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25/05/2022 | FRANCE | N°21DA00149

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 25 mai 2022, 21DA00149


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 12 septembre 2019 par lequel le maire de la commune de Montivilliers a accordé à la SARL Ideame un permis d'aménager un lotissement de 10 lots à usage d'habitation.

Par un jugement n° 1903993 du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 12 septembre 2019 du maire de la commune de Montivilliers en tant qu'il porte sur les conditions d'accès au projet de lotissement.

Pro

cédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2021, et des mémo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 12 septembre 2019 par lequel le maire de la commune de Montivilliers a accordé à la SARL Ideame un permis d'aménager un lotissement de 10 lots à usage d'habitation.

Par un jugement n° 1903993 du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 12 septembre 2019 du maire de la commune de Montivilliers en tant qu'il porte sur les conditions d'accès au projet de lotissement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2021, et des mémoires enregistrés le 3 novembre 2021 et les 7 et 14 janvier 2022, la SARL Ideame, représentée par Me Yann Hourmant, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. et Mme A... B... ;

3°) de mettre à la charge de M. et Mme A... B... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il n'a pas admis les fins de non-recevoir tenant à l'absence de conclusions suffisamment précises et motivées, au défaut d'intérêt à agir des demandeurs et à l'absence de respect des dispositions des articles R. 600-1 et R. 600-4 du code de l'urbanisme ;

- il est irrégulier en ce qu'il a prononcé une annulation partielle du permis d'aménager sur le fondement de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme en raison d'un moyen qui affecte l'accès au projet et qui n'est pas régularisable ;

- les risques pour la sécurité publique, au sens de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, ne sont pas avérés ;

- le projet ne méconnaît pas l'article UC3 du plan local d'urbanisme de la commune de Montivilliers ;

- elle a obtenu un permis d'aménager modificatif lui permettant de procéder à des élargissements de la voie d'accès au projet après avoir été autorisée par le gestionnaire de voirie à procéder à ces aménagements pour permettre le croisement des véhicules ;

- ce permis modificatif n'a pas été obtenu par fraude.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 août 2021, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 16 décembre 2021 et 25 janvier 2022, M. et Mme A... B..., représentés par

Me Nicolas Desmeulles, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures, à titre principal, de réformer partiellement le jugement en tant qu'il n'annule que partiellement le permis d'aménager, et par conséquent de prononcer l'annulation totale de l'arrêté, à titre subsidiaire, de confirmer le jugement, en toute hypothèse de mettre à la charge de la SARL Ideame la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- le vice retenu par le tribunal aurait dû conduire au prononcé d'une annulation totale de l'arrêté ;

- le projet méconnaît l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et l'article UC3 du plan local d'urbanisme de la commune de Montivilliers ;

- le permis d'aménager modificatif a été obtenu par fraude.

Par un mémoire en observations, enregistré le 30 septembre 2021, la commune de Montivilliers représentée par Me Anne Tugaut, demande l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen.

Elle soutient que :

- il n'est pas démontré que l'arrêté attaqué serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ;

- le vice retenu par le tribunal aurait dû conduire au prononcé d'une annulation totale de l'arrêté puisque, d'une part, le chemin de la Montade relève de la voirie publique dont l'aménagement est de la compétence de " Le Havre Seine Métropole ", et d'autre part, le pétitionnaire ne pouvait plus déposer de mesure de régularisation dès lors qu'il n'avait plus l'accord du propriétaire pour réaliser le projet.

Les parties ont été informées, conformément à l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur deux moyens relevés d'office, tirés :

- d'une part, de ce que les conclusions à fin d'annulation du jugement attaqué, qui ont été formulées par la commune de Montivilliers dans son mémoire enregistré le 30 septembre 2021, soit après l'expiration du délai de recours, ne sont pas recevables, la commune n'ayant pas la qualité de partie (CE, 3 octobre 2008, req. n°291928) ;

- d'autre part de l'irrecevabilité, en application de l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme, du moyen tiré de la méconnaissance, par le permis d'aménager initial, des dispositions de l'article UC3 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Montivilliers.

Par un mémoire, enregistré le 29 avril 2022, M. et Mme A... B..., représentés par Me Desmeulles, ont présenté des observations en réponse à cette information.

Par une ordonnance du 1er décembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Naïla Boukheloua, première conseillère,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Yann Hourmant, représentant la SARL Ideame, de Me Nicolas Desmeulles, représentant M. et Mme A... B..., et C..., représentant la commune de Montivilliers.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Ideame relève appel du jugement du 19 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Rouen, saisi par M. et Mme A... B... de conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 12 septembre 2019 du maire de Montivilliers portant permis d'aménager un lotissement de 10 lots à usage d'habitation sur un terrain desservi par le chemin de la Montade, a prononcé, sur le fondement de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme, l'annulation de cet arrêté en tant seulement qu'il porte sur les conditions d'accès au projet de lotissement.

2. En exécution du jugement entrepris, la SARL Ideame a obtenu, durant l'instance d'appel, un permis d'aménager modificatif délivré le 1er octobre 2021 par le maire de Montivilliers.

Sur la recevabilité des conclusions de la commune de Montivilliers :

3. Lorsqu'un tiers saisit un tribunal administratif d'une demande tendant à l'annulation d'une autorisation administrative individuelle et que le bénéficiaire de cette autorisation fait seul régulièrement appel dans le délai du jugement de première instance, le juge d'appel peut communiquer pour observations cet appel à la personne qui a délivré cette autorisation, qui était partie au litige en première instance et qui s'est abstenue de faire appel dans les délais.

4. La commune de Montivilliers, qui n'a pas interjeté appel du jugement, a été appelée à l'instance par la cour en qualité d'observatrice. Par suite, les conclusions à fin d'annulation du jugement attaqué, qui ont été formulées par la commune de Montivilliers dans son mémoire enregistré le 30 septembre 2021, soit après l'expiration du délai de recours, ne sont pas recevables.

Sur la régularité du jugement :

5. Aux termes de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5-1, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé, limite à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et, le cas échéant, fixe le délai dans lequel le titulaire de l'autorisation pourra en demander la régularisation, même après l'achèvement des travaux. Le refus par le juge de faire droit à une demande d'annulation partielle est motivé. ". Aux termes de l'article L. 600-5-1 du même code " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. ".

6. D'une part, il résulte des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, éclairés par les travaux parlementaires ayant conduit à l'adoption de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, que, lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée sont susceptibles d'être régularisés, le juge administratif doit, en application de l'article L. 600-5-1, surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation, sauf à ce qu'il fasse le choix de recourir à l'article L. 600-5, si les conditions posées par cet article sont réunies.

7. D'autre part, les dispositions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme permettent au juge de l'excès de pouvoir de procéder à l'annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme dans le cas où l'illégalité affecte une partie identifiable du projet et peut être régularisée par une mesure de régularisation.

8. Enfin, lorsque le tribunal administratif prononce l'annulation partielle d'un permis d'aménager sur le fondement des dispositions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme alors que l'illégalité qu'il a relevée viciait le projet dans son entier, il se méprend sur les pouvoirs qu'il tient de cet article et méconnaît son office. Il appartient à la cour administrative d'appel, même d'office, de censurer une telle irrégularité, puis de statuer sur la demande présentée devant les premiers juges par la voie de l'évocation.

9. En faisant valoir, au soutien de leurs conclusions respectives à fin d'annulation ou de réformation du jugement entrepris, que le motif d'annulation retenu par les premiers juges, qui affecte l'unique accès au projet, devait conduire non pas au prononcé d'une annulation partielle du permis d'aménager au titre de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme, mais à son annulation totale, les parties doivent être regardées comme contestant la régularité du jugement en tant que les premiers juges se sont mépris sur les pouvoirs qu'ils tiennent de cet article et ont méconnu leur office.

10. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a estimé que le maire de la commune de Montivilliers avait commis une erreur manifeste d'appréciation, au regard des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, en délivrant le permis d'aménager litigieux dès lors que les caractéristiques propres du chemin de la Montade, unique chemin desservant le projet, présentaient un risque pour la sécurité publique. Il a retenu que ce vice était susceptible d'être régularisé par l'aménagement de cette voie de desserte, sans que cette mesure de régularisation soit de nature à changer la nature du projet. Toutefois, à supposer même que ce vice soit régularisable, un tel motif d'annulation, qui invalide en lui-même l'unique accès au projet, affecte la réalisation de l'ensemble du projet litigieux et ne constitue pas, tel qu'il a été retenu en l'espèce, un vice n'affectant qu'une partie identifiable du projet au sens de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme. Dès lors, un tel motif devait conduire au prononcé d'une annulation totale de celui-ci. Il suit de là que le moyen tiré de l'irrégularité du jugement en ce qu'il aurait dû prononcer une annulation totale de l'arrêté attaqué doit être accueilli. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen tiré de l'irrégularité du jugement, le jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 19 novembre 2020 doit être annulé.

11. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. et Mme A... B... devant le tribunal administratif de Rouen.

Sur les fins de non-recevoir opposées par la SARL Ideame :

12. En premier lieu, aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. (...) Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. (...) ".

13. Dans leur demande introductive d'instance, M. et Mme A... B... soutiennent que le projet est desservi par un chemin qui, de par sa largeur et ses caractéristiques, présente des risques pour la sécurité des riverains. Ils doivent ainsi être regardés comme ayant soulevé le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme. Par ailleurs, en intitulant leurs écritures " Recours d'un tiers contre la décision de la mairie de Montivilliers de délivrer le permis d'aménager ", M. et Mme A... B... doivent être regardés comme ayant présenté des conclusions à fin d'annulation dirigées contre l'arrêté du 12 septembre 2019. Dès lors, la fin de non-recevoir tirée de l'insuffisance de motivation de la requête en ce qu'elle ne comporterait ni conclusions ni moyen doit être écartée.

14. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 600-4 du code de l'urbanisme : " Les requêtes dirigées contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code doivent, à peine d'irrecevabilité, être accompagnées du titre de propriété, de la promesse de vente, du bail, du contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation, du contrat de bail, ou de tout autre acte de nature à établir le caractère régulier de l'occupation ou de la détention de son bien par le requérant. (...) ".

15. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme A... B... ont, par un mémoire enregistré par le tribunal le 16 juin 2020, produit le titre complet de propriété prévu par les dispositions précitées de l'article R. 600-4 du code de l'urbanisme. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'absence de qualité pour agir des requérants doit être écartée.

16. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation.".

17. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis d'aménager de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci.

18. Pour contester le permis d'aménager litigieux, M. et Mme A... B... se prévalent de leur qualité de voisins et usagers du chemin de la Montade, unique chemin d'accès desservant le projet. A cet effet, ils font état des difficultés que génèrera le projet en raison de l'aménagement de dix lots à usage d'habitation qui augmentera nécessairement le flux de voitures ce qu'ils estiment incompatible avec les caractéristiques de ce chemin. Ainsi, les requérants, dont la propriété est l'une des dernières desservies par le chemin avant un grand espace naturel, doivent être regardés comme établissant que les nuisances qu'ils invoquent sont de nature à affecter directement les conditions d'utilisation de leur bien. Ils présentent dès lors un intérêt pour agir au sens des dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme. Par suite, la fin de non-recevoir doit être écartée.

19. En dernier lieu, aux termes de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme : " En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l'encontre d'un certificat d'urbanisme, ou d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code, le préfet ou l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation. (...) L'auteur d'un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d'irrecevabilité du recours contentieux qu'il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif. / La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré ou du recours. ".

20. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme A... B... ont notifié leur recours contentieux, enregistré le 6 novembre 2019 par le tribunal, au maire de la commune de Montivilliers ainsi qu'à la SARL Ideame le 12 novembre 2019, soit dans le délai de 15 jours qui leur était imparti à compter de l'introduction de ce recours. Ainsi, la fin de non-recevoir tirée de la méconnaissance de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme doit être écartée.

Sur la légalité du permis d'aménager :

21. Aux termes de l'article L. 600-5-2 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d'une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d'aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue et que ce permis modificatif, cette décision modificative ou cette mesure de régularisation ont été communiqués aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance. ".

En ce qui concerne la méconnaissance de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme :

22. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. ".

23. Les risques d'atteinte à la sécurité publique qui, en application de cet article, justifient le refus d'un permis d'aménager ou son octroi sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales sont aussi bien les risques auxquels peuvent être exposés les occupants des constructions potentielles pour la réalisation desquelles un permis d'aménager autorise un lotissement que ceux que l'opération projetée peut engendrer pour des tiers.

24. D'une part, pour apprécier les caractéristiques du chemin de la Montade, unique voie d'accès au projet litigieux, il convient de se référer à sa largeur jusqu'aux alignements, en sorte de ne tenir compte que de son assiette reposant sur le domaine public. A cet égard, si les autorisations d'urbanisme sont délivrées sous réserve des droits des tiers et que le croisement des véhicules sur ce chemin à double sens, qui y est rendu impossible sur la quasi-totalité de son linéaire en raison de sa trop faible largeur, y est notamment conditionné par la faculté laissée par les riverains de ce chemin aux usagers de celui-ci d'empiéter avec leur véhicule sur l'emprise de leur propriété privée au niveau de leur entrée charretière, une telle faculté repose sur le bon vouloir de ces riverains et ne saurait constituer une caractéristique pérenne du chemin en question à prendre en compte.

25. Il ressort des pièces du dossier que la partie carrossable de ce chemin en pente, d'une longueur de 200 mètres entre l'avenue Foch sur laquelle il débouche et le terrain d'assiette du projet, est bordé par des murs ou des talus enherbés et pentus et que sa largeur, généralement inférieure à 4 mètres, y était estimée comme variant de 5,25 mètres dans sa partie basse jusqu'à 3,54 mètres dans sa partie la plus haute au niveau du virage à angle droit donnant accès au terrain d'assiette du projet litigieux. Il ressort des nombreuses pièces versées au dossier, et notamment des photographies et de l'avis favorable avec réserve rendu par la direction des services techniques de la commune de Montivilliers le 26 novembre 2018, qu'en raison de cette configuration, les véhicules ne pouvaient s'y croiser sans empiéter soit sur les entrées charretières des riverains réalisées sur l'emprise de leur propriété privée soit sur les quelques entrées d'impasses donnant sur ce chemin, et qu'aucun aménagement ne permettait aux piétons d'y circuler en toute sécurité lors du passage des véhicules.

26. Lors de la concertation qui s'est tenue sur le projet d'aménagement litigieux du 4 au 18 janvier 2019, la commune de Montivilliers a admis que le projet litigieux " et les flux de véhicules qu'il génèrera ", sachant que chacun des dix lots pouvait générer jusqu'à trois véhicules en application de l'article UG12 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune alors applicable, " paraissent incompatibles avec la configuration de la voirie " dès lors que " plusieurs parties de l'impasse " de la Montade, " sur de grandes longueurs, ne permettent pas le croisement de véhicules " et que " la visibilité y est également réduite ", étant précisé que " le débouché de voies privées perpendiculaires (n°1, 1bis, 3 ainsi que n°5 à 15 côté impair) à cette voie étroite augmente la problématique ". Elle ajoute que " les usagers de la route et piétons provenant des voies en raquette et des accès privatifs seront soumis à un risque aggravé d'accident avec les personnes effectuant une manœuvre en marche arrière pour laisser passer les véhicules de la partie supérieure de l'impasse ", la visibilité étant " réduite, en cas de marche arrière ". A cet égard, si la société Ideame se prévaut des avis favorables respectivement émis le 8 avril 2019 et le 3 mai 2019 par la direction voirie et mobilité de " le Havre-Seine Métropole " et par le service départemental d'incendie et de secours, ces avis présentent toutefois un caractère très général.

27. D'autre part, la mesure de régularisation produite par la SARL Ideame dans le cadre de la présente instance consiste en la délivrance, par le maire de Montivilliers, d'un permis d'aménager modificatif du 1er octobre 2021, portant notamment sur la " modification du croisement routier dans le chemin de la Montade ".

28. Il ressort du plan d'aménagement joint à ce permis, que les modifications entreprises consistent, tout d'abord, en la réalisation d'une zone de croisement sur l'emprise publique de la rue de la Montade, à environ 50 mètres de son embouchure sur l'avenue Foch, par le creusement du talus sud sur un linéaire d'environ 8 mètres, et la réalisation d'un mur de soutènement à l'alignement, de sorte que la chaussée carrossable du chemin mesure 4 mètres de large à cet endroit jusqu'au bord du talus nord. Elles consistent, ensuite, en l'élargissement de la chaussée carrossable de ce chemin à l'approche du virage à angle droit donnant accès au terrain d'assiette du projet de lotissement litigieux, également par creusement du talus sud sur environ 30 mètres de linéaire jusqu'au virage et élargissement de la chaussée au niveau de l'angle de ce virage, de sorte que la chaussée y fasse 4 mètres minimum et que la visibilité y soit améliorée. Demeurent ainsi, à la suite de ces aménagements, deux linéaires d'environ 50 mètres et 100 mètres de chemin dont la largeur carrossable est inférieure à 4 mètres et ne permet pas le croisement des véhicules.

29. La société Ideame soutient que, compte tenu du nombre réduit d'habitations desservies par ce chemin, à savoir une douzaine et de la limitation de la vitesse à 30 km/h sur cette voie, les conditions de circulation n'avaient généré jusque-là aucun accident y compris lorsque le terrain d'assiette du projet accueillait un centre aéré. Néanmoins, il résulte des circonstances de l'espèce décrites précédemment qu'en dépit des modifications apportées au projet de lotissement litigieux par le permis modificatif du 1er octobre 2021, l'afflux sur ce chemin des véhicules et piétons des dix nouveaux lots créés par ce projet est de nature à exposer ses occupants potentiels et les tiers, en leur qualité d'usagers potentiels de celui-ci, à un risque au titre de la sécurité publique.

30. Il suit de là que M. et Mme A... B... sont fondés à soutenir, d'une part, que le maire a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme en accordant l'autorisation litigieuse, d'autre part, que l'arrêté modificatif du 1er octobre 2021 n'a pas régularisé ce vice.

En ce qui concerne la méconnaissance de l'article UC3 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Montivilliers :

31. Aux termes de l'article UC3 du règlement du plan local d'urbanisme de Montivilliers : " 2. Dispositions concernant la voirie : (...) / La destination et l'importance des constructions ou installations doivent être compatibles avec la capacité de la voirie publique ou privée qui les dessert ".

32. Aux termes de l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme : " Par dérogation à l'article R. 611-7-1 du code de justice administrative, et sans préjudice de l'application de l'article R. 613-1 du même code, lorsque la juridiction est saisie d'une requête relative à une décision d'occupation ou d'utilisation du sol régie par le présent code, ou d'une demande tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision juridictionnelle concernant une telle décision, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Cette communication s'effectue dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article R. 611-3 du code de justice administrative. ".

33. Il ressort des pièces de la procédure juridictionnelle de l'instance pendante devant la cour que le premier mémoire en défense a été communiqué aux parties le 17 août 2021. Dès lors, M. et Mme A... B... ne sont pas recevables à soulever, pour la première fois dans leur mémoire enregistré le 16 décembre 2021, un moyen tiré de la méconnaissance, par le permis d'aménager initial, des dispositions de l'article UC3 du règlement du plan local d'urbanisme de Montivilliers.

34. Toutefois, il résulte de ce qui est dit précédemment, que le projet litigieux n'est pas compatible avec les capacités, telles que modifiées par le permis d'aménager modificatif du 1er octobre 2021, du chemin de la Montade. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, par le permis modificatif, de l'alinéa de l'article UC3 mentionné au point 31 doit être accueilli.

35. Pour l'application des dispositions de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun des autres moyens dirigé contre le permis d'aménager et le permis d'aménager modificatif n'est susceptible, en l'état du dossier, de fonder l'annulation de celui-ci.

Sur le caractère régularisable du vice entachant le permis d'aménager tel qu'il a été modifié :

36. Un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.

37. Le plan d'aménagement joint au dossier du permis d'aménager modificatif du 1er octobre 2021, fait figurer des " limites de propriété supposées " sur des portions importantes du linéaire du chemin de la Montade. Aussi, il ne ressort pas de cette pièce, ni d'aucune autre pièce du dossier, que la largeur de ce chemin jusqu'aux alignements, une fois les limites de propriétés reconstituées en totalité, serait suffisante, même dans l'hypothèse d'une suppression de tous les talus qui empiètent sur le domaine public en vue de l'élargissement de la chaussée jusqu'en limite de propriété privée, pour permettre d'y faciliter le croisement des véhicules. Ainsi, alors même que par une lettre du 27 mai 2021, la direction voirie et mobilité de " Le Havre Seine Métropole ", gestionnaire de ce chemin, autorise la SARL Ideame " à créer des zones de croisement dans la rue de la Montade sous condition expresse que les murs de soutènement (...) soient exécutés, semelles incluses, sur le domaine public " et en dépit des mesures de signalisation qui demeurent possibles, compte tenu de ce qui est dit précédemment, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une mesure de régularisation pourrait permettre de diminuer de manière substantielle les risques en termes de sécurité publique que l'afflux des véhicules et piétons des dix nouveaux lots créés par le projet de lotissement litigieux sur ce chemin ferait courir aux occupants de ce projet et aux tiers, en leur qualité d'usagers potentiels de ce chemin. Dans ces conditions, le caractère régularisable du vice est subordonné à un aménagement hypothétique et il ne ressort pas des pièces du dossier que le vice relevé est susceptible d'être régularisé sans bouleversement de la nature même du projet. Il n'y a, par suite, pas lieu de surseoir à statuer en vue de la régularisation du permis d'aménager attaqué en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.

38. Il résulte de tout ce qui précède que l'arrêté du 12 septembre 2019, modifié par l'arrêté du 1er octobre 2021, du maire de la commune de Montivilliers, doit être annulé.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

39. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. et Mme A... B..., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la SARL Ideame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

40. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SARL Ideame une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme A... B... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 19 novembre 2020 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : Le permis d'aménager du 12 septembre 2019, modifié par le permis d'aménager modificatif du 1er octobre 2021, est annulé.

Article 3 : La SARL Ideame versera à M. et Mme A... B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la SARL Ideame tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B..., à la SARL Ideame et à la commune de Montivilliers.

Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime et, en application des dispositions de l'article R. 751-11 du code de justice administrative, au procureur de la République près le tribunal judiciaire du Havre.

Délibéré après l'audience publique du 3 mai 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Denis Perrin, premier conseiller,

- Mme Naïla Boukheloua, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2022.

La rapporteure,

Signé : N. Boukheloua

La présidente de la formation de jugement,

Signé : C. Baes-Honoré

La greffière,

Signé : C. Sire La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N° 21DA00149 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21DA00149
Date de la décision : 25/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Baes Honoré
Rapporteur ?: Mme Naila Boukheloua
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : SELARL EKIS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-05-25;21da00149 ?
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