Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... et Mme C... D... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner la commune de Ham à leur verser la somme de 431 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 5 août 2017, en réparation des préjudices subis du fait du retard apporté par la commune de Ham à la poursuite d'une procédure d'expropriation déclarée d'utilité publique.
Par un jugement n°1703132 du 5 novembre 2019, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande et a mis à leur charge la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 janvier 2020 et le 26 février 2021 M. et Mme D..., représentés par Me Valérie Bacquet-Brehant, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la commune de Ham à leur verser la somme de 100 000 euros, en réparation des préjudices subis du fait du retard pris par la commune de Ham en menant une procédure d'expropriation déclarée d'utilité publique ;
3°) de rejeter les demandes présentées par la commune de Ham devant le tribunal administratif d'Amiens et devant la cour de mettre à leur charge une somme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Ham la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le délai anormalement long écoulé depuis l'acte déclarant l'utilité publique constitue une rupture du principe d'égalité devant les charges publiques qui ouvre droit à indemnisation du préjudice spécial et d'une particulière gravité qu'ils ont subi ;
- c'est à tort que le tribunal a écarté le bien-fondé de leurs conclusions tendant à la réparation d'un préjudice qu'ils fixent désormais à 100 000 euros ;
- la mise à leur charge d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est inéquitable, le tribunal ayant reconnu la responsabilité de la commune.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2021, la commune de Ham, représentée par la SCP J. F Leprêtre, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge des époux D... E... la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la responsabilité de la commune ne pouvait pas être retenue et que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 22 mars 2021, la clôture d'instruction a été prononcée avec effet immédiat en application des article R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Naïla Boukheloua, première conseillère,
- et les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. Les époux D... sont propriétaires de trois immeubles situés 3-5 et 9 rue de la Paix et 15 et 19 boulevard du Général de Gaulle sur le territoire de la commune de Ham. Par un arrêté du 12 juin 2012, le préfet de la Somme a déclaré d'utilité publique les opérations de restauration immobilière envisagées par la commune de Ham sur un périmètre d'une dizaine de parcelles, dont cinq comprenant les immeubles des époux D.... L'article 2 de cet arrêté précisait que l'éventuelle expropriation devra être réalisée dans un délai de cinq ans à compter de sa publication. Par un arrêté du 6 juin 2017, le préfet de la Somme a prorogé de cinq ans le délai de validité de cette déclaration d'utilité publique.
2. Les époux D... relèvent appel du jugement du 5 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a, d'une part, rejeté leur demande de condamnation de la commune de Ham à leur verser la somme de 431 000 euros en réparation des préjudices causés par le retard pris par la commune de Ham à mener la procédure d'expropriation découlant de cette opération déclarée d'utilité publique et, d'autre part, mis à leur charge la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la responsabilité sans faute de la commune de Ham :
3. En raison de la menace d'expropriation pesant sur son bien, le propriétaire de celui-ci subit, du fait de la durée de la phase administrative de la procédure d'expropriation, un préjudice qui, en raison de son caractère spécial et de sa gravité, ne saurait être regardé comme une charge lui incombant normalement.
4. C'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la durée de la phase administrative de la procédure d'expropriation en cause a présenté un caractère anormalement long de nature à engager la responsabilité sans faute de la commune de Ham à raison, d'une part, de la prorogation pour cinq ans, par l'arrêté du 6 juin 2017, du délai de validité de la déclaration d'utilité publique du 12 juin 2012 et, d'autre part, dans la mesure où l'enquête parcellaire n'a pas été engagée à la suite de cette prorogation, dès lors qu'il ne résulte de l'instruction ni que cette procédure présentait une complexité technique ou financière avérée, ni que l'opération décrite au point 1 présentait une ampleur notable, ni que la mise en œuvre de cette phase administrative était dépendante d'un processus de négociation particulier lié à l'objectif de restauration immobilière poursuivi en l'espèce.
Sur le préjudice des époux D... :
5. Les époux D... chiffrent désormais en appel l'ensemble de leurs préjudices à hauteur de 100 000 euros en vue de tenir compte de l'indemnité d'expropriation qui leur a été allouée par le juge de l'expropriation au terme de l'exercice de leur droit de délaissement. Ils n'entendent donc plus se prévaloir de la valeur vénale de leurs biens qui, en tout état de cause, ne saurait être indemnisée au titre de la responsabilité sans faute reconnue au point 4 du présent arrêt.
En ce qui concerne le préjudice matériel :
6. Les époux D... font valoir tant le coût de l'immobilisation de leurs trois immeubles que la perte des loyers qu'ils n'auraient pas perçus à partir de 2013. Il résulte toutefois de l'instruction que si la durée excessive de cette phase administrative, d'une part, a généré pour M. et Mme D... des frais de gestion de leurs biens qui n'auraient pas dû leur incomber normalement dans le cadre d'une durée raisonnable de mise en œuvre de cette phase procédurale, d'autre part, n'a pas permis à M. et Mme D... de percevoir les revenus financiers qu'ils auraient pu tirer du placement du produit de la vente de ces biens à l'expiration d'un même délai raisonnable à compter du démarrage de la phase administrative, ces chefs de préjudice, qui au demeurant n'ont pas été chiffrés précisément par les requérants, ont, en tout état de cause, été compensés par les revenus locatifs que M. et Mme D... ont continué à percevoir au titre de la location des appartements situés dans ces mêmes biens.
7. En effet, si les requérants chiffrent leurs pertes locatives à un montant de 29 850 euros à 33 884 euros par année entre 2013 et 2017, il résulte des déclarations qu'ils ont souscrites au titre de l'impôt sur le revenu et de leurs avis d'imposition que ces pertes ont seulement été de l'ordre de 5 000 euros par an, leurs revenus locatifs annuels s'étant maintenus autour de 15 000 euros à partir de 2014. Si ces revenus, qui atteignaient un peu plus de 20 000 euros en 2011, ont connu une baisse relative à partir de 2013, il n'en reste pas moins que M. et Mme D... ont pu continuer à en percevoir une part substantielle durant la période litigieuse, la durée critiquée de la procédure d'expropriation ayant ainsi retardé à leur bénéfice le transfert de la propriété des biens. Le maintien d'un tel niveau de revenu locatif durant la période litigieuse ayant compensé le coût de l'immobilisation de leur biens et l'absence de revenus financiers liés au prix de vente, chiffré à un total de 227 220 euros par une ordonnance du juge de l'expropriation en date du 7 mai 2020, le préjudice matériel des requérants n'est pas établi.
En ce qui concerne le préjudice moral :
8. Les requérants fondent leur préjudice moral, d'une part, sur l'atteinte à leur réputation qui découlerait d'articles de la presse locale publiés en 2017 puis en 2019 dans lesquels la commune relayerait, selon eux, des propos dévalorisants sur leurs biens et, d'autre part, sur des troubles dans les conditions d'existence liés aux vicissitudes administratives qu'ils ont subies et à l'incertitude dans laquelle la durée de la procédure les a laissés sur le devenir de leur patrimoine.
9. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment du dossier annexé à la déclaration d'utilité publique du 12 juin 2012 et du rapport de l'expertise en date du 29 mars 2017 commandée par M. et Mme D..., que les immeubles litigieux ont présenté durant toute la phase administrative de la procédure d'expropriation et ce jusqu'au prononcé, par le juge de l'expropriation, du transfert de propriété le 7 mai 2020, un état dégradé ou vétuste, tant en ce qui concerne leur aspect extérieur qu'en ce qui concerne leur intérieur dense composé de petits volumes, dont la mise aux normes notamment électriques, la nécessité de renforcer l'isolation, l'importance des travaux à réaliser ou même le " potentiel d'aménagement " ont été régulièrement soulignés. A cet égard, la circonstance que, par un arrêté du 4 janvier 2012 pris sur la base d'un contrôle effectué le 25 octobre 2011, le maire de Ham a abrogé l'arrêté de péril du 26 avril 2011 portant sur l'immeuble situé au 19 boulevard du général de Gaulle, ne suffit pas à remettre en cause le constat qui précède pour cet immeuble dont l'arrêté de péril imminent du 14 avril 2011 n'a pas été retiré. Dans ces circonstances, la procédure d'expropriation litigieuse, déclenchée dans le cadre d'une opération de restauration immobilière, avait pour objectif de rendre les immeubles des époux D... mieux à même de remplir leur fonction immobilière et locative.
10. Il résulte de ce qui précède que le préjudice moral que les époux D... font valoir leur est entièrement imputable et ne saurait trouver son origine dans la durée excessive de la phase administrative de la procédure d'expropriation litigieuse.
11. Il résulte de tout ce qui précède que les époux D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens en première instance :
12. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que les premiers juges ont, dans les circonstances de l'espèce, condamné les époux D... à verser une somme au titre des frais irrépétibles à la commune de Ham. En fixant, à 1 500 euros le montant de ces frais, le tribunal administratif d'Amiens a fait une exacte appréciation des circonstances de l'espèce. Dès lors, les époux D... ne sont pas fondé à demander l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens en appel :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Ham, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, les sommes demandées par les époux D... au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des époux D... la somme demandée par la commune de Ham au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... D... et Mme C... D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Ham présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., Mme C... D... et à la commune de Ham.
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Somme.
Délibéré après l'audience publique du 16 novembre 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- Mme Corinne Baes Honoré, présidente-assesseure,
- Mme Naïla Boukheloua, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 décembre 2021.
La rapporteure,
Signé : N. BOUKHELOUA
Le président de la 1ère chambre,
Signé : M. B...
La greffière,
Signé : C. SIRE
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
N°20DA00054
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