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06/01/2022 | FRANCE | N°20DA01108

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 06 janvier 2022, 20DA01108


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner 1'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis du fait du harcèlement moral et de la discrimination dont il aurait fait l'objet, avec intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2018 et capitalisation des intérêts pour la première fois le 6 mars 2019, d'annuler la décision du 26 juin 2018 du ministre de la justice rejetant sa demande de protection fonctionnelle,d'enjoindre au mini

stre de la justice de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnel...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner 1'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis du fait du harcèlement moral et de la discrimination dont il aurait fait l'objet, avec intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2018 et capitalisation des intérêts pour la première fois le 6 mars 2019, d'annuler la décision du 26 juin 2018 du ministre de la justice rejetant sa demande de protection fonctionnelle,d'enjoindre au ministre de la justice de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, en application des dispositions des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1805946 du 8 juillet 2020 le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 juillet 2020 et le 25 novembre 2021, M. A... B..., représenté par Me Stienne-Duwez, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner 1'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait du harcèlement moral et de la discrimination dont il aurait fait l'objet, avec intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2018 et capitalisation des intérêts pour la première fois le 6 mars 2019 ;

3°) d'annuler la décision du 26 juin 2018 du ministre de la justice rejetant sa demande de protection fonctionnelle ;

4°) d'enjoindre au ministre de la justice de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, en application des dispositions des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse titulaire depuis 2014, est affecté au sein de l'unité éducative d'hébergement collectif de Villeneuve-d'Ascq depuis le 1er janvier 2015. Il a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subi et d'annuler la décision par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande de protection fonctionnelle. Par un jugement du 8 juillet 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes. M. B... relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. M. B... fait valoir que le tribunal n'a pas pris en compte les témoignages qu'il avait produits et ne les a pas visés. Toutefois, alors que le tribunal a visé et analysé la requête et le mémoire produits en première instance, il n'apparaît pas qu'il n'aurait pas procédé à l'examen de toutes les pièces qui y étaient annexées. Par suite, le moyen doit, en tout état de cause, être écarté.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice en première instance :

3. Par une lettre en date du 26 février 2018, reçue le 6 mars 2018, M. B... a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice le bénéfice d'une protection fonctionnelle et la réparation du préjudice moral et physique qu'il estimait à la somme de 20 000 euros. Alors que la demande de M. B... était suffisamment précise et complète, bien que le garde des sceaux, ministre de la justice ait demandé à l'intéressé la production de pièces complémentaires le 26 juin 2018, une décision implicite de rejet de la demande est née. Par suite, si le courrier du 26 juin 2018 est une simple lettre ne faisant pas grief, M. B... doit être regardé comme demandant l'annulation de la décision implicite née à la suite de sa demande et la fin de non-recevoir opposée en défense tirée de l'absence de décision faisant grief doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Aux termes des dispositions du deuxième alinéa de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non­appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. ". Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ".

5. Comme il a été dit au point 3, une décision implicite de rejet est née à la suite de la demande de protection fonctionnelle adressée par M. B... au garde des sceaux, ministre de la justice. Le moyen tiré de ce que cette décision implicite a été prise par une autorité incompétente doit donc être écarté.

6. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé. En outre, pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique mais, dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions du fonctionnaire justifié par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

7. M. B... soutient que sa situation professionnelle et son état de santé physique et mental se sont dégradés à compter du mois de septembre 2016 à la suite des faits répétés de harcèlement moral et de discrimination. Il soutient qu'alors que le 23 août 2016, le médecin de prévention a indiqué que son état de santé est compatible avec son poste de travail mais nécessite un aménagement de ses conditions de travail à savoir une contre-indication du travail de nuit et la nécessité de travail à horaires fixes, il travaille le week-end et n'a pas d'horaires stables en journée. Il affirme être stigmatisé notamment par sa supérieure hiérarchique, par l'indication sur les emplois du temps de ce qu'il travaille en congé de longue maladie fractionné, au vu de ses collègues qui ne comprennent pas les aménagements d'horaires dont il bénéficie en qualité de travailleur handicapé. Il souligne qu'en réunion, sa supérieure hiérarchique directe, à de nombreuses reprises, a tenu des propos discriminatoires à son encontre, dans le dessein de créer la zizanie au sein des éducateurs. Il ajoute que 1'administration le sanctionne financièrement en raison de son handicap et qu'il ne perçoit qu'un demi-traitement au lieu d'un plein traitement car ses états de service mensuel, faute de précision, ont été comptabilisés en congé maladie ordinaire alors que la rémunération n'est pas la même en congé de longue maladie fractionné. Des jours de carence auraient été retirés à tort de ses droits à rémunération. Il note également que sa supérieure hiérarchique ne traite pas ses demandes d'autorisation spéciale d'absence pour raison médicale, se voyant ainsi déclaré gréviste lors de grèves, ni ses demandes de formation. Elle lui refuserait des décharges de service dans le cadre du tutorat d'un stagiaire et ne traiterait pas ses demandes de versement sur compte épargne temps. Il se prévaut de la baisse de ses évaluations professionnelles et de l'avertissement qui lui a été infligé, l'évaluation de son activité professionnelle au titre de l'année 2016 ayant été détournée afin de le sanctionner et pénaliser son avancement de carrière.

8. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que s'agissant des préconisations du médecin de prévention du 23 août 2016, dans un premier temps, M. B... n'a plus fait de service de nuit, dès que la recommandation en question a été portée à la connaissance de l'administration. Dans un second temps, à compter de janvier 2017, un emploi du temps avec des horaires fixes et réguliers a été mis en place tout en tenant compte des nécessités du service eu égard aux absences d'agents. La régularisation du prélèvement opéré à tort du jour de carence a été effectuée en septembre 2018. Par ailleurs, la supérieure hiérarchique de M. B... s'est limitée à expliquer à l'ensemble des agents les contraintes liées à la fixation des emplois du temps, notamment du fait de la présence de plusieurs agents bénéficiant d'aménagement de leur temps de travail, sans qu'il n'apparaisse qu'elle ait fait état d'éléments précis relatifs à l'état de santé de l'intéressé ou tenu des propos pouvant être qualifiés de discriminatoires à son égard. Ses convocations adressées à M. B... avaient uniquement pour objet sa demande d'aménagement de poste et son entretien professionnel comme l'a indiqué la directrice territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse de Lille dans son rapport du 4 septembre 2018. Il n'apparaît pas plus que les demandes de l'intéressé d'autorisations spéciales d'absence, de formation ou de candidatures, dont l'agrément n'est pas de droit, aient été rejetées sans motif. M. B... a bénéficié de la décharge de service pour tutorat de 10 % prévue par 1'arrêté du 28 juin 2010 octroyée à chaque tuteur dès juillet dans le cadre du tutorat d'un stagiaire. L'appelant, contrairement à ce qu'il soutient, a bénéficié d'une évaluation jugée " excellente " au titre de l'année 2015, pour l'année 2016 elle a été jugée " très bonne ", ses objectifs ayant été qualifiés " d'atteints " et les observations de sa supérieure hiérarchique lui sont favorables. La dégradation de son état de santé ne suffit pas à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral ou d'une discrimination à son encontre. Enfin si les témoignages produits par M. B... font état d'une difficulté de la hiérarchie confrontée à la gestion d'effectifs évoluant au gré d'absences notamment pour maladie, ces éléments n'établissent pas la réalité d'une intention discriminatoire ou d'un harcèlement moral à son encontre. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que M. B... ait été victime d'agissements répétés de harcèlement moral au sens des dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 ou de discrimination. Dès lors, en l'absence d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration, les prétentions indemnitaires de M. B... doivent être rejetées. Les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite du 24 janvier 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle doivent également être rejetées.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes. Ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

2

N°20DA01108


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20DA01108
Date de la décision : 06/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-10 Fonctionnaires et agents publics. - Cessation de fonctions.


Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : STIENNE-DUWEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-01-06;20da01108 ?
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