements jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la déclaration ou sur la demande d'autorisation, d'enregistrement, d'agrément, d'homologation ou de certification, à moins que des motifs d'intérêt général et en particulier la préservation des intérêts protégés par le présent code ne s'y opposent. / L'autorité administrative peut, en toute hypothèse, édicter des mesures conservatoires aux frais de la personne mise en demeure ".

3. Aux termes du II du même article : " S'il n'a pas été déféré à la mise en demeure à l'expiration du délai imparti, ou si la demande d'autorisation, d'enregistrement, d'agrément, d'homologation ou de certification est rejetée, ou s'il est fait opposition à la déclaration, l'autorité administrative ordonne la fermeture ou la suppression des installations ou ouvrages, la cessation de l'utilisation ou la destruction des objets ou dispositifs, la cessation définitive des travaux, opérations, activités ou aménagements et la remise des lieux dans un état ne portant pas préjudice aux intérêts protégés par le présent code. /Elle peut faire application du II de l'article L. 171-8 aux fins d'obtenir l'exécution de cette décision ".

4. Il résulte de ces dispositions que l'autorité administrative ne peut ordonner la cessation définitive des travaux, opérations, activités ou aménagements réalisés irrégulièrement et la remise en état des lieux qu'après avoir constaté que l'intéressé n'a pas déféré dans le délai imparti, qui ne peut excéder un an, à la mise en demeure de régulariser sa situation par le dépôt, selon les cas, d'une demande d'autorisation, d'enregistrement, d'agrément, d'homologation ou de certification, nonobstant sa faculté d'ordonner dès le prononcé de cette mise en demeure toute mesure conservatoire utile, notamment aux fins de protéger l'intérêt écologique du site.

En ce qui concerne le motif retenu par l'arrêté du 3 juin 2019 :

5. Il résulte des termes mêmes de l'arrêté attaqué que, pour mettre en demeure la société Conception réalisation conseil de procéder à la remise en état du site et de cesser définitivement son activité d'extraction de matériaux, le préfet de l'Eure s'est fondé sur la circonstance que cette société exploitait sans autorisation administrative une carrière sur la parcelle cadastrée ZE n° 217 à Acquigny. Or il résulte de l'instruction que la société a réalisé l'excavation litigieuse, non pas à la seule fin d'extraire des matériaux, mais pour construire, dans son emprise, un ouvrage consistant en un étang " récréatif ". Dans ces conditions, l'appelante est fondée à soutenir qu'elle ne peut être regardée comme ayant exploité une carrière sur cette parcelle.

En ce qui concerne la substitution de motif demandée par le préfet :

6. Le préfet fait valoir qu'il aurait pris la même décision en se fondant sur la circonstance que cette excavation était constitutive d'un affouillement pour la réalisation duquel la société Conception réalisation conseil ne disposait d'aucune autorisation administrative.

7. Selon les dispositions du point 3 de la rubrique n°2510 de l'annexe n°3 à l'article R. 511-9 du code de l'environnement, sont soumis à autorisation administrative les " affouillements du sol (à l'exception des affouillements rendus nécessaires pour l'implantation des constructions bénéficiant d'un permis de construire et des affouillements réalisés sur l'emprise des voies de circulation), lorsque les matériaux prélevés sont utilisés à des fins autres que la réalisation de l'ouvrage sur l'emprise duquel ils ont été extraits et lorsque la superficie d'affouillement est supérieure à 1 000 m² ou lorsque la quantité de matériaux à extraire est supérieure à 2 000 t ".

8. Il résulte de ces dispositions que lorsque les matériaux prélevés ont été intégralement utilisés pour la construction de l'ouvrage dans l'emprise de l'excavation, la réalisation de l'affouillement, quelle que soit la quantité de matériaux extraite, n'est pas soumise à autorisation. En outre, aucune disposition des annexes à l'article R. 511-9 du code de l'environnement ne prévoit dans ce cas de procéder à un enregistrement ou à une déclaration.

9. En revanche, lorsque les matériaux prélevés ont été utilisés à d'autres fins que la construction de l'ouvrage, la réalisation de l'affouillement requiert, sauf s'il est nécessaire à l'implantation d'une construction bénéficiant d'un permis de construire ou s'il est réalisé sur l'emprise d'une voie de circulation, l'obtention d'une autorisation si sa superficie excède 1 000 mètres carrés ou si la quantité de matériaux extraite est supérieure à 2 000 tonnes. Lorsque les matériaux prélevés ont été utilisés à la fois pour construire l'ouvrage et pour d'autres fins, il convient de ne tenir compte, pour déterminer si cette quantité maximale de 2 000 tonnes a été atteinte, que de la part des matériaux prélevés qui ont été utilisés à d'autres fins que la construction de l'ouvrage dans l'emprise de l'excavation.

10. En l'espèce, il est constant que les matériaux prélevés ont été utilisés non seulement pour aménager les berges de l'étang et ses voies d'accès mais aussi à d'autres fins que la construction de l'ouvrage.

11. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment des relevés effectués le 16 novembre 2018 et le 13 août 2021 par un géomètre-expert à la demande de l'appelante, dont les indications ne sont pas sérieusement contestées, que l'excavation présente une superficie de 748 m2. D'autre part, si le préfet considère que les matériaux prélevés présentent une densité de 1,8 tonne par m3, il résulte de l'instruction, et notamment du courrier du 28 octobre 2021 du géomètre-expert ayant réalisé l'étude mentionnée ci-dessus, que ces matériaux, qui ne consistent pas seulement en du sable et du gravier, présentent une densité de 1,7 tonne par m3. Il résulte du même courrier que les matériaux prélevés et " évacués en dehors de la présente parcelle " présentent un volume de 1 108 m3 et ainsi, compte tenu de leur densité, un poids de 1 884 tonnes.

12. Dans ces conditions, dès lors que la superficie de l'affouillement est inférieure à 1 000 m² et que le poids des matériaux prélevés et utilisés à d'autres fins que la construction de l'ouvrage est inférieur à 2 000 tonnes, l'affouillement réalisé ne peut être regardé comme appartenant à la catégorie de ceux pour lesquels une autorisation doit être délivrée ou pour lesquels un enregistrement ou une déclaration doit être effectué. Par suite, le préfet n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait pu prendre légalement la même décision en se fondant sur la circonstance que la société Conception réalisation conseil a réalisé l'affouillement sans autorisation. En l'absence d'autres motifs invoqués pour fonder la mise en demeure litigieuse, l'arrêté du 3 juin 2019 est entaché d'illégalité.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Conception réalisation conseil est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 juin 2019. Il y a lieu par suite d'annuler le jugement du 17 juin 2021 et cet arrêté.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros à la société Conception réalisation conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 17 juin 2021 du tribunal administratif de Rouen et l'arrêté du 3 juin 2019 du préfet de l'Eure sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à la société Conception réalisation conseil une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Conception réalisation conseil et à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Eure.

Délibéré après l'audience publique du 14 juin 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Corinne Baes Honoré, présidente-assesseure,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2022.

Le rapporteur,

Signé : S. Eustache

Le président de la 1ère chambre,

Signé : M. A...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°21DA02093 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21DA02093
Date de la décision : 28/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Stéphane Eustache
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : BOEGE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-06-28;21da02093 ?
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