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03/02/2022 | FRANCE | N°21DA00079

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 03 février 2022, 21DA00079


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler les décisions des 2 mars et 4 avril 2018 par lesquelles le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille a procédé à une retenue à hauteur de 6/30ème sur son traitement mensuel pour absence de service fait pour la période allant du 23 au 28 janvier 2018 et de condamner l'administration à lui verser la somme de 300 euros à titre de dommages et intérêts.

Par une ordonnance n° 1808027 du 10 novembre 2020, la prési

dente de la troisième chambre du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler les décisions des 2 mars et 4 avril 2018 par lesquelles le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille a procédé à une retenue à hauteur de 6/30ème sur son traitement mensuel pour absence de service fait pour la période allant du 23 au 28 janvier 2018 et de condamner l'administration à lui verser la somme de 300 euros à titre de dommages et intérêts.

Par une ordonnance n° 1808027 du 10 novembre 2020, la présidente de la troisième chambre du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 14 janvier et 17 mai 2021, M. A..., représenté par Me Gautier Lacherie, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 10 novembre 2020 par laquelle la présidente de la troisième chambre du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ;

2°) d'annuler la décision du 2 mars 2018 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille opérant une retenue de 5/30ème de sa rémunération mensuelle ;

3°) d'annuler la décision du 4 avril 2018 du directeur interrégional adjoint des services pénitentiaires de Lille opérant une retenue de 1/30ème de sa rémunération mensuelle ;

4°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de restituer à M. A... les retenues opérées en exécution des décisions annulées dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 ;

- la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2017-1387 du 30 décembre 2017 ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., surveillant pénitentiaire affecté à la direction interrégionale des services pénitentiaires de Lille au sein du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil, a adressé à son administration un avis d'arrêt de travail établi par un médecin généraliste pour la période du 23 janvier au 28 janvier 2018 inclus. Considérant que l'agent était en situation d'absence non justifiée, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille a décidé d'appliquer une retenue de 5 trentièmes pour service non fait du 23 au 27 janvier 2018 sur son traitement mensuel par une décision du 2 mars 2018, puis une retenue de 1 trentième pour service non fait le 28 janvier 2018 sur son traitement mensuel par une décision du 4 avril 2018. M. A... a demandé au tribunal administratif de Lille l'annulation de ces décisions. M. A... relève appel de l'ordonnance de la présidente de la troisième chambre du tribunal administratif de Lille par laquelle le tribunal a rejeté sa requête pour irrecevabilité manifeste.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, les premiers vice-présidents des tribunaux et des cours, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours et les magistrats ayant une ancienneté minimale de deux ans et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller désignés à cet effet par le président de leur juridiction peuvent, par ordonnance : (...) 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ". Aux termes de l'article R. 411-1 du même code : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. ".

3. La requête introductive d'instance de M. A... se référait explicitement à son recours hiérarchique qui y était joint et qui soulevait plusieurs moyens à l'encontre des décisions attaquées, ce qui a conféré à cette requête un caractère suffisamment motivé au sens des dispositions précitées. Dès lors, en considérant que M. A... n'assortissait sa requête d'aucun moyen de droit ou de fait permettant au tribunal de se prononcer sur la légalité des décisions contestées et d'apprécier le bien-fondé de sa demande indemnitaire, la présidente de la troisième chambre du tribunal administratif de Lille a entaché son ordonnance d'irrégularité.

4. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler l'ordonnance attaquée et de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille.

Sur les conclusions d'annulation :

5. Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958, alors applicable, relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire : " Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l'administration pénitentiaire est interdit (...) ". Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) ". L'article 25 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, dispose que : " Pour obtenir un congé de maladie ainsi que le renouvellement du congé initialement accordé, le fonctionnaire adresse à l'administration dont il relève, dans un délai de quarante-huit heures suivant son établissement, un avis d'interruption de travail. (...) / L'administration peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption du versement de sa rémunération, à cette contre-visite. / Le comité médical compétent peut être saisi, soit par l'administration, soit par l'intéressé, des conclusions du médecin agréé ".

6. Si en vertu des dispositions précitées l'agent qui adresse à l'administration un avis d'interruption de travail est placé de plein droit en congé de maladie dès la demande qu'il a formulée sur le fondement d'un certificat médical, cela ne fait pas obstacle à ce que l'administration conteste le bien-fondé de ce congé. Dans des circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, lorsqu'en dehors d'une période d'épidémie un nombre important et inhabituel d'arrêts maladie sont adressés à l'administration sur une courte période et que l'administration démontre avoir été dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'article 25 du décret du 14 mars 1986, l'administration peut contester le bien-fondé de ce congé par tous moyens. Il appartient alors à l'agent, seul détenteur des éléments médicaux, d'établir que ce congé était dûment justifié par des raisons médicales.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a adressé un certificat médical d'interruption de travail à son employeur pour la période du 23 au 28 janvier 2018. Mais cet arrêt est intervenu dans le contexte d'un mouvement social de grande ampleur des surveillants pénitentiaires avec un appel au blocage des établissements pénitentiaires par les organisations syndicales et alors qu'un nombre très élevé des personnels de surveillance a interrompu son travail et envoyé des arrêts pour maladie à l'administration.

8. Dès lors, au regard de ces circonstances particulières, l'administration, en l'absence même de contre-visite, peut, en application du principe énoncé au point 6, contester par tout moyen le bien-fondé de l'arrêt maladie de M. A.... Mais en l'espèce, l'arrêt de travail de ce dernier, d'une durée de six jours était motivé par une " tendinite du poignet droit ". Il ressort des éléments qu'il a produits que dès le 4 janvier 2018, soit avant les agressions du 11 janvier 2018 ayant conduit à un blocage des établissement pénitentiaires, l'intéressé avait subi une IRM du poignet droit pour un bilan d'une douleur de la région palmaire. Par la suite, il a consulté un ostéopathe les 1er et 12 février 2018, pour des douleurs notamment au poignet droit. Ces éléments médicaux ont été portés à la connaissance de l'administration dès le recours hiérarchique de l'intéressé. Dans les circonstances de l'espèce, M. A... doit être regardé comme établissant que son arrêt de travail était justifié par des raisons médicales. Il suit de là que les retenues prononcée pour service non fait sur son traitement mensuel méconnaissent les dispositions rappelées au point 5.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à demander l'annulation les décisions des 2 mars et 4 avril 2018 par lesquelles le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille a procédé à une retenue cumulée de 6/30ème sur son traitement mensuel pour absence de service fait pour la période allant du 23 au 28 janvier 2018.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

10. Eu égard au motif exposé au point 8, l'annulation des décisions attaquées implique nécessairement la restitution à M. A... des retenues opérées en exécution des décisions annulées. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de restituer les sommes retenues du fait des décisions annulées, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par l'appelant.

Sur les conclusions indemnitaires :

11. M. A... demande la réparation, à hauteur de 300 euros, d'un préjudice qu'il estime avoir subi. Toutefois, alors que par l'effet de la présente décision, il obtient le reversement des retenues sur son traitement, il n'apporte aucune précision quant à la réalité d'un préjudice distinct dont il entendrait ainsi se prévaloir. Par conséquent, ses conclusions indemnitaires doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros demandée par M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 1808027 du 10 novembre 2020 de la présidente de la troisième chambre du tribunal administratif de Lille est annulée.

Article 2 : La décision du 2 mars 2018 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille opérant une retenue de 5/30ème de la rémunération mensuelle de M A... est annulée.

Article 3 : La décision du 4 avril 2018 du directeur interrégional adjoint des services pénitentiaires de Lille opérant une retenue de 1/30ème de la rémunération mensuelle de M. A... est annulée.

Article 4 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de restituer les 6/30ème du traitement mensuel du mois de janvier 2018 de M. A... retenus en exécution des décisions annulées dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 5 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 7: Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA00079
Date de la décision : 03/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-08-02-01 Fonctionnaires et agents publics. - Rémunération. - Traitement. - Retenues sur traitement.


Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Ghislaine Borot
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : SCP CAPELLE - HABOURDIN - LACHERIE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-02-03;21da00079 ?
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