La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/05/2022 | FRANCE | N°21DA02649

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 31 mai 2022, 21DA02649


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Trouw France a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge en droits et pénalités, d'une part, des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2007 à 2010, d'autre part, du supplément de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises mis à sa charge au titre de l'exercice clos en 2010.

Par un jugement n° 1500844, 1501221 du 29 juin 2017, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette

demande.

Procédure devant la cour avant renvoi :

Par une requête et un mémoire, en...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Trouw France a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge en droits et pénalités, d'une part, des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2007 à 2010, d'autre part, du supplément de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises mis à sa charge au titre de l'exercice clos en 2010.

Par un jugement n° 1500844, 1501221 du 29 juin 2017, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour avant renvoi :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er septembre 2017 et le 5 janvier 2018, la SAS Trouw France, représentée par Me Bonneaud, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge en droits et pénalités des impositions supplémentaires en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué, qui, d'une part, se fonde notamment sur un moyen relevé d'office alors qu'il n'était pas d'ordre public, et qui, d'autre part, n'explicite pas suffisamment le motif selon lequel les preuves qu'elle a apportées devaient être écartées, est irrégulier ;

- elle a produit, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, plusieurs pièces formant un faisceau de preuves concordantes de nature à établir, comme elle en a la charge, la réalité des prestations fournies par la société Pitcorn en contrepartie des commissions qu'elle lui a versées ;

- la charge de prouver que ces commissions n'ont pas la nature de charges déductibles de ses résultats incombe en conséquence à l'administration fiscale, qui n'a jamais remis en cause la nécessité de recourir aux services de la société Pitcorn, laquelle relève d'un choix de gestion qu'il n'appartenait pas aux premiers juges de remettre en cause d'office ;

- elle établit d'ailleurs avoir tiré un intérêt commercial direct des prestations qui, effectuées par la société Pitcorn, ont permis son implantation et le développement de son chiffre d'affaires sur le marché russe des aliments piscicoles ;

- le montant des commissions versées par elle, durant une période très limitée, à la société Pitcorn ne présente pas un caractère excessif au regard du service rendu, et lui a permis de préserver des marges commerciales élevées ;

- par voie de conséquence, le rehaussement en matière de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ne peut être maintenu ;

- dans ces conditions, la majoration pour manquement délibéré dont ont été assortis les rehaussements en litige n'est pas fondée, l'administration fiscale n'ayant, au surplus, pas caractérisé le caractère intentionnel des prétendus manquements qui lui sont imputés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 décembre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la SAS Trouw France ne sont pas fondés.

Par un arrêt n° 17DA01739 du 21 novembre 2019, la cour administrative d'appel de Douai a annulé le jugement n°1500844, 1501221 du 29 juin 2017 du tribunal administratif d'Amiens et rejeté le surplus de sa requête ainsi que la demande de la société Nutreco.

Par une décision n° 437813 du 15 novembre 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt de la Cour et a renvoyé l'affaire devant la Cour qui a repris l'instance sous le n°21DA02649.

Procédure devant la cour après renvoi :

Par des mémoires des 25 janvier et 24 mars 2022, la SA Trouw France, représentée par Me Chaïd Dali-Ali, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1500844, 1501221 du tribunal administratif d'Amiens ;

2°) de prononcer la décharge de la retenue à la source pour un montant de 237 867 euros et la décharge des impositions supplémentaires de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour un montant de 80 265 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la matérialité des prestations rendues par la société Pitcorn n'est plus contestée ;

- les commissions versées à la société Pitcorn ne sont pas anormales ou exagérées ;

- la société a apporté la preuve lui incombant en application de l'article 238 A du code général des impôts ; les impositions supplémentaires sont donc entachées d'erreur de droit ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2022, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par la SA Nutreco France ne sont pas fondés ;

- aucun élément n'a été apporté pour justifier l'intervention effective de la société Pitcorn ;

- aucune corrélation ne peut être faite entre les commissions versées et le développement des ventes en Russie de la société Trouw ; le versement de ces commissions procède donc d'un acte anormal de gestion ;

- les pénalités sont justifiées : la société a versé des sommes importantes à la société Pitcorn sans être en mesure de justifier l'intervention effective de cette société.

Par une ordonnance du 3 mars 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 31 mars 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sauveplane, président assesseur,

- les conclusions de M. Gloux-Saliou, rapporteur public

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS) Trouw France, qui exerce une activité de fabrication d'aliments piscicoles, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au cours de laquelle l'administration a constaté que cette société avait versé, au cours des exercices 2007 à 2010, des commissions à une société dénommée Pitcorn Group Limited, dont le siège est situé aux îles Seychelles, ces versements ayant pris la forme de virements effectués sur un compte détenu par la société bénéficiaire auprès d'un établissement bancaire suisse.

2. L'administration a estimé que la SAS Trouw France n'avait pas apporté d'éléments suffisants pour justifier de l'existence de contreparties réelles à ces versements à destination d'une entreprise implantée dans un pays lui permettant de bénéficier d'un régime fiscal privilégié, a remis en cause la déduction de ces sommes en tant que charges et a regardé ces versements comme constituant des distributions de revenus soumis à une retenue à la source. La SAS Trouw France a alors été assujettie, d'une part, à des retenues à la source au titre des exercices clos de 2007 à 2010, d'autre part, à un supplément de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises mis à sa charge au titre de l'exercice clos en 2010, dont elle a vainement demandé la décharge au tribunal administratif d'Amiens.

Sur la régularité du jugement :

3. Il résulte des motifs du jugement attaqué que, dans le cadre du raisonnement qui leur a permis de retenir que la SAS Trouw France n'apportait pas la preuve de ce que les commissions qu'elle avait versées à la société Pitcorn Group Limited correspondaient à des prestations réelles, les premiers juges, après avoir analysé les clauses du contrat conclu entre la SAS Trouw France, la société néerlandaise Trouw Nutrition Russia BV et la société russe Techkorm, ont relevé que les seuls échanges de mails entre M. E..., représentant de la société Pitcorn Group Limited, et la SAS Trouw France n'étaient pas suffisamment probants pour établir la réalité des prestations effectuées par la société Pitcorn Group Limited, dès lors que M. E... exerçait à la fois des fonctions de dirigeant au sein de cette dernière société mais également auprès de la société russe Techkorm. Les premiers juges ont, dans ces conditions, estimé que la SAS Trouw France ne produisait aucun élément suffisamment probant de nature à établir la réalité des prestations facturées par la société Pitcorn Group Limited. Ils ont ainsi suffisamment motivé leur jugement. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écartée.

Sur le bien-fondé des impositions en litige :

4. Il résulte de l'instruction que la SAS Trouw France fabrique des aliments destinés aux élevages piscicoles. Elle commercialise sa production non seulement sur le territoire français, mais aussi sur le marché russe, vers lequel elle s'est orientée à partir de l'année 2007. Pour ce faire, elle vend la partie de sa production destinée à ce marché à une société néerlandaise, dénommée Trouw Nutrition Russia BV. Cette dernière société revend à son tour les produits à la société Techkorm JV, société de droit russe, qui en assure la distribution auprès des clients finaux russes. En réalité, le flux physique des produits vendus est directement acheminé entre les mains de la société Techkorm JV, la société néerlandaise Trouw Nutrition Russia BV assumant seulement un rôle d'intermédiaire chargé d'assurer la logistique de l'opération et de gérer les formalités douanières.

5. Un contrat tripartite a été conclu le 30 mars 2007 entre la SAS Trouw France, sous l'appellation Skretting France, la société Trouw Nutrition Russia BV et la société Pitcorn Group Ltd, dont le siège est situé aux Seychelles. Ce contrat, produit au dossier, a confié à cette dernière la mission d'adresser à la SAS Trouw France des informations régulières tant sur les caractéristiques du marché piscicole russe, comportant notamment une présentation des exploitations piscicoles en Russie, les caractéristiques de leur production et les prix pratiqués, que sur les entreprises concurrentes déjà positionnées sur le marché piscicole russe. Ce même contrat prévoyait que la société Pitcorn Group Ltd serait rémunérée par des commissions versées par la SAS Trouw France et calculées en fonction de la marge réalisée sur chaque transaction par la société Trouw Nutrition Russia BV. La SAS Trouw France a porté ces commissions d'un montant de 163 995 euros en 2007, 261 457 euros en 2008, 193 857 euros en 2009 et 23 680 en 2010, en charges dans la comptabilité de chacun de ses exercices.

6. Il résulte des propositions de rectification adressées à la SAS Trouw France que l'administration a remis en cause la déduction des commissions ainsi versées par cette société à la société Pitcorn Group Ltd établie aux Seychelles après avoir constaté, d'une part, que l'activité commerciale sur le marché russe relevait de la société Trouw Nutrition Russia BV, sise aux Pays-Bas, et non la SAS Trouw France qui ne commercialisait qu'avec le concours de sa société sœur la société Trouw Nutrition Russia BV, d'autre part, que la société Techkorm Russia, qui commercialisait et distribuait en Russie les marchandises vendues par la société Trouw Nutrition Russia BV, était une société membre du groupe Nutreco qui existait avant la signature du contrat du 30 mars 2007, enfin, qu'aucun élément justifiant concrètement les démarches de la société Pitcorn Group Ltd n'avait été présenté au cours du contrôle. L'administration a déduit de ces faits que l'augmentation du chiffre d'affaires de la SAS Trouw France n'était pas liée à l'intervention de la société Pitcorn Group Ltd, que l'intérêt de recourir aux services de la société Pitcorn Group Ltd n'était pas avéré en raison de la présence antérieure en Russie de la société Trouw Nutrition Russia devenue Techkorm, qui connaissait le marché local et pouvait mener les actions de prospection commerciale pour se développer.

7. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant... notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". Aux termes de l'article 238 A du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les (...) créances (...), les redevances (...) ou les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré. / Pour l'application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies. ".

8. Lorsque l'administration se prévaut des dispositions précitées de l'article 238 A du code général des impôts, elle doit justifier que le bénéficiaire des rémunérations dont elle conteste la déduction est soumis hors de France à un régime fiscal privilégié par comparaison avec celui auquel il serait soumis s'il les percevait en France. Si l'administration parvient à rapporter cette preuve, il appartient alors au contribuable d'établir que les dépenses en cause correspondent à des prestations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.

9. En application de ces principes, il incombe d'abord à l'administration d'établir que la SAS Trouw France a été, à raison des commissions qu'elle a versées, soumise hors de France à un régime fiscal privilégié par comparaison avec celui auquel elle aurait été soumise si les sommes correspondantes avaient été imposées en France. A cet effet, l'administration a indiqué, dans la proposition de rectification adressée à la SAS Trouw France s'agissant des impositions supplémentaires émises au titre des exercices clos en 2009 et 2010, et, dans la réponse aux observations formulées par la société contribuable s'agissant des rehaussements afférents aux années 2007 et 2008, qu'était en vigueur aux Seychelles, au cours des années en cause, une législation fiscale soumettant à l'impôt les seuls revenus issus de l'activité des acteurs économiques implantés sur le territoire de cet Etat.

10. Ainsi, il résulte de ces éléments, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que les commissions versées par la SAS Trouw France à la société Pitcorn Group Ltd n'ont été soumises, aux Seychelles, à aucune imposition, dès lors qu'elles constituaient des revenus de source extérieure au territoire de ce pays, tandis que les sommes correspondantes auraient été soumises en France à une imposition au taux de 33,33 %, au titre de l'impôt sur les sociétés, si elles n'avaient pas été déduites, en tant que charges, des bénéfices déclarés par la SAS Trouw France au titre des exercices en cause.

11. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme ayant apporté la preuve, qui lui incombe, de ce que les sommes correspondant aux commissions dont elle a remis en cause la déduction avaient été soumises aux Seychelles à un régime fiscal privilégié. Cette preuve ayant été rapportée, il incombe à la SAS Trouw France, en vertu des principes rappelés ci-dessus, d'établir que les commissions qu'elle a versées à la société Pitcorn Group Ltd, correspondent à des prestations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.

12. Pour s'acquitter de cette preuve, la SAS Trouw France a produit devant le tribunal des échanges de courriers électroniques entre M. E..., représentant de la société Pitcorn Group Ltd, et divers interlocuteurs du groupe Nutreco intervenant dans le cadre du développement du marché piscicole russe. Elle a également fourni des factures établies par la société Pitcorn Group Limited en 2007 et 2008, ainsi que des études de marché réalisées par cette dernière en 2007 et 2008. Enfin, elle a versé au dossier une déclaration sur l'honneur par laquelle M. E... confirme l'effectivité du travail d'étude fourni à la SAS Trouw France par la société Pitcorn Group Ltd en exécution du contrat du 30 mars 2007, divers échanges de correspondances et de messages électroniques, des photographies et enfin un récapitulatif du volume des produits livrés en 2009 aux clients russes.

13. S'agissant de la matérialité des prestations de la société Pitcorn Group Ltd, il résulte des mentions du contrat du 30 mars 2007, rédigé en anglais et au demeurant non traduit, d'une durée de deux ans et trois mois, signé entre la société Pitcorn Group Ltd, la société Skettring France, autre appellation de la SAS Trouw France, et la société Trouw Nutrition Russia BV, que la société Pitcorn Group Ltd doit fournir des informations sur le marché de la nourriture pour poissons en Russie. Ce même contrat stipule que l'information doit être fournie à la SAS Trouw France au plus tard 4 semaines après la signature du contrat et que les parties doivent reconnaître par écrit que les informations ont été fournies. Pour matérialiser cette fourniture d'information, la société requérante fournit deux rapports intitulés " Aquaculture in Russia " (Aquaculture en Russie) relatifs à l'année 2007 et l'année 2008 et datés des mois d'octobre 2007 et 2009.

14. Toutefois, en premier lieu, la SAS Trouw France n'explique pas pourquoi ces rapports n'ont pas été communiqués au vérificateur pendant les opérations de contrôle. Elle ne produit pas non plus les écritures de la SAS Trouw France attestant de la réception en son temps de ces rapports alors qu'il s'agissait d'une obligation contractuelle.

15. En deuxième lieu, l'attestation rédigée pour les besoins de la cause le 24 mars 2014, en anglais et non traduite, par M. E..., directeur de la société Pitcorn Ltd, ne peut pas être regardée comme une preuve de la matérialité des prestations fournies par la société Pitcorn Ltd. De surcroît, si ce dernier atteste être intervenu pour introduire la société Trouw France auprès de fermes aquacoles russes et avoir participé aux discussions sur des aspects techniques et commerciaux, il résulte des mentions du contrat du 30 mars 2007 que l'intervention de la société Pitcorn Ltd se limitait à la fourniture d'information sur la marché Russie sans prévoir ni des actions d'entremise ni une aide dans les négociations commerciales. La société Trouw France n'apporte pas d'explication sur cette discordance entre les stipulations contractuelles et les actions de la société Pitcorn Ltd.

16. En troisième lieu, s'agissant du rapport intitulé " Russian Sea Aquaculture " daté de janvier 2008, il est rédigé par M. A... D... mais aucun lien n'est établi entre l'auteur de ce rapport et l'intervention de la société Pitcorn Ltd. De surcroît, bien qu'intitulé " Russian Sea Aquaculture ", le rapport traite en partie de l'aquaculture au Chili et semble être la compilation de plusieurs documents sans lien entre eux avec une pagination discontinue.

17. En quatrième lieu, s'agissant des pièces rédigées en russe et non traduites, la Cour n'est tenue ni de faire usage de ses pouvoirs d'instruction pour demander une traduction à verser au dossier ni de les prendre en considération. Par conséquent, leur caractère probant doit être écarté.

18. En cinquième lieu, s'agissant du document intitulé " Feeding management Theory et practice ", il s'agit d'un document interne à la société Sketting France, c'est-à-dire de la société Trouw France. Il n'est donc aucunement en relation avec l'action de la société Pitcorn Ltd.

19. En sixième lieu, s'agissant des photographies versées au dossier, elles se bornent à représenter des personnes dans une ferme aquacole et une salle de réunion. Toutefois, aucune indication n'est donnée sur la date, le lieu et l'objet de ces photographies et aucun lien ne peut être fait entre ces photographies et l'action de la société Pitcorn Ltd.

20. En dernier lieu, M. E..., signataire du contrat au nom de la société Pitcorn Group Ltd, est également directeur des ventes de la société Nutreco depuis 2006 et était auparavant directeur de la société Hifeed qui a fusionné avec la société Trouw Nutrition Russia pour former la société Techkrom qui appartient au groupe Nutreco. Or la société Trouw France n'explique pourquoi la société Nutreco a cru devoir rémunérer l'action d'un de ses dirigeants à travers une société basée aux Seychelles pour une information et une action commerciale en Russie qu'elle était en mesure d'accomplir à travers sa filiale sur place, la société Techkrom. Dès lors, les échanges de courriels avec M. E..., présentés comme une preuve de l'action de la société Pitcorn Ltd, peuvent être également regardés comme s'intégrant dans l'action commerciale habituelle de la société Nutreco à travers sa filiale Techkrom. D'ailleurs, ces courriels ne présentent aucune mention ni aucun entête qui relie M. E... et son action à la société Pitcorn.

21. Il résulte donc de ce qui précède que la SA Nutreco France ne peut être pas regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, de la réalité des prestations exercées par la société Pitcorn Ltd et qui ont été rémunérées par les commissions litigieuses.

22. En admettant même que les seuls rapports intitulés " Aquaculture in Russia " puissent être regardés comme une preuve suffisante de la matérialité de l'action de la société Pitcorn Ltd, il résulte de l'instruction qu'aucun lien ne peut être établi entre ces rapports et l'augmentation, non contestée, du chiffre d'affaires de la société Trouw Russia BV avec la Russie.

23. En effet, d'une part, ces rapports sont rédigés en termes très généraux et s'ils communiquent des informations sur les aspects techniques et économiques de l'aquaculture en Russie, ils ne contiennent, en revanche, que très peu d'informations commerciales et, lorsque ces informations sont communiquées, elles ne le sont que de façon générique, sous forme d'une liste d'entreprises sans qu'aucune action commerciale ne soit même suggérée.

24. D'autre part, la société Trouw France ne donne aucune indication sur les actions entreprises et les retombées commerciales obtenues à la suite de ces rapports et se borne à mettre en avant l'augmentation du chiffre d'affaires de la société Trouw Russia BV avec la Russie. Or, ainsi qu'il a été dit, le groupe Nutreco a une filiale en Russie depuis au moins l'année 2006, date de la fusion entre la branche russe d'activité de la société Trouw Nutrition International, qui est membre du groupe Nutreco, avec la société Hifeed BV, société distributrice du groupe Nutreco en Russie, pour former la société Teckrom. Dès lors, l'augmentation du chiffre d'affaires peut aussi s'expliquer par l'action commerciale de cette filiale, ainsi que l'a déjà relevé l'administration dans la proposition de rectification.

25. Enfin, la SAS Trouw France n'explique pas davantage pourquoi les commissions ont continué à être versées pendant l'exercice 2010 alors que le contrat du 30 mars 2007 s'est achevé le 30 juillet 2009 et prévoyait un dernier paiement en août 2009. Il résulte donc de ce qui précède que la SA Nutreco France ne peut davantage être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, du caractère normal ou non exagéré des commissions payées par la SAS Trouw France d'un montant de 642 989 euros au regard des informations contenues dans les rapports intitulés " Aquaculture in Russia ".

26. La SAS Trouw France n'apportant la preuve, qui lui incombe, ni de la réalité des prestations de la société Pitcorn Ltd ni du caractère normal et non exagéré des paiements effectués au regard de ces prestations, c'est à bon droit que l'administration en a remis en cause, sur le fondement de l'article 238 A du code général des impôts, la déduction en tant que charges des exercices comptables concernés.

27. Par voie de conséquence, l'administration était également fondée à regarder ces versements, eu égard à la communauté d'intérêts existant entre la SAS Trouw France, les sociétés Trouw Nutrition Russia BV et Techkorm JV et la société Pitcorn Group Ltd, ces deux dernières ayant notamment le même dirigeant, comme constituant des distributions imposables en vertu du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts et du c. de l'article 111 de ce code.

28. L'administration a, dès lors, pu à bon droit émettre, à raison des sommes correspondantes, dont la SAS Trouw France ne conteste pas l'appréhension effective par la société Pitcorn Group, les impositions supplémentaires en litige et mettre celles-ci à la charge de la SAS Trouw France par la voie de retenues à la source, conformément à l'article 119 bis du même code.

29. Par voie de conséquence, le complément de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises mis, en outre, à la charge de la SAS Trouw France au titre de l'exercice clos en 2010, sur le fondement de l'article 1586 ter du code général des impôts, et qui ne fait pas l'objet d'une contestation spécifique, était également fondé.

Sur le bien-fondé des pénalités :

30. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ".

31. Il résulte des propositions de rectification adressées les 30 novembre 2010 et 30 mars 2012 à la SAS Trouw France que l'administration fiscale a justifié l'application au cas d'espèce des majorations prévues, en cas de manquement délibéré, par les dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts par le caractère injustifié des commissions versées à la société Pitcorn Group Ltd par la SAS Trouw France, qui, dans le contexte d'une communauté d'intérêts entre les sociétés concernées, ne pouvait pas ignorer qu'elle supportait le paiement répété de sommes d'un montant important sur plusieurs exercices sans qu'une contrepartie ne bénéficie à son activité propre.

32. Ces circonstances, qui sont de nature à établir l'existence d'une volonté délibérée d'éluder l'impôt, suffisent à justifier le bien-fondé de la majoration dont les rehaussements en litige ont été assortis.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

33. L'Etat n'étant pas partie perdante à l'instance, les conclusions de la SA Trouw France tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SAS Trouw France est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Trouw France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administrateur général chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 17 mai 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,

- Mme C... F..., présidente-assesseur.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2022.

Le président, rapporteur,

Signé : M. SauveplaneLe président de la 1ère chambre,

Signé : M. B...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Sire

N°21DA02649 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21DA02649
Date de la décision : 31/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôt sur le revenu - Détermination du revenu imposable.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Plus-values des particuliers - Plus-values immobilières.


Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Mathieu Sauveplane
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : PWC SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-05-31;21da02649 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award