La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/05/2022 | FRANCE | N°18DA00350

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 25 mai 2022, 18DA00350


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Villers-Cotterêts a demandé au tribunal administratif d'Amiens :

1°) d'ordonner un complément d'expertise s'agissant des désordres affectant les travaux des tranches 1 ferme et 1 conditionnelle du marché de travaux de réfection de certaines rues et places de son centre historique ainsi qu'une expertise judiciaire s'agissant des désordres affectant les tranches 3 et 4 ;

2°) s'agissant des désordres affectant les tranches 1 ferme et 1 conditionnelle, de condamner in solidum les

sociétés Atelier Villes et Paysages et Infra Services ainsi que la SELARL Grave-Ran...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Villers-Cotterêts a demandé au tribunal administratif d'Amiens :

1°) d'ordonner un complément d'expertise s'agissant des désordres affectant les travaux des tranches 1 ferme et 1 conditionnelle du marché de travaux de réfection de certaines rues et places de son centre historique ainsi qu'une expertise judiciaire s'agissant des désordres affectant les tranches 3 et 4 ;

2°) s'agissant des désordres affectant les tranches 1 ferme et 1 conditionnelle, de condamner in solidum les sociétés Atelier Villes et Paysages et Infra Services ainsi que la SELARL Grave-Randoux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Hublin, à lui verser la somme de 1 568 534,30 euros hors taxes ;

3°) de fixer au passif de la société Hublin sa créance à hauteur de 1 568 534,30 euros hors taxes ;

4°) s'agissant des désordres affectant les tranches 3 et 4, de condamner la SELARL Grave-Randoux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Hublin, à lui verser la somme de 318 740,75 euros hors taxes ;

5°) de fixer au passif de la société Hublin sa créance à hauteur de la somme de 318 740,75 euros hors taxes ;

6°) de condamner la société Eiffage Route Nord Est venant aux droits de la société Routière Morin Aisne à lui verser les sommes de 182 622,07 euros hors taxes, au titre des désordres affectant la tranche 3, et de 37 844,58 euros hors taxes, au titre des désordres affectant la tranche 4.

Par un jugement n° 1502998 du 15 décembre 2017, le tribunal administratif d'Amiens a :

- rejeté comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître les conclusions de la commune de Villers-Cotterêts et de la société Infra Structures tendant à ce que des créances soient fixées au passif de la société Hublin ;

- condamné solidairement la société Infra Services, la société Atelier Villes et Paysages et la SELARL Grave-Randoux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Hublin, à verser à la commune de Villers-Cotterêts la somme de 310 000 euros ;

- condamné la SELARL Grave-Randoux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Hublin, à garantir la société Atelier Villes et Paysages et la société Infra Services, à hauteur de 80 % des condamnations mises à leur charge solidaire ;

- mis les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 16 040,90 euros à la charge solidaire de la société Atelier Ville et Paysages, de la société Infra Services et de la SELARL Grave-Randoux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Hublin ;

- rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par un arrêt du 17 décembre 2019, la cour a, en premier lieu, rejeté comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître les conclusions de la commune de Villers-Cotterêts et de la société Infra Services aux fins de voir admises au passif de la société Hublin les sommes mises à leur charge, en deuxième lieu, refusé d'admettre l'intervention de la société Aviva Assurances et, en troisième lieu, ordonné, avant dire droit, la désignation d'un expert.

Par une ordonnance du 7 janvier 2020, le président de la cour a désigné M. C... A... pour procéder à cette expertise. Le rapport d'expertise a été enregistré le 22 février 2021. Par une ordonnance du 22 mars 2021, les frais et honoraires de l'expertise confiée à M. C... A... ont été liquidés et taxés à la somme de 29 155,86 euros toutes taxes comprises.

Par des mémoires, enregistrés le 17 juin 2021, le 21 juin 2021, le 13 septembre 2021 et les 14 et 15 février 2022, la commune de Villers-Cotterêts, représentée par Me Laurent Karila, demande à la cour :

- de réformer le jugement du tribunal administratif d'Amiens ;

- de condamner in solidum les sociétés Atelier Villes et Paysages et Infra Services ainsi que la SELARL Grave-Randoux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Hublin à lui verser :

s'agissant des désordres affectant la tranche 1 ferme, la somme de 192 382,49 euros TTC au titre des travaux de reprise des ouvrages 4 et 6, la somme de 282 058,20 euros TTC à réactualiser à partir de l'indice TP 08 pour la reprise des ouvrages 1, 2 et 3 et la somme de 51 374,64 euros TTC à réactualiser à partir de l'indice TP 08 pour la reprise de l'ouvrage 5 à la date de l'arrêt à intervenir ou, subsidiairement, la somme de 26 361,60 euros TTC à réactualiser dans les mêmes conditions ;

s'agissant des désordres affectant la tranche 1 conditionnelle, la somme de 715 296,11 euros TTC ;

- s'agissant des désordres affectant les tranches 3 et 4 :

de la mettre hors de cause en sa qualité de maître d'œuvre des opérations des travaux ;

de condamner la SELARL Grave-Randoux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Hublin, à lui verser la somme de 370 488,73 euros TTC ;

de fixer au passif de la société Hublin sa créance à hauteur de la somme de 370 488,73 euros TTC ;

de condamner la société Eiffage Route Nord Est venant aux droits de la société Routière Morin Aisne à lui verser les sommes de 187 840,40 euros TTC, au titre des désordres affectant la tranche 3, et de 61 653,80 euros TTC au titre des désordres affectant la tranche 4 ;

- de mettre à la charge solidaire des sociétés Atelier Villes et Paysages et Infra Services, de la SELARL Grave-Randoux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Hublin, et de la société Eiffage Route Nord Est, venant aux droits de la société Routière Morin Aisne, la somme de 97 584,56 euros TTC au titre des frais de conseils techniques et la somme de 5 665,88 euros TTC au titre des frais d'huissier de justice ayant procédé au constat des dégradations des ouvrages ;

- de mettre les frais d'expertise à la charge solidaire des sociétés Atelier Villes et Paysages et Infra Services, de la SELARL Grave-Randoux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Hublin, et de la société Eiffage Route Nord Est, venant aux droits de la société Routière Morin Aisne ;

- de mettre à la charge solidaire des sociétés Atelier Villes et Paysages et Infra Services, de la SELARL Grave-Randoux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Hublin, et de la société Eiffage Route Nord Est, venant aux droits de la société Routière Morin Aisne, la somme de 105 994,33 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la totalité des désordres affectant les ouvrages des tranches 1 ferme et 1 conditionnelle engage la responsabilité décennale des constructeurs ;

- les ouvrages 3 de la tranche 1 ferme ne peuvent être sauvegardés lors de la reprise des ouvrages 1 et seront nécessairement détruits lors de la réparation de ces ouvrages dont le caractère de gravité décennale n'est pas contestable ;

- les ouvrages 4 ne peuvent pas faire l'objet de travaux de reprise partielle ;

- les montants retenus par l'expertise sont insuffisants pour reprendre les désordres affectant les ouvrages des tranches 1 ferme et 1 conditionnelle ;

- l'application d'un abattement pour vétusté n'est pas opposable aux travaux réparatoires, l'ouvrage immobilier en cause étant presque neuf et ayant par nature une durée d'utilisation très longue ;

- s'agissant des tranches 3 et 4, les ouvrages présentent une dégradation importante qui porte atteinte à leur solidité et justifie la mise en œuvre de la responsabilité décennale ;

- ces désordres sont imputables aux sociétés Hublin et Routière Morin Aisne et le coût de reprise s'élève à 539 207,40 euros ;

- il y a lieu de retenir le montant de la reprise des désordres des travaux des tranches 3 et 4 résultant du rapport d'expertise.

Par des mémoires en défense et d'appel provoqué, enregistrés le 22 avril 2021 et le 8 juillet 2021, la société Infra Services, représentée par la SCP Cottignies, Cahitte, Desmet, conclut, dans ses dernières écritures :

- à titre principal, à l'infirmation du jugement en tant qu'il a retenu sa responsabilité, au rejet de la requête et au rejet de l'appel en garantie formée à son encontre par la société Atelier Villes et Paysages ;

- à titre subsidiaire, à la limitation du coût des travaux de reprise des tranches 1 ferme et 1 conditionnelle à la somme de 756 398,83 euros ;

- à titre subsidiaire, à la condamnation solidaire de la société Hublin prise en la personne de son liquidateur et la société Atelier Villes et Paysages à la relever et garantir intégralement de toute condamnation prononcée à son encontre ;

- à ce que soit mise à la charge des parties perdantes la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il n'y a pas eu aggravation des dommages, tous les désordres ne compromettent pas la solidité de l'ouvrage ou ne le rendent pas impropre à sa destination ;

- elle n'a pas réalisé de mission de maîtrise d'œuvre des travaux des tranches 3 et 4 ;

- les désordres sont imputables uniquement à l'entreprise de travaux, l'excluant ainsi de toute responsabilité ;

- le fournisseur des pierres calcaires a réalisé des essais qui étaient conformes aux normes et aucun défaut qualitatif ne permettait de déceler une difficulté justifiant la réalisation d'autres essais ; elle n'était pas chargée de la vérification de la qualité des matériaux fournis ni de leur sélection et de leur contrôle en phase d'exécution du chantier ;

- la société Atelier Villes et Paysages était mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre, avait pour mission de gérer la phase quantitative tant lors de la conception que lors de l'exécution du chantier et a procédé au contrôle de la réception des pierres calcaires ; si un manquement de la maîtrise d'œuvre devait être retenu, il serait exclusivement imputable à la société Atelier Villes et Paysages ;

- le chiffrage des travaux de reprise des tranches 1F et 1C proposé par l'expertise doit être retenu ;

- l'expert n'impute aucune responsabilité au groupement de maîtrise d'œuvre ; en outre, elle n'avait pas la charge du choix des matériaux ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, d'appel incident et d'appel provoqué, enregistrés le 17 juin 2021, le 10 septembre 2021 et le 18 février 2022, la société Atelier Villes et Paysages, représentée par la SCP Soulie et Coste Floret, conclut, dans ses dernières écritures :

- au rejet de la requête de la commune de Villers-Cotterêts et au rejet des appels en garantie formé par tout autre partie à son encontre ;

- à ce que sa condamnation soit ramenée à la somme de 756 398,83 euros et à la condamnation de la SELARL Grave-Randoux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Hublin, et de la société Infra Services à la garantir in solidum de toutes condamnations prononcées à son encontre ;

- à ce que soit mise à la charge de la commune de Villers-Cotterêts ou de toute partie perdante la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'intervention de la société Aviva Assurances est irrecevable, tout comme ses demandes de garanties formulées pour son assuré ;

- les désordres sont dus à un défaut d'exécution des travaux et non de conception ;

- l'entreprise de travaux n'a pas informé le maître d'œuvre de ses doutes sur la qualité des pierres calcaires fournies pour l'exécution du chantier ;

- la non-conformité des pierres calcaires fournies constitue une cause exonératoire de sa responsabilité ;

- la société Hublin a commis une faute entraînant la survenance des désordres qui engage sa responsabilité à son égard ;

- la société Infra Services, chargée du suivi de l'exécution du chantier a titre principal, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- le montant de la condamnation prononcée par le tribunal administratif doit être déduit du préjudice retenu ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense et d'appel incident, enregistré le 2 août 2021, la société Eiffage Route Nord Est venant aux droits de la société Routière Morin Aisne, représentée par la SELARL Lexavoue Amiens Douai, conclut :

- à titre principal, à la confirmation du jugement de première instance et au rejet de l'ensemble des demandes formées contre elle ;

- à titre subsidiaire, au rejet de la demande de mise hors de cause de la commune de Villers-Cotterêts en ce qui concerne les tranches 3 et 4 et à ce que la responsabilité de la commune soit engagée à hauteur de 30 % pour ces mêmes tranches ;

- à titre subsidiaire, à ce que les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre soient limitées aux proportions retenues par l'expertise ;

- à la condamnation de la commune à supporter les dépens ;

- à ce que soit mise à la charge de la commune la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- la faute commise par le maître d'œuvre dans la survenance des désordres l'exonère de toute responsabilité.

Par des mémoires en intervention, enregistrés le 23 mars 2021 et le 13 juillet 2021, la société Aviva Assurances, représentée par Me Juliette Mel et Me Arnaud Rogel, conclut :

- à ce que son intervention soit jugée recevable ;

- au rejet, pour incompétence de la juridiction administrative, des appels en garantie formés à son encontre ;

- au rejet des demandes de la commune de Villers-Cotterêts, notamment celles qui sont formées à l'encontre de la société Hublin ;

- à titre subsidiaire, à la limitation du coût des travaux réparatoires à la somme de 201 568,74 euros pour la tranche 1 ferme, à la somme de 596 080,09 euros pour la tranche 1 conditionnelle en y appliquant un abattement de vétusté de 50 % et à la responsabilité de la commune de Villers-Cotterêts, en sa qualité de maître d'œuvre des travaux des tranches 3 et 4, à une proportion de 70 % ;

- à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune de Villers-Cotterêts au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été attraite devant le tribunal de grande instance de Paris, en sa qualité d'assureur de la société Hublin, par la commune de Villers-Cotterêts qui lui a demandé de prendre en charge l'ensemble des condamnations qui seraient prononcées à l'encontre de cette dernière société et dispose ainsi d'un intérêt insuffisant eu égard à la nature de l'objet du litige ;

- s'agissant des travaux de la tranche 1, seuls certains désordres relèvent de la responsabilité décennale des constructeurs ; les frais de remise en état doivent être limités aux seuls ouvrages sinistrés ; le maître d'ouvrage a bénéficié d'un ouvrage exempt de vice durant cinq ans, soit la moitié du délai d'épreuve de dix ans, justifiant un coefficient d'abattement pour vétusté de 50 % ; le maître d'ouvrage a contribué à la survenance des désordres par l'utilisation d'une raboteuse engageant sa responsabilité à hauteur d'au moins 20 % ; le fournisseur de la pierre calcaire en cause a trompé la société Hublin en ne lui fournissant pas la pierre annoncée ni celle qui a fait l'objet des analyses de laboratoire ; la mise en œuvre d'une dalle en calcaire pour la voirie caractérise une erreur de conception, dont la responsabilité incombe au maître d'œuvre ;

- s'agissant des travaux relevant de la tranche 3, le maître d'ouvrage n'établit pas qu'ils ont été réalisés par la société Hublin ; à titre subsidiaire, les dommages relevés ne présentent pas de caractère de gravité justifiant l'engagement de la responsabilité décennale des constructeurs ; le coût des travaux préparatoires est injustifié ; la responsabilité du maître d'œuvre est engagée à hauteur d'au moins 70 % ;

- le contrat d'assurance liant un intervenant à la construction à son assureur est un contrat de droit privé et l'action directe d'un intervenant à l'égard de l'assureur d'un constructeur, même titulaire d'un marché public, relève du droit privé.

Par une décision du 21 avril 2020, le Conseil d'Etat a donné acte à la société Aviva Assurances du désistement de son pourvoi en cassation formé à l'encontre de l'arrêt du 17 décembre 2019 de la cour.

Par une ordonnance du 22 février 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 11 mars 2022 à 12 heures.

Les parties ont été informées, conformément à l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions de la société Eiffage Route Nord-Est tendant à ce que la responsabilité de la commune de Villers-Cotterêts, en sa qualité de maitre d'œuvre, soit engagée à hauteur de 30 % pour les tranches 3 et 4, lesquelles sont nouvelles en appel.

La commune de Villers-Cotterêts, représentée par Me Laurent Karila, a présenté des observations enregistrées le 28 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- l'arrêté du 21 décembre 1993 précisant les modalités techniques d'exécution des éléments de mission de maîtrise d'œuvre ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E... B..., magistrat administratif honoraire,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,

- et les observations de Me Cécile Elroot, représentant la commune de Villers-Cotterêts, Me Guillaume Coste-Floret, représentant la société Ateliers Villes et Paysages, et de Me Antoine Pillot, représentant la société Infra Services.

Considérant ce qui suit :

1. Le 6 octobre 2003, la commune de Villers-Cotterêts a conclu un marché de maîtrise d'œuvre avec un groupement solidaire composé des sociétés Atelier Villes et Paysages, Paris SARL Gaia, Atelier Villes et Paysages Alsace SAS et Infra Services SARL. Le 11 août 2004, l'acte d'engagement du marché de travaux composé d'un lot unique " voirie-assainissement, fontainerie, mobilier urbain " pour la tranche 1 du marché de travaux a été signé avec la société Hublin. La tranche 1 conditionnelle (rue de l'Hôtel de Ville et place Aristide Briand) a été achevée le 10 octobre 2005 et la tranche ferme (place du docteur D..., rue du général Leclerc, carrefour de la rue de Verdun et de la rue du général Mangin) le 24 octobre suivant. La commune a ensuite confié la réalisation de la tranche 4 à la société Routière Morin Aisne, dont les travaux ont été achevés le 13 octobre 2006, et de la tranche 3 à la société Hublin pour ce qui concerne la rue du général Mangin, dont les travaux se sont achevés le 25 juin 2007, et à la société Routière Morin Aisne pour ce qui concerne le carrefour rue Alexandre Dumas rue Demoustier, dont les travaux ont pris fin le 21 mars 2007. La commune assurait la maîtrise d'œuvre des travaux des tranches 3 et 4.

2. Dans le courant de l'année 2010, la commune de Villers-Cotterêts a constaté plusieurs dégradations subies par les bordures des trottoirs au niveau du chantier réalisé en 2004 et 2005. Par une ordonnance du 16 décembre 2010, un expert a été désigné pour rendre un avis sur, notamment, les causes, responsabilités et origines des désordres et malfaçons affectant les ouvrages de la première tranche. Le rapport d'expertise a été déposé le 14 janvier 2013. La commune a demandé au tribunal administratif d'Amiens la condamnation in solidum des sociétés Hublin, Atelier villes et Paysages et Infra services s'agissant des tranches 1 ferme et 1 conditionnelle, à hauteur de 1 568 534,30 euros et la condamnation des sociétés Hublin et Eiffage Route Nord-Est, anciennement dénommée Eiffage Travaux Publics Est Picardie venant aux droits de la société Routière Morin Aisne, s'agissant des désordres affectant les travaux des tranches 3 et 4, à hauteur de 539 207,40 euros.

3. Par un jugement du 15 décembre 2017, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté les conclusions de la commune de Villers-Cotterêts et de la société Infra Services tendant à ce que des créances soient fixées au passif de la société Hublin, comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, condamné solidairement la société Infra Services, la société Atelier Villes et Paysages et la SELARL Grave-Randoux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Hublin, à verser à la commune de Villers-Cotterêts la somme de 310 000 euros, condamné la même SELARL Grave-Randoux, toujours en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Hublin, à garantir la société Atelier Villes et Paysages et la société Infra Services, à hauteur de 80 % des condamnations mises à leur charge solidaire mis les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 16 040,90 euros, à la charge solidaire de la société Atelier Ville et Paysages, de la société Infra Services et de la SELARL Grave-Randoux, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Hublin et rejeté le surplus des conclusions des parties. La commune de Villers-Cotterêts relève appel de ce jugement en tant que le tribunal administratif a rejeté le surplus de ses demandes tandis que les sociétés Infra Services et Atelier Villes et Paysages et Eiffage Route Nord Est, cette dernière venant aux droits de la société Routière Morin Aisne, présentent des appels incidents ou provoqués contre ce jugement.

4. Par un arrêt avant-dire droit du 17 décembre 2019, la cour a, en premier lieu, rejeté comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître les conclusions de la commune de Villers-Cotterêts et de la société Infra Services aux fins de voir admises au passif de la société Hublin les sommes mises à leur charge et, en deuxième lieu, refusé d'admettre l'intervention de la société Aviva Assurances.

5. En troisième lieu, la cour a admis que les désordres affectant l'ouvrage 1, c'est-à-dire les bordures de trottoirs, l'ouvrage 2, constitué des pavés de rive, l'ouvrage 4, constitué des trottoirs et zones piétonnes dallées, l'ouvrage 5, constitué des passages piétonniers sur espaces circulés et l'ouvrage 6, constitué des incrustations linéaires de bandes de pierres calcaires dans les voiries, des tranches 1 ferme et conditionnelle pouvaient engager la responsabilité décennale des constructeurs, alors même que certains désordres ne s'étaient pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans, mais que cette responsabilité devait être écartée s'agissant de l'ouvrage 3, constitué des fils d'eau de ces mêmes tranches.

6. Enfin, la cour a ordonné, avant dire droit, la désignation d'un expert pour évaluer le coût de la réparation des ouvrages 4 et 6 de la tranche 1 ferme et des ouvrages 1 à 6 de la tranche 1 conditionnelle et pour rendre un avis sur les causes et conséquences des désordres pour les ouvrages des tranches 3 et 4 et, le cas échant, sur l'évaluation du préjudice subi.

Sur la recevabilité des conclusions de la société Eiffage Route Nord Est :

7. La demande de la société Eiffage Route Nord-Est tendant à ce que la responsabilité de la commune de Villers-Cotterêts, en sa qualité de maitre d'œuvre, soit engagée à hauteur de 30 % pour les tranches 3 et 4 est nouvelle en appel et donc irrecevable pour ce motif. Ces conclusions doivent donc être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

8. D'une part, les conclusions indemnitaires dirigées contre le liquidateur de la société Hublin doivent être regardées comme dirigées contre la société elle-même dès lors qu'il appartient au juge administratif d'examiner si la collectivité publique a droit à réparation et de fixer le montant des indemnités qui lui sont dues à ce titre par l'entreprise défaillante. D'autre part, la personnalité morale d'une société placée en liquidation judiciaire subsiste pour les seuls besoins de sa liquidation tant que ses droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés. Par suite, la clôture de la liquidation pour insuffisance d'actif de la société Hublin par un jugement du 18 avril 2019 du tribunal de commerce de Soissons est sans incidence sur le droit à réparation de la commune de Villers-Cotterêts à raison des dommages causés par cette société.

9. Il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.

En ce qui concerne les conclusions relatives aux tranches 1 ferme et 1 conditionnelle :

S'agissant de l'imputabilité des désordres :

10. Il résulte de l'instruction, et notamment du premier rapport d'expertise, que les désordres affectant l'ouvrage trouvent leur origine dans la nature des pierres calcaires utilisées et mises en œuvre par l'entreprise de travaux. L'entrepreneur est responsable des désordres qui résultent des caractéristiques et de la qualité des matériaux qu'il a utilisés. Ainsi, la société Hublin est responsable des désordres ayant affecté les ouvrages qu'elle a construits.

11. En l'absence de stipulations contraires, les entreprises qui s'engagent de manière conjointe et solidaire envers le maître de l'ouvrage à réaliser une opération de construction s'engagent conjointement et solidairement non seulement à exécuter les travaux, mais encore à réparer les malfaçons susceptibles de rendre l'immeuble impropre à sa destination, malfaçons dont les constructeurs sont, pendant dix ans à compter de la réception des travaux, responsables à l'égard du maître de l'ouvrage.

12. Pour échapper à sa responsabilité conjointe et solidaire avec les autres entreprises cocontractantes, une entreprise n'est fondée à soutenir qu'elle n'a pas réellement participé à la construction des lots où ont été relevées certaines malfaçons, que si une convention, à laquelle le maître de l'ouvrage est partie, fixe la part qui lui revient dans l'exécution des travaux. Il résulte de l'instruction que le groupement de maitrise d'œuvre avait la charge de la direction de l'exécution du marché de travaux et que les membres de ce groupement se sont engagés solidairement vis-à-vis de la commune de Villers-Cotterêts, sans fixer la part de chacun d'entre eux pour l'exercice de cette mission dans une convention les liant au maitre de l'ouvrage. Dans ces conditions, la responsabilité de la société Atelier Ville et Paysages et de la société Infra Services est solidairement engagée envers la commune au titre de leur responsabilité décennale.

13. Aucune autre cause étrangère à ces désordres de nature à exonérer ces constructeurs de leur responsabilité ne résulte de l'instruction. En particulier, les caractéristiques techniques du matériau retenu par le maître d'ouvrage n'étaient pas inadaptées à son usage. Ainsi, la société Hublin et le groupement de maitrise d'œuvre constitué de la société Infra Services et de la société Atelier Villes et Paysages sont, en leur qualité de constructeurs, solidairement responsables des désordres ayant affecté les ouvrages. Dès lors, la commune de Villers-Cotterêts est fondée à rechercher la responsabilité solidaire des sociétés Hublin, Atelier Villes et Paysages et Infra Services en réparation des préjudices résultant des désordres des ouvrages 1, 2, 4, 5 et 6 des tranches 1 ferme et conditionnelle.

S'agissant du quantum de la réparation :

14. Pour fixer le montant de la réparation, il y a lieu de retenir les montants de travaux proposés par les experts, les parties qui ont été mises en mesure de les discuter lors de l'expertise ne les contestant pas sérieusement.

15. Les frais de maîtrise d'œuvre doivent être fixés au taux de 7 % du montant des travaux et les frais de coordination pour la sécurité et la protection de la santé au taux de 1 % de ce même montant, ainsi que le propose le second expert. Les frais de contrôle technique sont à fixer au taux de 1,5 % du montant des travaux ainsi que le propose la commune dans l'audit technique qu'elle s'approprie, sans être contredite sur ce point par les autres parties. La commune de Villers-Cotterêts ne démontrant pas que le recours à une assistance à maîtrise d'ouvrage était indispensable, il n'y a pas lieu de retenir de tels frais d'assistance. Les frais annexes doivent donc être fixés au taux de 9,5 % du montant des travaux.

16. Aux termes de son expertise, s'agissant des ouvrages 1, 2 et 3 de la tranche 1 ferme, le premier expert propose le remplacement de l'ensemble des bordures, ce qui entraîne la démolition des fils d'eau (ouvrage 3) et de 50 centimètres de trottoirs attenants. Il évalue ces travaux à un montant de 204 390 euros hors-taxes.

17. En retenant le taux fixé au point 15, les frais annexes à la réparation des ouvrages 1, 2 et 3 s'élèvent à 19 417,05 euros hors taxes.

18. Pour l'ouvrage 5 de la même tranche 1 ferme, le premier expert propose la démolition complète des passages piétonniers et leur remise aux normes et évalue le coût des travaux à 21 968 euros hors-taxes. Les frais annexes fixés au taux de 9,5 % de ce coût s'élèvent à 2 086,96 euros hors-taxes. S'agissant des ouvrages 4 et 6, le second expert estime le montant de leur réparation à la somme de 169 619,76 euros hors taxes de laquelle il y a lieu de déduire le montant de 41 250 euros de réfection de trottoirs en dalles calcaires déjà pris en compte dans le montant de la réparation des ouvrages 1, 2 et 3 de la tranche 1 ferme. Le montant à retenir est donc de 128 369,76 euros hors taxes et celui des frais annexes, au taux de 9,5 %, s'élève à 12 195,13 euros hors taxes.

19. S'agissant de la tranche 1 conditionnelle, le second expert estime que le coût des travaux ou des modifications nécessaires des ouvrages 1 à 6 s'élève à la somme de 501 600,39 euros hors-taxes, à laquelle il y a lieu d'y ajouter les frais annexes au taux fixé ci-dessus, soit la somme de 47 652,03 euros hors taxes.

20. Le maître d'ouvrage n'est en droit de demander une actualisation du coût évalué par l'expert que s'il établit qu'il était dans l'impossibilité matérielle ou financière d'effectuer des travaux dans les semaines ayant suivi le dépôt du rapport. Or la commune de Villers-Cotterêts ne démontre pas cette impossibilité, et ne l'allègue même pas, aussi bien après le dépôt du premier rapport du 14 janvier 2013 que du second qui date du 12 février 2021. Ses conclusions tendant à l'application du taux d'actualisation TP08 aux indemnités qui lui sont dues doivent en conséquence être rejetées.

21. En appliquant le taux de taxe de valeur ajoutée en vigueur à la date du présent arrêt, le préjudice subi par la commune pour les tranches 1 ferme et conditionnelle doit être fixé à la somme de 1 125 215,10 euros toutes taxes comprises. Par voie de conséquence, les conclusions d'appel incident tendant à la fixation d'un montant inférieur présentées par les sociétés Infra Services et Atelier Villes et Paysages doivent être rejetées.

En ce qui concerne les conclusions relatives à la tranche 3 :

S'agissant des travaux de la tranche 3 réalisés par la société Hublin :

22. Pour ces travaux qui ont été effectués dans la rue du général Mangin, le second expert conclut dans son rapport que les matériaux mis en place ne présentent pas les caractéristiques minimales exigées par le cahier des clauses techniques particulières, notamment au niveau des résistances à la compression et au gel.

23. Pour cinq catégories d'ouvrage, à savoir les bordures, les pavés de rive, les pavés de fils d'eau et les inclusions en pierre calcaires en chaussée, il résulte des constatations de l'expert que la solidité des ouvrages est menacée de façon très nette. Il relève ainsi que les bordures sont très dégradées, qu'elles sont toutes fissurées et que les désordres sont généralisés. Les pavés de rive à trois rangs en particulier sont aussi fissurés et marqués par des départs de matériaux, de même que les pavés à deux rangs. En ce qui concerne les dalles de trottoir, si leur solidité n'est pas encore en jeu, les dalles sont fissurées et cette fissuration va se poursuivre et se développer au point que leur destruction est irréversible. Les pavés à fils d'eau à un rang sont liés aux dalles de trottoir et devront être détruits lorsque les bordures des trottoirs seront déposées. Enfin, les inclusions de pierres calcaires en chaussée subissent une fissuration généralisée, des arrachements et des départs de matériaux.

24. Ainsi, ces désordres sont donc de nature décennale et la commune de Villers-Cotterêts est fondée à demander l'engagement de la responsabilité décennale de la société Hublin pour ces ouvrages alors même que certains désordres ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.

25. Le total des travaux estimés par le second expert pour remédier à la situation actuelle, en conformité avec le marché de travaux et les règles de l'art, est de 259 804,70 euros hors-taxes, auquel il faut ajouter les frais annexes, à hauteur de 9,5 % de ce montant, soit la somme de 24 681,44 euros hors taxes.

26. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés au point 20, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'actualisation formée par la commune de Villers-Cotterêts.

27. En appliquant le taux de taxe de valeur ajoutée en vigueur à la date du présent arrêt, il résulte de ce qui précède que le préjudice subi par la commune doit être fixé à la somme de 341 383,36 euros toutes taxes comprises laquelle doit être supportée par la société Hublin.

S'agissant des travaux de la tranche 3 réalisés par la société Routière Morin Aisne :

28. Pour ces travaux qui ont été effectués au carrefour des rues Alexandre Dumas et Demoustier, le second expert produit la même analyse et les mêmes conclusions que celles qui sont exposées aux points 22 et 23.

29. La société Eiffage Route Nord-Est, venant aux droits de la société Routière Morin Aisne, conteste les conclusions de la seconde expertise au motif que celle-ci a été réalisée plus de dix ans après la réception des travaux qui est intervenue en 2007 et que les constatations effectuées par le cabinet Moreau, sollicité par la commune, ne présentent pas de caractère contradictoire. Il résulte de l'instruction, et notamment du constat effectué par le cabinet Moreau le 1er juin 2015, lequel constitue un élément d'information qui n'est pas remis en cause, que les dégradations étaient réelles sur les ouvrages du carrefour des rues Alexandre Dumas et Demoustier avant l'expiration du délai de responsabilité décennale même si elles étaient moins avancées que les dégradations constatées sur les ouvrages des tranches précédentes. Ces désordres sont donc de nature décennale.

30. Si la société Eiffage Route Nord-Est soutient qu'il n'est pas démontré que les pierres posées pour la tranche 3 seraient identiques à celles posées pour la tranche 1 et que l'expert n'a pas fait réaliser des essais sur les pierres posées par la société Routière Morin Aisne, cette circonstance, à la supposer même établie, n'est pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité décennale à l'égard du maître d'ouvrage.

31. Ainsi, la commune est fondée à demander l'engagement de la responsabilité décennale du constructeur pour ces ouvrages alors même que certains désordres ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.

32. Le total des travaux estimés par l'expert pour remédier à la situation actuelle, en conformité avec le marché de travaux et les règles de l'art, est d'un montant de 131 722,82 euros hors-taxes auquel il faut ajouter les frais annexes à hauteur de 9,5 %, soit la somme de 12 513,66 euros.

33. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés au point 20, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'actualisation formée par la commune de Villers-Cotterêts.

34. En appliquant le taux de taxe de valeur ajoutée en vigueur à la date du présent arrêt, il résulte de ce qui précède que le montant du préjudice subi par la commune doit être fixé à la somme de 173 083,77 euros toutes taxes comprises laquelle doit être supportée par la société Eiffage Route Nord-Est.

En ce qui concerne les conclusions relatives à la tranche 4 :

35. Les travaux de la tranche 4 concernent la réfection des sols de la cour de l'hôtel de ville. Il résulte de l'instruction que la société Routière Morin Aisne, aux droits de laquelle est venue la société Eiffage Route Nord-Est, était liée par un contrat au maître de l'ouvrage, notamment par l'ordre de service n° 17 du 30 juin 2006 adressé à la société Routière Morin Aisne d'un montant de 34 201,12 euros toutes taxes comprises, que ces travaux ont été effectués par la société Routière Morin Aisne, ce qui n'est pas contesté par la société Eiffage Route Nord-Est, et que celle-là avait donc la qualité de constructeur des ouvrages réalisés.

36. L'expert relève que les désordres sont moins importants que dans les précédentes tranches et les constats effectués par le rapport d'audit technique du cabinet Moreau, le 1er juin 2015, montrent que les dégradations sont réelles sur cette partie des travaux mêmes si elles sont moins avancées. Il résulte également du rapport du second expert que ces dégradations se sont poursuivies jusqu'en 2020. Elles concernent les bordures, les pavés de rive, les pavés de fils d'eau, les dalles de trottoir et quelques mètres linéaires d'inclusion de pierres calcaires en chaussée. Il s'agit des ouvrages 1, 2, 3, 4 et 6. L'analyse de la nature des désordres est la même que pour les ouvrages des autres tranches. Enfin, l'expert relève que, selon la commune de Villers-Cotterêts, le cahier des clauses techniques particulières de la tranche 4 est le même que celui de la tranche 3, ce que la société Eiffage Route Nord-Est n'a contesté ni lors de l'expertise ni dans ses écritures.

37. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés au point 29 et 30, la société Eiffage Route Nord-Est n'est pas fondée à soutenir que sa responsabilité décennale ne peut pas être engagée à l'égard de la commune de Villers-Cotterêts, à raison des désordres constatés dans la cour de l'hôtel de ville alors même que ceux-ci ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.

38. Ainsi, la commune est fondée à soutenir que la responsabilité décennale du constructeur est engagée pour ces ouvrages.

39. Le total des travaux estimés par l'expert pour remédier à la situation actuelle, en conformité avec le marché de travaux et les règles de l'art, est d'un montant de 43 234,64 euros hors-taxes, auquel il faut ajouter les frais annexes à hauteur de 9,5 %, soit la somme de 4 107,29 euros.

40. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés au point 20, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'actualisation formée par la commune de Villers-Cotterêts.

41. En appliquant le taux de taxe de valeur ajoutée en vigueur à la date du présent arrêt, il résulte de ce qui précède que le montant du préjudice subi par la commune doit être fixé à la somme de 56 810,31 euros toutes taxes comprises et doit être supporté par la société Eiffage Route Nord-Est.

Sur les préjudices annexes :

42. La commune de Villers-Cotterêts demande le remboursement de ses frais de représentation par un avocat durant l'expertise, de ses frais d'huissier de justice ainsi que de ses frais d'assistance à maitrise d'ouvrage occasionnés par l'ensemble de ces désordres.

43. Durant le déroulement des opérations d'expertise, la commune était représentée notamment par des élus et par les agents compétents des services municipaux. Il ne résulte pas de l'instruction que, dans les circonstances de l'espèce, l'assistance d'un avocat ait été utile à la solution du litige. Dès lors, sa demande de réparation des frais ainsi exposés doit être rejetée.

44. Il résulte de l'instruction que les interventions d'huissiers de justice et d'un cabinet de conseils techniques, ont été utiles à la solution du litige. Les frais occasionnés par ces interventions doivent donc être mis à la charge solidaire de la société Atelier Villes et Paysages, de la société Infra Services, de la société Hublin et de la société Eiffage Route Nord-Est.

45. Le montant justifié des frais d'huissier de justice s'élève à 4 799,40 euros toutes charges comprises, la dépense de 866,48 euros pour un constat qui aurait été effectué en 2016 n'étant pas établie par la commune.

46. Les frais de conseils techniques s'élèvent à la somme 97 584,56 euros toutes charges comprises, laquelle n'est pas exagérée au regard des études produites durant l'instance.

47. Il résulte de ce qui précède que le préjudice subi par la commune au titre de ces préjudices annexes s'élève à la somme de 102 383,96 euros toutes charges comprises.

48. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Villers-Cotterêts est fondée à demander la condamnation in solidum de la société Hublin, de la société Atelier Villes et Paysages et de la société Infra Services à lui verser la somme de 1 125 215,1 euros toutes taxes comprises, la condamnation de la société Hublin à lui verser la somme de 341 383,36 euros toutes taxes comprises, la condamnation de la société Eiffage Route Nord-Est, venant aux droits de la société Routière Morin Aisne, à lui verser la somme de 229 894,08 euros toutes taxes comprises et la condamnation in solidum des sociétés Atelier Villes et Paysages, Infra Services, Hublin et Eiffage Route Nord-Est à lui verser la somme de 102 383,96 euros toutes taxes comprises.

S'agissant des conclusions d'appel provoqué présentées par la société Atelier Villes et Paysages et la société Infra Services :

49. En premier lieu, la société Atelier Villes et Paysages et la société Infra Services demandent chacune que l'une garantisse l'autre, et réciproquement, des condamnations prononcées à leur encontre. Mais la société Atelier Villes et Paysages soutient qu'elle n'est pas intervenue dans la mission de contrôle de l'exécution des travaux et la société Infra Services fait valoir que la répartition des tâches figurant dans une annexe à la convention de maîtrise d'œuvre avec la commune prévoyait une rémunération de l'autre membre du groupement près de deux fois supérieure à la sienne pour l'exercice de cette mission. Alors qu'aucune convention de répartition des tâches entre les membres du groupement n'a été conclue, les deux parties n'établissent pas le rôle exact de chacun des membres du groupement dans l'exercice de la mission de direction de l'exécution des travaux, et notamment dans la détermination du processus de contrôle de la qualité des matériaux effectivement mis en place, ni les fautes respectives qu'elles estiment que la société appelée en garantie aurait commises dans l'exécution de sa mission. Les rapports d'expertise ne se prononcent pas sur ce point. Dès lors, les conclusions d'appel en garantie réciproques présentées, par voie d'appel provoqué, par la société Atelier Ville et Paysages et par la société Infra Services doivent être rejetées.

50. En second lieu, la société Atelier Villes et Paysages et la société Infra Services demandent respectivement, par la voie de l'appel provoqué, que la société Hublin soit condamnée à les garantir chacune des condamnations prononcées à leur encontre. Il résulte de l'instruction que la société Hublin n'a pas vérifié la qualité des pierres calcaires utilisées au regard des caractéristiques minimales exigées par les stipulations du marché de travaux, en se contentant du document produit par le fournisseur des matériaux présentant leurs caractéristiques. Elle a ainsi commis une faute dans l'exécution du marché en mettant en place des pierres calcaires dont les caractéristiques physiques ne respectaient pas les clauses du marché. Le groupement de maîtrise d'œuvre s'est également satisfait du même document produit par la société fournissant les matériaux, sans s'assurer que la qualité des matériaux effectivement mis en place avait été vérifiée et ne s'est ainsi pas mis en mesure de contrôler leur conformité aux stipulations du cahier des clauses techniques particulières du marché de travaux. Il a ainsi commis une faute dans sa mission de direction de l'exécution des travaux, dont l'objet est notamment de s'assurer que l'exécution des travaux est conforme aux prescriptions du marché de travaux, lesquelles prévoyaient en outre l'agrément des matériaux utilisés.

51. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de fixer la part de la responsabilité imputable à la société Hublin à 70 % et celle des membres du groupement de maitrise d'œuvre à 30 %. Dès lors, la société Hublin devra garantir dans cette mesure la société Atelier Villes et Paysage et la société Infra Services des condamnations prononcées à leur encontre.

Sur les dépens :

52. Les frais de la seconde expertise, liquidés et taxés à la somme de 29 155,86 euros par une ordonnance du 22 mars 2021 du président de la cour, doivent être mis à la charge solidaire de la société Atelier Villes et Paysages, de la société Infra Services, de la société Hublin et de la société Eiffage Route Nord-Est.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

53. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge solidaire de la société Atelier Ville et Paysages, de la société Infra Services, de la société Hublin et de la société Eiffage Route Nord-Est, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune de Villers-Cotterêts et non compris dans les dépens.

54. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la commune de Villers-Cotterêts les sommes que la société Atelier Villes et Paysages, la société Infra Services et la société Eiffage Route Nord-Est demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1 : La société Hublin, la société Atelier Villes et Paysages et la société Infra Services sont condamnées solidairement à verser à la commune de Villers-Cotterêts la somme de 1 125 215,1 euros toutes taxes comprises.

Article 2 : La société Hublin est condamnée à verser à la commune de Villers-Cotterêts la somme de 341 383,36 euros toutes taxes comprises.

Article 3 : La société Eiffage Route Nord-Est est condamnée à verser à la commune de Villers-Cotterêts la somme de de 229 894,08 euros toutes taxes comprises.

Article 4 : La société Hublin, la société Atelier Villes et Paysages, la société Infra Services et la société Eiffage Route Nord-Est sont condamnées solidairement à verser à la commune de Villers-Cotterêts la somme de 102 383,96 euros toutes taxes comprises.

Article 5 : La société Hublin garantira la société Atelier Villes et Paysages et la société Infra Services à hauteur de 70 % des condamnations prononcées aux articles 1er et 4 du présent arrêt.

Article 6 : Les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 29 155,86 euros, sont mis à la charge solidaire de la société Atelier Villes et Paysages, de la société Infra Services, de la société Hublin et de la société Eiffage Route Nord-Est.

Article 7 : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 15 décembre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 8 : La société Hublin, la société Atelier Villes et Paysages, la société Infra Services et la société Eiffage Route Nord-Est verseront solidairement à la commune de Villers-Cotterêts une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 9 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 10 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Villers-Cotterêts, à la société Hublin, à la société Atelier Villes et Paysages, à la société Infra Services, à la société Eiffage Route Nord-Est et à la société Aviva assurances, nouvellement dénommée société Abeille Iard et Santé.

Copie en sera transmise, pour information, au préfet de l'Aisne et au président du tribunal de commerce de Soissons.

Délibéré après l'audience publique du 28 avril 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. E... B..., magistrat administratif honoraire ;

- M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mai 2022.

Le rapporteur,

Signé : J.-P. B...

La présidente de la 3ème chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Huls-Carlier

N° 18DA00350 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18DA00350
Date de la décision : 25/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04 Marchés et contrats administratifs. - Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. - Responsabilité décennale.


Composition du Tribunal
Président : M. Boulanger
Rapporteur ?: Mme Claire Rollet-Perraud
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : M2J AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-05-25;18da00350 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award