Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 8 mars 2018 par lequel la rectrice de l'académie de Lille l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire, d'enjoindre à l'Etat de le réintégrer dans ses fonctions à compter du 8 mars 2018 dans le délai d'un mois sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1803457 du 26 février 2021, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté, a enjoint à la rectrice de l'académie de Lille, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit et de fait, de réintégrer M. C... dans ses fonctions d'enseignant dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 avril 2021, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 72-581 du 4 juillet 1972 ;
- l'arrêté du 9 août 2004 portant délégation de pouvoirs du ministre chargé de l'éducation aux recteurs d'académie en matière de gestion des personnels enseignants, d'éducation, d'information et d'orientation de l'enseignement du second degré ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente-rapporteure,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- les observations de Me Benjamin Marcilly, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C..., professeur certifié, en fonction au collège Jean Monnet de Grand-Fort-Philippe, a été suspendu de ses fonctions d'enseignant par un arrêté du recteur de l'académie de Lille du 26 janvier 2012. Par la suite, les arrêtés du 13 août 2012 et 8 mars 2013 par lesquels le recteur a décidé la prolongation de la mesure de suspension de l'intéressé ont été annulés respectivement par un jugement du 21 octobre 2014 du tribunal administratif de Lille, confirmé par la cour dans un arrêt du 3 août 2016 et, par un jugement du 10 juillet 2015 du tribunal administratif de Lille. Par un arrêt n° 416007 du 12 février 2020, rendu dans le cadre d'une procédure en exécution de ce jugement, le Conseil d'Etat a relevé que l'administration avait pris les mesures juridiques nécessaires à la réintégration juridique de M. C.... Mis en examen pour violences volontaires aggravées sans incapacité, M. C... a été placé à compter du 9 juillet 2014, sous contrôle judiciaire lui interdisant notamment de se livrer à des fonctions d'enseignement à l'égard de mineurs et de se rendre sur son lieu d'affectation. Son contrôle judiciaire a été assoupli en 2016. Il a été renvoyé devant le tribunal correctionnel et maintenu sous contrôle judiciaire, par une décision du 17 octobre 2017 du juge d'instruction. Par un jugement du 22 janvier 2018, le tribunal correctionnel a fait droit à la demande de mainlevée du contrôle judiciaire présentée par M. C.... En conséquence, M. C... a demandé, par lettre du 24 janvier 2018, à être réintégré sur un poste. Par un arrêté du 8 mars 2018, la rectrice de l'académie de Lille a suspendu M. C... de ses fonctions. Le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports relève appel du jugement du 26 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté, a enjoint à la rectrice de l'académie de Lille, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit et de fait, de réintégrer M. C... dans ses fonctions d'enseignant dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. / Si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions. S'il fait l'objet de poursuites pénales et que les mesures décidées par l'autorité judicaire ou l'intérêt du service n'y font pas obstacle, il est également rétabli dans ses fonctions à l'expiration du même délai. Lorsque, sur décision motivée, il n'est pas rétabli dans ses fonctions, il peut être affecté provisoirement par l'autorité investie du pouvoir de nomination, sous réserve de l'intérêt du service, dans un emploi compatible avec les obligations du contrôle judiciaire auquel il est, le cas échéant, soumis. A défaut, il peut être détaché d'office, à titre provisoire, dans un autre corps ou cadre d'emplois pour occuper un emploi compatible avec de telles obligations. L'affectation provisoire ou le détachement provisoire prend fin lorsque la situation du fonctionnaire est définitivement réglée par l'administration ou lorsque l'évolution des poursuites pénales rend impossible sa prolongation. (...) ".
3. Une mesure de suspension de fonctions ne peut être prononcée à l'encontre d'un fonctionnaire que lorsque les faits imputables à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et que l'éloignement de l'intéressé se justifie au regard de l'intérêt du service. Eu égard à la nature conservatoire d'une mesure de suspension et à la nécessité d'apprécier, à la date à laquelle cet acte a été pris, la condition tenant au caractère vraisemblable des faits, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de statuer au vu des informations dont disposait effectivement l'autorité administrative au jour de sa décision.
4. S'il ressort des pièces du dossier que M. C... n'a jamais été réintégré de manière effective dans une quelconque fonction entre l'expiration du délai de quatre mois lors de la première mesure de suspension du 26 janvier 2012 et le 8 mars 2018, date de l'arrêté attaqué, son contrôle judiciaire du 9 juillet 2014 y faisant obstacle, cette circonstance ne suffit pas à le faire regarder comme ayant été suspendu au sens de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 durant toute cette période dès lors que le tribunal administratif a annulé les deux mesures de prolongation de suspension prises à son encontre et que l'administration a effectivement procédé à sa réintégration juridique de manière rétroactive, comme l'ont jugé la cour dans son arrêt n° 16DA02224 du 6 juillet 2017 et le Conseil d'Etat, dans sa décision n° 416007 du 12 février 2020. L'arrêté en litige doit, dès lors, être regardé comme une nouvelle mesure de suspension initiale et non comme un maintien de la suspension prononcée le 26 janvier 2012.
5. Les circonstances que les faits reprochés à M. C... datent de plusieurs années et qu'il ait déjà fait l'objet d'une mesure de suspension de quatre mois en 2012 ne faisaient pas obstacle, alors qu'aucune sanction disciplinaire n'était encore intervenue, à ce que l'administration décide qu'une nouvelle mesure de suspension devait être prise, à raison de ces mêmes faits, par application des dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 précitées. Par ailleurs, à la date de l'arrêté, les faits reprochés présentaient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité, dès lors que l'intéressé avait été mis en examen pour des faits de violence volontaire sur mineur et placé sous contrôle judiciaire à compter du 9 juillet 2014, lui interdisant notamment de se livrer à des fonctions d'enseignement à l'égard de mineurs. A... égard à l'imminence de la tenue de son audience correctionnelle prévue le 14 mai 2018, qui constituait un élément nouveau dont l'administration avait été informée par lettre du 2 mars 2018 du procureur de la République, la rectrice de l'académie a donc pu estimer que la suspension de l'intéressé se justifiait à nouveau au regard de l'intérêt du service, quand bien même son contrôle judiciaire avait été levé à compter du 22 janvier 2018 et que le conseil de discipline n'avait pas été saisi à la date de l'arrêté contesté. S'agissant d'une nouvelle mesure de suspension initiale sans que quatre mois ne se soient écoulés, l'administration n'était pas tenue d'envisager une réaffectation dans un emploi d'enseignement à distance, au Centre national d'enseignement à distance ou dans l'un des groupements d'établissements (GRETA) exerçant une mission de formation continue à destination des adultes. Dans ces conditions, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé son arrêté de suspension au motif tiré de l'absence d'intérêt du service à éloigner M. C... des fonctions d'enseignement.
6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif et la cour.
Sur les autres moyens dirigés contre l'arrêté du 8 mars 2018 :
7. En premier lieu, il ressort des mentions de l'arrêté contesté et du cachet apposé, que M. Dominique Martiny, secrétaire général de l'académie a signé cet arrêté pour la rectrice et par délégation. Par suite, le moyen tiré de ce que le signataire de l'acte n'est pas clairement identifié doit être écarté.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 911-82 du code de l'éducation : " Le ministre chargé de l'éducation peut déléguer par arrêté aux recteurs d'académie tout ou partie de ses pouvoirs en matière de recrutement et de gestion des personnels titulaires, stagiaires, élèves et non titulaires de l'Etat qui relèvent de son autorité ". L'article R. 911-84 du même code dispose que : " Ne peuvent faire l'objet de la délégation prévue à l'article R. 911-82, pour les personnels de la catégorie A désignée à l'article 29 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, les décisions relatives à la nomination, à l'avancement de grade, à la mise à disposition, au détachement lorsque celui-ci nécessite un arrêté interministériel ou l'accord d'un ou de plusieurs ministres, à la mise en position hors cadres, à l'exercice du pouvoir disciplinaire et à la cessation de fonctions. / Toutefois, peuvent faire l'objet de la délégation prévue à l'article R. 911-82 : / (...) 3° Pour les personnels enseignants, d'éducation, d'information et d'orientation : / (...) d) Les sanctions disciplinaires des premier et deuxième groupes (...) ". Enfin, aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 9 août 2004 portant délégation de pouvoirs du ministre chargé de l'éducation aux recteurs d'académie en matière de gestion des personnels enseignants, d'éducation, d'information et d'orientation de l'enseignement du second degré : " Délégation permanente de pouvoirs du ministre chargé de l'éducation est donnée aux recteurs d'académie : I.- Pour prononcer à l'égard des personnels enseignants, d'éducation, d'information et d'orientation de l'enseignement du second degré et des personnels stagiaires de ces mêmes corps, sous réserve des dispositions de l'article 2 ci-dessous (...) :/ (...) 23. Les sanctions disciplinaires des premier et deuxième groupes (...) ".
9. Il résulte des dispositions précitées que la délégation d'une partie du pouvoir disciplinaire entraîne nécessairement qu'aussi bien l'autorité délégataire que l'autorité délégante ont le pouvoir de suspendre les agents concernés. Ainsi, s'agissant des membres du corps des professeurs certifiés, les dispositions de l'arrêté du 9 août 2004, prises sur le fondement de celles du décret du 21 août 1985 relatif à la déconcentration de certaines opérations de gestion du personnel relevant du ministère de l'éducation nationale, codifiées aux articles R. 911-82 et R. 911-84 du code de l'éducation, autorisent aussi bien les recteurs d'académie que le ministre chargé de l'éducation nationale à prononcer la suspension des professeurs certifiés.
10. Il en résulte que la rectrice de l'académie de Lille était compétente pour prononcer la suspension de M. C..., professeur certifié. Par un arrêté du 26 février 2018 publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, M. Martiny, secrétaire général de l'académie de Lille, a reçu délégation de la rectrice à l'effet de signer notamment en matière de gestion du personnel les actes définis par l'arrêté du 9 août 2004 portant délégation de délégations de pouvoir du ministre chargé de l'éducation aux recteurs d'académie en matière de gestion des personnels enseignants, d'éducation, d'information et d'orientation de l'enseignement du second degré, tels que cités notamment au point 8. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit être écarté.
11. En troisième lieu, une mesure revêt le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent.
12. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier ni de la circonstance que deux précédentes mesures de prolongation de suspension ont été annulées que l'administration aurait eu l'intention de sanctionner M. C... en prenant une nouvelle mesure de suspension laquelle, ainsi qu'il a été dit au point 5, était justifiée par la nature des faits reprochés à M. C... et l'imminence d'une audience correctionnelle. Par suite, le moyen tiré de ce que la mesure de suspension constitue une sanction disciplinaire déguisée ne peut qu'être écarté.
13. La mesure de suspension en litige ne présente pas, ainsi qu'il vient d'être dit, le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée, mais constitue une mesure conservatoire exclusivement prise dans l'intérêt du service. Elle n'est donc pas au nombre des décisions qui doivent être motivées et n'avait pas à être précédée des garanties qui sont attachées à une procédure disciplinaire. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision est insuffisamment motivée, de ce que M. C... n'a pas eu accès à son " dossier de carrière ", de ce que l'avis du conseil de discipline n'a pas été recueilli, et de ce que la mesure ne correspond à aucune des sanctions prévues par les dispositions de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 doivent être écartés comme inopérants.
14. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 8 mars 2018, a enjoint à la rectrice de l'académie de Lille, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit et de fait, de réintégrer M. C... dans ses fonctions d'enseignant dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par suite il y a lieu d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 26 février 2021 et de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, la somme que M. C... réclame sur ce fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 26 février 2021 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et à M. B... C....
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N°21DA00908
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