Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. H... D... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler les décisions du 29 octobre 2020 par lesquelles le préfet de la Seine-Maritime l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour en France pendant la durée de trois ans, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa situation, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et de mettre la somme de 1 200 euros à la charge de l'Etat en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2004228 du 9 novembre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé les décisions du 29 octobre 2020 par lesquelles le préfet de la Seine-Maritime a obligé M. D... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour en France pendant la durée de trois ans, a enjoint au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de M. D... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de délivrer à l'intéressé une autorisation provisoire de séjour le temps de ce réexamen, et a mis à la charge de l'Etat la somme de 800 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 décembre 2020, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Rouen.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant de la République démocratique du Congo, né le 21 mai 1984, soutient vivre habituellement en France depuis l'âge de trois ans. Par des décisions du 29 octobre 2020, le préfet de la Seine-Maritime l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour en France pendant une durée de trois ans. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 9 novembre 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a eu quatre enfants avec A... E..., nés en septembre 2004, septembre 2006, octobre 2011 et octobre 2014, deux enfants avec A... F..., nés en janvier 2015 et septembre 2016 dont il n'a reconnu que le premier, et deux enfants avec A... B..., nés en mai 2017 et juin 2020, dont il n'a reconnu que le second. En outre, il ressort des pièces du dossier que Mmes E..., F... et B... vivent dans des appartements différents dans le même immeuble à Rouen. Si l'intéressé soutient vivre uniquement en concubinage avec Mme E..., il ressort de la note blanche produite par le préfet de la Seine-Maritime, qui a été versée au débat contradictoire, d'une part, qu'il était présent au domicile de Mme F... lors de la visite domiciliaire qui s'est déroulée le 27 novembre 2020 au matin et, d'autre part, qu'un message mentionnant la vie de couple de Mme B... avec M. D... a été retrouvé dans le domicile de cette dernière. En outre, il ressort des pièces du dossier que la fille aînée de M. D... a fait état, début octobre 2018, de la polygamie de son père et de sa pratique radicale de la religion bien qu'elle soit ultérieurement revenue sur ses déclarations et que la juge des enfants ait ordonné, le 24 octobre 2018, la mainlevée de son placement et sa remise immédiate à ses parents. Dans ces conditions et nonobstant les attestations de dénégation produites par les intéressés, les faits de polygamie doivent être regardés comme établis par les pièces versées au dossier, de sorte que M. D... n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions du 6° de l'article L.511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En tout état de cause, si M. D... est père de huit enfants français, il n'établit pas contribuer effectivement à leur entretien et à leur éducation en se bornant à produire des photographies, un certificat médical et une attestation d'une amie, ces deux dernières pièces étant au demeurant postérieures à l'arrêté contesté.
4. Par suite, le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé, au motif qu'il était entaché d'une erreur de droit au regard des dispositions du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'arrêté du 29 octobre 2020 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a obligé M. D... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour en France pendant la durée de trois ans.
5. Il appartient toutefois à la cour saisie par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... tant en première instance qu'en appel.
Sur les autres moyens :
En ce qui concerne les moyens communs aux décisions contestées :
6. En premier lieu, par un arrêté n° 20-69 du 4 septembre 2020 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Seine-Maritime, le préfet de la Seine-Maritime a donné délégation à M. G... C..., directeur des migrations et de l'intégration, afin de signer l'arrêté attaqué. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit être écarté.
7. En second lieu, l'arrêté attaqué comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Ces considérations sont suffisamment développées pour avoir mis M. D... à même d'en apprécier la valeur et d'en discuter la légalité. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté litigieux doit être écarté.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
8. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. Il ressort des pièces du dossier que si M. D... se prévaut d'une durée de présence en France depuis l'âge de trois ans, il ne l'établit pas notamment en n'apportant aucune preuve de cette présence sur le territoire français entre les années 2010 et 2014 ainsi qu'entre les années 2016 et 2018. En outre, il ressort des pièces du dossier que M. D... a fait l'objet de plusieurs signalements pour des faits de conduite sans permis, de détention de produits stupéfiants, de violences avec arme et de vol sous la menace d'une arme qui ont donné lieu à des condamnations notamment, en dernier lieu, à une peine de six mois de prison prononcée par le tribunal correctionnel de Senlis, le 21 octobre 2016, pour des faits de vol en réunion, nonobstant la circonstance que l'appelant a fait opposition de ce jugement le 9 novembre 2020, soit postérieurement à l'arrêté en litige. Par ailleurs, il ressort de la note blanche produite par le préfet de la Seine-Maritime que, au cours d'une perquisition administrative en 2015, il a été trouvé un drapeau du groupe Al-Qaïda au Maghreb islamique dans son salon, de nombreuses armes blanches et que son profil Facebook affichait des photos et commentaires sur des groupes de propagandes djihadistes. En outre, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé ne dispose pas de compte bancaire, qu'il n'a occupé des emplois que de manière ponctuelle et que, s'il produit un courrier de la préfecture de Seine-et-Marne du 11 septembre 2018, le préfet de la Seine-Maritime produit des courriels émanant de la préfecture de Seine-et-Marne mentionnant qu'aucune démarche effective n'avait été faite par l'intéressé pour solliciter la délivrance d'un titre de séjour. Dans ces conditions, et nonobstant la présence en France de nombreux membres de sa famille, eu égard à ses conditions de vie sur le territoire français et à la menace qu'il représente pour l'ordre public, la décision en litige ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens des stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté. Pour les mêmes motifs, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision contestée sur la situation personnelle de M. D....
En ce qui concerne la fixation du pays de destination :
10. Si M. D... soutient que la décision contestée est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, il n'assortit son moyen d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, ce moyen doit être écarté.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
11. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. [...] La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".
12. Il ressort des pièces du dossier que, si M. D... n'a pas déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement et qu'il a de nombreux membres de sa famille sur le territoire français, il constitue une menace pour l'ordre public et n'établit pas l'ancienneté de sa présence en France ainsi qu'il a été dit au point 9. Dès lors, en lui interdisant de retourner sur le territoire français avant l'expiration d'un délai de trois ans, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas entaché la décision contestée d'une erreur d'appréciation. Par suite, ce moyen doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées par M. D... tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 octobre 2020 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour en France pendant une durée de trois ans doivent être rejetées. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, sous astreinte, et celles présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen en date du 9 novembre 2020 est annulé.
Article 2 : La demande de M. D... présentée devant le tribunal administratif de Rouen et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. H... D... et à Me Berradia.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
1
4
N°20DA02011
1
3
N°"Numéro"