Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Office dépôt France a demandé au tribunal administratif d'Amiens, par deux requêtes distinctes mais rédigées en des termes identiques, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 16 694,18 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 2019 et de leur capitalisation, en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de la décision du 29 juillet 2015 par laquelle l'inspectrice du travail de la onzième section de l'unité territoriale de l'Oise a refusé de l'autoriser à licencier Mme A... B....
Par un jugement commun n°s 1900862 et 1901644 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 septembre 2021, la société Office Dépôt France ainsi que les sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée AJC et BCM agissant en qualité d'administrateurs au redressement judiciaire de la société Office dépôt France et les sociétés MJS Partners et Angel-Hazane, agissant en qualité de mandataires au redressement judiciaire de la société Office dépôt France, représentées par Me Virginie Devos, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 16 694,18 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 2019 et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- l'illégalité de la décision de l'inspectrice du travail résulte de son annulation par la décision du ministre chargé du travail ;
- en tout état de cause, cette illégalité résulte de la réalité du motif économique et du respect de l'obligation de reclassement ;
- le chiffre d'affaires du groupe Office dépôt est en effet en baisse depuis 2008 et ses résultats se sont fortement dégradés ;
- la liste des postes ouverts au reclassement démontre qu'elle a satisfait à son obligation de reclassement.
La ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a été mise en demeure de produire et n'a pas produit.
La procédure a été communiquée pour observations à Mme B....
La clôture de l'instruction a été fixée au 28 avril 2022 à 12 heures par ordonnance du 28 mars 2022.
A la suite de mesures d'instruction ordonnées par la cour, des pièces ont été produites par les représentants légaux de la société Office dépôt le 19 mai 2022, le 20 mai 2022 et le 2 juin 2022 et ont été communiquées à l'autre partie, l'instruction n'étant rouverte que sur ces points.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Office dépôt France a demandé, dans le cadre de sa restructuration, comprenant la suppression de son site de Nîmes, l'autorisation de licencier Mme Odile Burlot, conseillère commerciale multifonctions sur ce site qui exerçait les mandats de déléguée du personnel et de membre du comité d'entreprise. L'inspectrice du travail territorialement compétente a rejeté cette demande par décision du 29 juillet 2015. Sur recours hiérarchique de la société, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré la décision implicite de rejet de ce recours hiérarchique, a annulé la décision de l'inspectrice du travail et a autorisé le licenciement, par une décision du 10 février 2016. La société Office dépôt France a demandé, le 13 mars 2019, à être indemnisée des préjudices nés de l'illégalité de la décision de l'inspectrice du travail. Alors qu'elle faisait l'objet d'une procédure de redressement à la suite d'un jugement du tribunal de commerce de Lille du 5 février 2021, cette société, représentée par ses administrateurs et mandataires judiciaires, a saisi le tribunal administratif d'Amiens du refus d'indemnisation qui lui a été opposé. Elle relève appel du jugement du 8 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses demandes. Postérieurement à l'introduction de sa requête, la société Office dépôt France a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Lille du 28 septembre 2021. Les sociétés MJS Partners et Angel-Hazane ont été désignées en qualité de liquidateurs par ce jugement.
2. En application des dispositions du code du travail, le licenciement d'un salarié protégé ne peut intervenir que sur autorisation de l'autorité administrative. Le refus illégal d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de l'employeur, pour autant qu'il en soit résulté pour celui-ci un préjudice direct et certain. Lorsqu'un employeur sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'un refus d'autorisation de licenciement, il appartient au juge de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des pièces produites par les parties et, le cas échéant, en tenant compte du motif pour lequel le juge administratif a annulé cette décision, si la même décision aurait pu légalement être prise.
3. La société Office dépôt France recherche la responsabilité de l'Etat en raison de l'illégalité de la décision de l'inspectrice du travail du 29 juillet 2015. Le fait que cette décision ait été retirée par la décision ministérielle du 10 février 2016 ne saurait, à lui seul, établir l'illégalité de la décision de l'inspectrice du travail et engager la responsabilité de l'Etat. Il appartient ainsi à la juridiction administrative d'apprécier la légalité de la décision de l'inspectrice du travail.
4. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction applicable à la date de la décision de l'inspectrice du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ". Pour s'acquitter de son obligation de reclassement, l'employeur doit procéder à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartient. Le juge peut, pour s'assurer du respect de cette obligation, tenir compte de l'ensemble des circonstances de fait, notamment de ce que les recherches de reclassement conduites au sein de la société ont débouché sur des propositions précises de reclassement, de la nature et du nombre de ces propositions, ainsi que des motifs de refus avancés par le salarié. En revanche, il ne peut sans erreur de droit, quelles que soient ces circonstances de fait, estimer que l'absence de recherche au sein des autres entreprises du groupe auquel appartient l'employeur est sans incidence sur cette appréciation.
5. Aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ". Lorsque le juge administratif procède à une mise en demeure de produire, il doit en tirer toutes les conséquences de droit. Il lui appartient seulement, lorsque les dispositions précitées sont applicables, de vérifier que l'inexactitude des faits exposés dans les mémoires du requérant ne ressort d'aucune pièce du dossier.
6. La société Office dépôt France produit pour la première fois en cause d'appel, alors qu'elle n'avait produit aucune pièce sur ce point en première instance, des listes de postes issus des bourses de l'emploi, qui constituent, selon ses dires, les postes ouverts au reclassement. Mais de telles listes ne sauraient valoir offres précises et personnalisées de reclassement. Par ailleurs, ces listes de postes comprenaient des postes de chauffeur livreur poids lourd, de chauffeur livreur monteur, d'agent logistique, de rippeur ou de trieur qui n'étaient pas en adéquation avec les compétences de Mme B... qui occupait un poste de conseillère commerciale multifonctions et ces postes nécessitaient une formation qualifiante, comme l'avait relevé l'inspectrice du travail. Toutefois, à la demande de la cour, la société a également produit le courrier adressé à Mme B... le 24 avril 2015 qui comportait en annexe les fiches des postes de reclassement proposés à l'intéressée. Les postes d'agent logistique, de chauffeur-livreur poids lourds, de chauffeurs-livreurs monteurs, de chauffeurs super poids-lourds, de chauffeurs-livreurs de véhicules légers ou encore de rippeurs ne correspondaient pas aux compétences de Mme B..., comme cela a été précédemment indiqué et sont classés selon un coefficient inférieur à celui du poste occupé par Mme B... qui était, d'après ses fiches de paie, de niveau 4 et de coefficient 190. Parmi les propositions figuraient également des postes commerciaux, mais ces postes présentaient également un coefficient 150 inférieur à celui de l'emploi de l'intéressée. Ils ne peuvent donc pas plus être considérés comme des emplois équivalents à celui occupé, au sens des dispositions rappelées au point 4.
7. Or, l'inspectrice du travail avait relevé qu'un poste de commercial sédentaire vacant n'avait pas été proposé à Mme B..., alors que moyennant des mesures sociales d'accompagnement prévues par le livre 1 du plan de sauvegarde pour l'emploi, il aurait pu lui convenir. La société n'allègue ni en première instance, ni en appel, qu'elle avait proposé un tel poste avant de saisir l'inspectrice du travail. Si, dans son recours hiérarchique du 6 août 2015, elle conteste que ce poste pouvait être proposé, il résulte de l'instruction que Mme B..., en tant que conseillère commerciale multifonctions, était chargée de la relation client et du service clients, ce qui comporte l'accueil, le conseil, le traitement des commandes et la résolution des dossiers de service après-vente et que le poste de commercial sédentaire recouvre la gestion de l'ensemble du cycle de ventes pour un portefeuille de clients. La différence de nature des deux types de poste n'apparaît pas telle que l'inspectrice du travail puisse être regardée comme ayant à tort estimé que ce poste de commercial sédentaire aurait dû être proposé à l'intéressée. La seule circonstance que ce poste soit éloigné de son domicile ne dispensait pas plus la société de proposer un tel reclassement à l'intéressée. Les pièces du dossier contredisent ainsi les assertions de la société selon lesquelles elle aurait satisfait à son obligation de reclassement avec sérieux et loyauté.
8. Il résulte de ce qui précède que l'inspectrice du travail n'a commis aucune erreur d'appréciation en retenant que la société Office dépôt France n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement. Ce motif suffisait, à lui seul, à justifier le refus d'autorisation de licenciement et l'inspectrice du travail aurait pris légalement la même décision si elle s'était fondée sur ce seul motif. La décision de refus d'autorisation de licenciement du 29 juillet 2015 n'est donc pas susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, sans qu'il soit besoin d'examiner le second motif d'illégalité soulevé par la société. Par suite, la société Office dépôt France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses conclusions indemnitaires. Sa requête doit donc être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Office dépôt France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Office dépôt France, représentée par ses liquidateurs judiciaires, les sociétés MJS Partners et Angel-Hazane, ainsi qu'au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Copie en sera adressée pour information à Mme A... B....
Délibéré après l'audience publique du 9 juin 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Denis Perrin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 juin 2022.
Le rapporteur,
Signé : D. PerrinLa présidente de chambre,
Signé : G. BorotLa greffière,
Signé : C. Marécalle
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
C. Marécalle
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N°21DA02169
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