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21/06/2022 | FRANCE | N°21DA01187

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 21 juin 2022, 21DA01187


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 1er avril 2019 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a déclaré cessibles au profit de la commune du Havre, en vue de leur expropriation pour cause d'utilité publique, les lots nos 7A, 16A et 28D de l'immeuble située 17 rue Dumont d'Urville sur le territoire de cette commune.

Par un jugement n° 1902758 du 25 mars 2021, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 1er avril 2019 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a déclaré cessibles au profit de la commune du Havre, en vue de leur expropriation pour cause d'utilité publique, les lots nos 7A, 16A et 28D de l'immeuble située 17 rue Dumont d'Urville sur le territoire de cette commune.

Par un jugement n° 1902758 du 25 mars 2021, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 mai 2021 et un mémoire enregistré le 13 janvier 2022, Mme B... E..., représentée par Me Arnaud Labrusse, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 1er avril 2019 du préfet de la Seine-Maritime ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête a été signée au moyen de l'application Télérecours ;

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il ne mentionne pas dans ses visas le mémoire produit le 7 mars 2021 ;

- l'arrêté attaqué a été signé par une personne incompétente ;

- il est entaché d'un vice de procédure dès lors que le dossier d'enquête parcellaire était incomplet ;

- il est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'elle n'a pas été informée du dépôt du dossier d'enquête parcellaire en mairie ;

- il méconnaît les articles L. 132-1 et R. 132-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique dès lors qu'il ne porte pas sur l'ensemble des lots concernés et qu'il ne déclare pas cessibles les parties communes de l'immeuble en cause ;

- il méconnaît l'article L. 313-4-2 du code de l'urbanisme dès lors qu'elle ne pouvait pas réaliser les travaux programmés, que le programme des travaux ne lui a pas été régulièrement notifié, que le programme des travaux était trop imprécis et qu'elle a réalisé les travaux ;

- il est privé de base légale en raison de la caducité de l'arrêté portant déclaration d'utilité publique qui n'a pas été régulièrement publié ni prorogé ;

- il a été pris sur le fondement d'un arrêté de déclaration d'utilité publique illégal.

Par des mémoires en défense enregistrés les 27 octobre 2021 et 2 février 2022, la commune du Havre, représentée par Me Anne Tugaut, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme E... de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête d'appel est irrecevable faute d'être signée par le mandataire de la requérante ;

- les juges de première instance ont tenu compte des éléments contenus dans le mémoire complémentaire produit par Mme E... le 7 mars 2021 ;

- les moyens contenus dans la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 janvier 2022, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens contenus dans la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Eustache, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Me Frédéric Lanyi, représentant la commune du Havre.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... est propriétaire des lots 7A, 16A et 28D dans un immeuble situé 17 rue Dumont d'Urville au Havre et devant faire l'objet d'une opération de restauration immobilière dans le cadre d'un programme de travaux déclaré d'utilité publique par un arrêté du 28 décembre 2010 du préfet de la Seine-Maritime. A l'issue de l'enquête parcellaire qui s'est déroulée du 17 au 31 mars 2017, le préfet de la Seine-Maritime a déclaré cessibles, par un arrêté du 1er avril 2019, au profit de la commune du Havre, les trois lots appartenant à Mme E.... Cette dernière a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Rouen qui a rejeté sa demande par un jugement du 25 mars 2021. Mme E... relève appel de ce jugement.

Sur la recevabilité de la requête d'appel :

2. Aux termes de l'article R. 411-5 du code de justice administrative : " Sauf si elle est signée par un mandataire régulièrement constitué, la requête présentée par plusieurs personnes physiques ou morales doit comporter, parmi les signataires, la désignation d'un représentant unique (...) ". Aux termes de l'article R. 414-3 du même code : " Les caractéristiques techniques de l'application mentionnée à l'article R. 414-1 (...) garantissent la fiabilité de l'identification des parties ou de leur mandataire, l'intégrité des documents adressés ainsi que la sécurité et la confidentialité des échanges entre les parties et la juridiction (...) ". Aux termes de l'article R. 414-4 du même code : " L'identification de l'auteur de la requête, selon les modalités prévues par l'arrêté mentionné à l'article R. 414-3, vaut signature pour l'application des dispositions du présent code. / Toutefois, lorsque la requête n'a pas fait l'objet d'une signature électronique au sens du second alinéa de l'article 1367 du code civil, le requérant ou son mandataire peut, en cas de nécessité, être tenu de produire un exemplaire de sa requête revêtu de sa signature manuscrite (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que la requête a été présentée par Me Arnaud Labrusse pour Mme E... au moyen de l'application Télérecours selon les modalités prévues par l'arrêté du 2 mai 2018 relatif aux caractéristiques techniques de l'application mentionnée à l'article R. 414-1 du code de justice administrative. Par suite, l'identification de l'auteur de la requête par l'application Télérecours doit être regardée comme valant signature conformément aux dispositions citées au point précédent. Dès lors, la commune du Havre n'est pas fondée à soutenir que la requête, qui n'est pas revêtue de la signature de Me Labrusse, est irrecevable.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Aux termes de l'article R. 613-2 du code de justice administrative : " Si le président de la formation de jugement n'a pas pris une ordonnance de clôture, l'instruction est close trois jours francs avant la date de l'audience indiquée dans l'avis d'audience prévu à l'article R. 711-2. Cet avis le mentionne (...) ". Aux termes de l'article R. 741-2 du même code : " La décision (...) contient (...) l'analyse des conclusions et mémoires (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... a produit le 7 mars 2021 à 10 heures 26 devant le tribunal administratif de Rouen un mémoire complémentaire que le jugement attaqué n'a ni visé, ni analysé. Dans ce mémoire, qui a été produit avant la clôture de l'instruction intervenue trois jours francs avant l'audience du 11 mars 2021, Mme E... a soutenu pour la première fois que l'arrêté du 28 décembre 2010 déclarant d'utilité publique les travaux litigieux n'avait pas été régulièrement publié et que, par conséquent, l'arrêté du 1er avril 2019 déclarant cessibles les lots lui appartenant était privé de base légale. Or, dans les motifs du jugement attaqué, le tribunal a omis de répondre à ce nouveau moyen.

6. Il s'ensuit que Mme E... est fondée à soutenir qu'en s'abstenant de viser et d'analyser son mémoire complémentaire produit le 7 mars 2021, le tribunal administratif de Rouen a entaché d'irrégularité le jugement attaqué. Ce dernier doit ainsi être annulé et il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par Mme E... aux fins d'annulation de l'arrêté du 1er avril 2019 du préfet de la Seine-Maritime. La commune, qui est la bénéficiaire de cet arrêté, doit être regardée, non comme une intervenante, mais comme une partie à l'instance.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué :

7. L'arrêté attaqué a été signé par M. Yvan Cordier, secrétaire général de la préfecture de la Seine-Maritime, en vertu d'une délégation de signature consentie par la préfète de la Seine-Maritime par un arrêté n° 17-131 du 17 octobre 2017, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du même jour. Il résulte des termes mêmes de cette délégation qu'elle a défini avec une précision suffisante et dénuée d'ambiguïté les actes que M. A... D... était habilité à signer et ceux pour lesquels il ne l'était pas. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'incomplétude du dossier d'enquête parcellaire :

8. Aux termes du I de l'article R. 131-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " Lorsque les communes où sont situés les immeubles à exproprier se trouvent dans un seul département, l'expropriant adresse au préfet du département, pour être soumis à l'enquête dans chacune de ces communes, un dossier comprenant : / 1° Un plan parcellaire régulier des terrains et bâtiments ; / 2° La liste des propriétaires établie à l'aide d'extraits des documents cadastraux délivrés par le service du cadastre ou à l'aide des renseignements délivrés par le directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques, au vu du fichier immobilier ou par tous autres moyens ".

9. Il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport du commissaire enquêteur, dont les mentions ne sont pas sérieusement contestées, que le dossier d'enquête parcellaire comportait " une note de présentation comprenant notamment un plan de situation, le plan parcellaire et différentes informations sur l'historique du dossier " et " un état parcellaire établissant la liste des propriétaires et les renseignements cadastraux ". Si Mme E... soutient que le dossier d'enquête parcellaire ne comportait pas la délibération du 12 mars 2012 par laquelle le conseil municipal du Havre a approuvé les pièces de ce dossier et demandé au préfet de la Seine-Maritime l'ouverture de cette enquête, les dispositions précitées de l'article R. 131-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ne prescrivent pas que ce dossier comporte une telle délibération. Dès lors, Mme E... ne peut utilement soutenir qu'il est incomplet. Par suite, ce moyen doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré d'un défaut de notification du dépôt du dossier d'enquête parcellaire :

10. Aux termes de l'article R. 313-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " Notification individuelle du dépôt du dossier à la mairie est faite par l'expropriant, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, aux propriétaires figurant sur la liste établie conformément à l'article R. 131-3, lorsque leur domicile est connu d'après les renseignements recueillis par l'expropriant ou à leurs mandataires, gérants, administrateurs ou syndics. / En cas de domicile inconnu, la notification est faite en double copie au maire, qui en fait afficher une, et, le cas échéant, aux locataires et aux preneurs à bail rural ".

11. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 8 février 2017, présenté le 8 et distribué le 11 février 2017, Mme E... a été informée du dépôt du dossier d'enquête parcellaire dans les locaux de la mairie du Havre et des conditions de sa consultation durant l'enquête, qui s'est déroulée du 17 au 31 mars 2017 inclus. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 313-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique manque en fait et doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'incomplétude de la liste des biens à exproprier :

12. Aux termes de l'article L. 132-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " L'autorité compétente déclare cessibles les parcelles ou les droits réels immobiliers dont l'expropriation est nécessaire à la réalisation de l'opération d'utilité publique. Elle en établit la liste, si celle-ci ne résulte pas de la déclaration d'utilité publique ". Aux termes de l'article R. 132-1 du même code : " Au vu du procès-verbal prévu à l'article R. 131-9 et des documents qui y sont annexés, le préfet du département où sont situées les propriétés ou parties de propriétés dont la cession est nécessaire les déclare cessibles, par arrêté (...) ".

13. Aucune disposition ni aucun principe n'impose à l'autorité administrative de mentionner dans l'arrêté de cessibilité qu'elle adresse à un propriétaire les biens à exproprier appartenant à d'autres propriétaires.

14. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué mentionne, en annexe, d'une part, l'ensemble des lots appartenant à Mme E... et dont l'expropriation est envisagée, à savoir les lots 7A, 16A et 28D consistant respectivement en un " appartement ", un " grenier " et un " cellier " et, d'autre part, la quote-part des parties communes attachée à chacun de ces lots. La circonstance que l'arrêté attaqué ne mentionne pas les autres biens à exproprier situés dans le même immeuble et appartenant à d'autres copropriétaires est sans incidence sur sa légalité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 132-1 et R. 132-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 313-4-2 du code de l'urbanisme :

15. Aux termes de l'article L. 313-4-2 du code de l'urbanisme : " (...) Lors de l'enquête parcellaire, elle notifie à chaque propriétaire ou copropriétaire le programme des travaux qui lui incombent. Lorsque le programme de travaux concerne des bâtiments soumis à la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, le programme portant sur les parties communes est également notifié au syndicat des copropriétaires, pris en la personne du syndic. Si un propriétaire ou copropriétaire fait connaître son intention de réaliser les travaux dont le détail lui a été notifié pour information, ou d'en confier la réalisation à l'organisme chargé de la restauration, son immeuble n'est pas compris dans l'arrêté de cessibilité ".

16. En premier lieu, si la commune du Havre a adressé à Mme E... au 1012 boulevard des Belles Portes à Herouville-Saint-Clair le programme des travaux par un courrier daté du 16 juin 2014, qui a été retourné par les services postaux avec la mention " destinataire inconnu à cette adresse ", il ressort des pièces du dossier que la commune a expédié ce programme au 62 rue Marconi au Havre par un courrier du 9 mai 2016 contenu dans une enveloppe indiquant une expédition postale le 10 mai 2016 et revêtue de la mention apposée par les services postaux " pli avisé et non réclamé ". Il ressort en outre des pièces du dossier que, par un courrier du 25 janvier 2017 expédié au 17 rue Alexandre Bigot à Caen et distribué le 30 janvier 2017, adresse à laquelle Mme E... soutient être domiciliée, ce même programme lui a été à nouveau communiqué.

17. Si Mme E... soutient que le programme des travaux n'était pas annexé à ces courriers du 9 mai 2016 et du 25 janvier 2017, elle ne produit aucun élément probant à l'appui de ses allégations alors que ce programme a été établi à la suite d'une visite et d'échanges avec le maître d'œuvre et que l'intéressée a exprimé le 17 mars 2017 son refus d'exécuter les travaux programmés, ainsi que l'atteste le registre d'enquête publique. Dans ces conditions, Mme E... ne saurait soutenir qu'elle n'a pas été informée de ce programme. D'ailleurs, le délai de deux ans prévu par l'article 2 de l'arrêté du 17 juin 2014 du maire du Havre n'a commencé à courir, ainsi que le précise cet article, qu'à compter de la notification à l'intéressée du programme des travaux.

18. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de l'arrêté du 17 juin 2014 du maire du Havre fixant le programme des travaux que ces derniers, notamment en ce qui concerne les trois lots appartenant à Mme E... et les parties communes de l'immeuble où ils se trouvent, ont été définis avec une précision suffisante à la suite d'une visite effectuée sur place, en présence du maître d'œuvre et de l'intéressée.

19. En troisième lieu, Mme E... soutient que les travaux conservatoires effectués par la commune du Havre l'ont empêchée d'effectuer les travaux concernant les lots dont elle est propriétaire. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que si les fenêtres situées au rez-de-chaussée et au premier étage de la façade de l'immeuble alignée sur la voie publique et une fenêtre de sa façade arrière ont été occultées afin de prévenir des risques d'intrusion de tiers, ni la portée d'entrée de l'immeuble située à l'arrière du bâtiment ni la porte d'entrée ou les fenêtres des lots appartenant à Mme E... n'ont fait l'objet d'une telle occultation. Il s'ensuit que Mme E... n'est pas fondée à soutenir qu'elle a été dans l'impossibilité matérielle d'effectuer les travaux concernant les lots dont elle est propriétaire.

20. En quatrième lieu, pour soutenir qu'elle a réalisé ces travaux, Mme E... se borne à produire un devis établi le 15 mars 2018 par la société Miraoui au nom de " maman Suzanne " mentionnant des travaux de rénovation pour un montant total de 3 280 euros et revêtu de la mention manuscrite " reçu ce jour la somme de 950 euros pour les travaux 17 rue Dumont d'Urville ". A supposer même que les travaux prévus par ce devis concernent l'appartement dont Mme E... est propriétaire, l'intéressée n'établit pas de manière probante leur conformité au programme de travaux et ne produit aucune facture. Dans ces conditions elle ne démontre pas qu'elle aurait réalisé ou eu effectivement l'intention de réaliser les travaux de rénovation des trois lots dont elle est propriétaire avant l'édiction de l'arrêté attaqué.

21. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 313-4-2 du code de l'urbanisme doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré d'un défaut de base légale :

22. Aux termes de l'article L. 121-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " L'acte déclarant l'utilité publique précise le délai accordé pour réaliser l'expropriation. Il ne peut excéder cinq ans, si la déclaration d'utilité publique n'est pas prononcée par décret en Conseil d'Etat en application de l'article L. 121-1. / Toutefois, si les opérations déclarées d'utilité publique sont prévues par des plans d'occupation des sols, des plans locaux d'urbanisme ou des documents d'urbanisme en tenant lieu, cette durée maximale est portée à dix ans ". En outre, aux termes de l'article L. 121-5 du même code : " Un acte pris dans la même forme peut proroger une fois les effets de la déclaration d'utilité publique pour une durée au plus égale à la durée initialement fixée, lorsque celle-ci n'est pas supérieure à cinq ans. Cette prorogation peut être accordée sans nouvelle enquête préalable, en l'absence de circonstances nouvelles. / Toute autre prorogation ne peut être prononcée que par décret en Conseil d'Etat ".

23. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 28 décembre 2010 déclarant d'utilité publique les travaux de restauration urbaine en cause, qui ne revêt pas le caractère d'une décision individuelle, a été régulièrement publié au recueil du 1er février 2011 des actes administratifs de la préfecture de la Seine-Maritime. La requérante n'est donc pas fondée à soutenir que cet arrêté ne serait pas entré en vigueur.

24. En deuxième lieu, si cet arrêté du 28 décembre 2010 ne fixe pas le délai de réalisation de l'expropriation, ce délai doit être réputé, en l'absence de disposition expresse sur ce point, avoir été fixé à cinq ans.

25. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que ce délai de cinq ans a été prorogé de cinq ans par un arrêté du 12 novembre 2015 du préfet de la Seine-Maritime, qui a été affiché du 30 novembre 2015 au 5 février 2016 en mairie, ainsi qu'en atteste le maire du Havre sans être sérieusement contredit, et publié dans un journal local le 9 décembre 2015. Contrairement à ce que soutient Mme E..., ces mesures de publicité apparaissent suffisantes. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté du 28 décembre 2010 déclarant d'utilité publique était devenu caduc à la date de l'arrêté attaqué.

26. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré d'un défaut de base légale doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de l'arrêté du 28 décembre 2010 :

27. Il ressort des pièces du dossier que les travaux déclarés d'utilité publique par un arrêté du 28 décembre 2010 du préfet de la Seine-Maritime visent à valoriser le patrimoine architectural des quartiers portuaires du Havre et à remédier à la vétusté et à l'insalubrité des logements situés dans le quartier de l'Eure, notamment dans l'immeuble situé 17 rue Dumont d'Urville. Pour remettre en cause la légalité de cet arrêté, Mme E... se borne à contester, de manière générale et sans faire état d'élément précis et circonstancié, le coût et les finalités des travaux programmés et à invoquer une atteinte excessive à son droit de propriété. Dans ces conditions et alors que l'arrêté du 28 décembre 2010 ne lui interdisait pas d'effectuer elle-même les travaux programmés et n'avait pas pour conséquence nécessaire de l'exproprier, le moyen doit être écarté.

28. Il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par Mme E... doit être rejetée.

Sur les frais liés à l'instance :

29. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par Mme E... et non compris dans les dépens.

30. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de Mme E... le versement d'une somme de 2 000 euros à la commune du Havre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 25 mars 2021 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Rouen ainsi que ses conclusions présentées devant la cour sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Mme E... versera une somme de 2 000 euros à la commune du Havre en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E..., à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la commune du Havre.

Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 31 mai 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Naïla Boukheloua, première conseillère,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2022.

Le rapporteur,

Signé : S. Eustache

Le président de la 1ère chambre,

Signé : M. C...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°20DA01187 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21DA01187
Date de la décision : 21/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Stéphane Eustache
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : LABRUSSE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-06-21;21da01187 ?
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