Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 12 septembre 2019 par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire lui a refusé l'accès au centre nucléaire de production d'électricité de Gravelines.
Par un jugement n° 1909679 du 4 juin 2021, le tribunal administratif de Lille a annulé cette décision et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 5 août 2021 sous le n° 21DA01886, la ministre de la transition écologique demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif n'est pas fondé ;
- s'agissant des autres moyens soulevés par M. A..., l'agent ayant instruit l'enquête administrative, enquêteur au bureau des accédants du nucléaire depuis le 12 octobre 2017, était habilité ;
- M. A... a été informé de l'existence de l'enquête administrative dont il a fait l'objet ;
- en tout état de cause, une telle omission n'est pas de nature à avoir une incidence sur le sens de la décision prise et n'a pas davantage privé l'intéressé d'une garantie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2021, M. A..., représenté par Me Antoine Deguines, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 1er décembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 janvier 2022, à 12 heures.
II. Par une requête, enregistrée le 9 août 2021 sous le n° 21DA01923, la ministre de la transition écologique demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif du 4 juin 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de l'environnement ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le décret n° 2017-1224 du 3 août 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente-rapporteure,
- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société d'intérim CAMO Emploi a souhaité employer M. A... en vue de contrats de longues missions sur des sites de production nucléaire d'électricité. La demande d'autorisation d'accès au centre nucléaire de production d'électricité de Gravelines, présentée par l'employeur de M. A..., a été rejetée le 24 mai 2019. Par une décision du 12 septembre 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire a rejeté le recours administratif préalable formé par M. A... le 15 juillet 2019 contre ce refus. La ministre de la transition écologique relève appel du jugement du 4 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille, à la demande de M. A..., a annulé cette décision. Elle a également demandé le sursis à exécution de ce jugement.
Sur la jonction :
2. Les requêtes, enregistrées sous les nos 21DA01886 et 21DA01923, tendent respectivement à l'annulation et au sursis à exécution du même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Lille :
3. Les centres nucléaires de production d'électricité constituent, selon les dispositions combinées des articles L.1332-1 et L. 1332-2 du code de la défense et L. 593-1 du code de l'environnement, des installations et ouvrages d'importance vitale dont l'accès est, en vertu des dispositions de l'article L. 1332-2-1 du code de la défense, soumis à une autorisation préalable de l'opérateur, délivrée dans les conditions et selon les modalités définies par décret en Conseil d'Etat. Ainsi, aux termes de l'article R. 1332-22-1 du code de la défense, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " Avant d'autoriser l'accès d'une personne à tout ou partie d'un point d'importance vitale qu'il gère ou utilise, l'opérateur d'importance vitale peut demander par écrit, selon le cas, l'avis : 1° Du préfet du département dans le ressort duquel se situe le point d'importance vitale ; (...) Cette demande peut justifier que soit diligentée sous le contrôle de l'autorité concernée une enquête administrative destinée à vérifier que les caractéristiques de la personne physique ou morale intéressée ne sont pas incompatibles avec l'accès envisagé et pouvant donner lieu à la consultation des traitements automatisés de données personnelles mentionnés à l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978. (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier et notamment de l'enquête administrative réalisée par le commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire et d'une note blanche du 16 juin 2020 du service central du renseignement territorial, produites en première instance par le ministre de la transition écologique et solidaire, que M. A..., qui fait l'objet d'un suivi par les services de renseignement depuis 2017, entretient des liens avec le trésorier d'une association gérant une mosquée affiliée au mouvement Tabligh. Ce trésorier se livre régulièrement à des actes de prosélytisme en France et parfois à l'étranger. L'enquête précise que la doctrine tablighie est en contradiction avec les valeurs et principes de laïcité de la République. M. A... soutient avoir une pratique modérée de l'islam, en produisant diverses attestations de personnes fréquentant le bar restaurant situé à Calais dont il dit être le gérant. Toutefois, les éléments contenus dans l'enquête sont suffisamment précis pour caractériser la vulnérabilité de M. A... compte tenu de sa proximité avec une personne impliquée dans cette mouvance rigoriste et prosélyte, alors que ses fonctions au sein de la société CAMO Emploi lui permettraient d'accéder dans toutes les zones y compris la zone vitale du site de Gravelines. Dans ces conditions, en considérant que les caractéristiques de M. A..., au sens des dispositions précitées de l'article R. 1332-22-1 du code de la défense, n'étaient pas compatibles avec l'accès envisagé dans des points d'importance, le ministre de la transition écologique et solidaire n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de l'irrégularité du jugement, la ministre de la transition écologique est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé, pour ce motif, sa décision du 12 septembre 2019.
5. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif et la cour.
Sur les autres moyens soulevés par M. A... contre la décision du 12 septembre 2019 :
6. Il ressort de l'attestation du 25 juin 2020 du général de corps d'armée, directeur du commandement spécialisée pour la sécurité nucléaire, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire, que l'adjudant-chef qui a instruit l'enquête administrative sur M. A..., en poste depuis octobre 2017 au bureau des accédants du nucléaire, était habilité à accéder au traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé Automatisation de la consultation centralisée de renseignement et de données (ACCReD). Par suite, le moyen tiré de ce qu'il n'est pas justifié de l'habilitation spéciale de l'agent chargé du dossier de M. A... doit être écarté.
7. Aux termes de l'article L. 1332-2-1 du code de la défense : " La personne concernée est informée de l'enquête administrative dont elle fait l'objet ". Aux termes de l'article R. 1332-22-3 du même code : " L'opérateur d'importance vitale informe par écrit la personne concernée de la demande d'avis formulée auprès de l'autorité administrative et lui indique que, dans ce cadre, elle fait l'objet d'une enquête administrative conformément aux dispositions de l'article L. 1332-2-1 du présent code ".
8. S'il n'est pas établi par la ministre de la transition écologique, que M. A... aurait été informé de ce qu'il faisait l'objet d'une enquête administrative, une telle omission n'a pu exercer d'influence sur le sens de la décision prise au vu des résultats de l'enquête, ni avoir privé l'intéressé d'une garantie, dès lors que les dispositions précitées du code de la défense, qui se bornent à prévoir une simple information de l'intéressé, n'ont ni pour objet, ni pour effet de donner un caractère contradictoire à cette enquête. M. A... n'avait pas plus à être informé du contenu de l'enquête administrative, préalablement à l'édiction de la décision. Dès lors, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions précitées et de l'absence de communication des résultats de l'enquête doivent être écartés.
Sur la demande de sursis à exécution du jugement :
9. La cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 21DA01923 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la ministre de la transition écologique est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé sa décision du 12 septembre 2019 et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par suite, il y a lieu d'annuler le jugement du tribunal administratif du 4 juin 2021 et de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille ainsi que ses conclusions présentées en appel sur le fondement du l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 4 juin 2021 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif et ses conclusions présentées en appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 21DA01923 tendant au sursis à l'exécution du jugement.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la transition écologique et à M. B... A....
Délibéré après l'audience publique du 10 mars 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mars 2022.
Le président-assesseur,
Signé : M. C...
La présidente de chambre,
présidente-rapporteure,
Signé : G. BorotLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
C. Huls-Carlier
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N°s21DA01886, 21DA01923
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N°"Numéro"