Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 15 mai 2017 par lequel le préfet de la Somme a refusé de lui délivrer un titre de séjour en qualité de salarié, ainsi que la décision du 18 août 2017 par laquelle le préfet de la Somme a rejeté son recours gracieux contre cette décision, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Somme de lui délivrer le titre de séjour sollicité.
Par un jugement n° 1703183 du 11 octobre 2019, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 29 juin 2020, le 3 juillet 2020 et le 1er octobre 2020 à 11h41, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. B..., représenté par Me Soubeiga, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 15 mai 2017 du préfet de la Somme ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, au préfet de la Somme de lui délivrer le titre de séjour sollicité, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu, au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant marocain né le 2 mars 1959 à Casablanca (Maroc), est entré en France, selon ses déclarations, au cours du mois de septembre 1982, sous couvert d'un passeport, en cours de validité, revêtu d'un visa de long séjour portant la mention " étudiant ". Ayant sollicité un changement de statut, il s'est vu délivrer, le 21 janvier 1988, une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", qui a été régulièrement renouvelée jusqu'au 12 août 2016. Il a sollicité, le 28 juin 2016, le renouvellement de ce titre. Le préfet de la Somme, par un arrêté du 15 mai 2017, a refusé de faire droit à cette demande et a confirmé expressément sa décision le 18 août 2017, en réponse au recours gracieux que M. B... avait formé le 10 juillet 2017. M. B... relève appel du jugement du 11 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation, pour excès de pouvoir, de l'arrêté du 15 mai 2017 du préfet de la Somme et de la décision du 18 août 2017 rejetant son recours gracieux, d'autre part, à ce qu'il enjoint au préfet de la Somme de lui délivrer le titre de séjour sollicité.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des motifs du jugement attaqué que, pour écarter le moyen de M. B... tiré de ce que le préfet de la Somme n'avait pu légalement fonder le refus de renouvellement de son titre de séjour sur les dispositions de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, inapplicables aux ressortissants marocains, dont la situation, s'agissant des conditions dans lesquelles ils peuvent être admis au séjour pour exercer en France une activité salariée, est régie exclusivement par les stipulations de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 en matière de séjour et d'emploi, le tribunal administratif d'Amiens a relevé, d'office, que le refus de séjour en litige, que le préfet de la Somme avait à tort entendu fonder sur les dispositions de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pouvait trouver son fondement légal dans les stipulations de l'article 3 de l'accord franco-marocain. Toutefois, ainsi que le relève M. B..., il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que les premiers juges auraient, au préalable, informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de la substitution de base légale qu'ils envisageaient, ce qui a privé l'intéressé de la garantie de procédure tenant à pouvoir présenter d'utiles observations sur le fondement sur lequel les premiers juges estimaient pouvoir asseoir le refus de séjour contesté. Il suit de là que le jugement attaqué est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière et qu'il doit être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de régularité invoqués par M. B....
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif d'Amiens.
Sur la légalité du refus de séjour :
En ce qui concerne les moyens tirés de l'erreur de droit :
4. Aux termes des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an et portant la mention " salarié " éventuellement assortie de restrictions géographiques ou professionnelles. / (...) ". En outre, aux termes de l'article 9 de cet accord : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord. / (...) ".
5. Aux termes de l'article L. 313-10, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour temporaire, d'une durée maximale d'un an, autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée à l'étranger : / 1° Pour l'exercice d'une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée, dans les conditions prévues à l'article L. 5221-2 du code du travail. Elle porte la mention " salarié ". / (...) / 2° Pour l'exercice d'une activité salariée sous contrat de travail à durée déterminée (...). Cette carte est délivrée pour une durée identique à celle du contrat de travail ou du détachement, dans la limite d'un an. Elle est renouvelée pour une durée identique à celle du contrat de travail ou du détachement. Elle porte la mention " travailleur temporaire " ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 313-11, alors en vigueur, de ce code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 313-14, alors en vigueur, du même code : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / (...) ".
6. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant marocain souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-marocain, au sens de l'article 9 de cet accord. En outre, pour le même motif, les ressortissants marocains qui sollicitent leur admission, à titre exceptionnel, au séjour en France pour exercer une activité salariée ne peuvent pas utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en tant qu'elles concernent la délivrance des titres de séjour nécessaires. Toutefois, les stipulations de cet accord n'interdisent pas au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation à un ressortissant marocain qui ne remplirait pas les conditions auxquelles est subordonnée la délivrance de plein droit d'un titre de séjour en qualité de salarié. Il suit de là que le préfet de la Somme n'a pu, sans erreur de droit, se fonder sur les dispositions des articles L. 313-10 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour refuser d'accorder à M. B..., ressortissant marocain, le renouvellement du titre de séjour qui lui avait précédemment été délivré afin de pouvoir exercer une activité salariée en France. Il y a toutefois lieu de substituer d'office à ces dispositions les stipulations précitées de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987, dès lors que cette substitution n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie de procédure et que l'autorité préfectorale dispose du même pouvoir d'appréciation pour faire application de ces dispositions et de ces stipulations. Par ailleurs, dès lors que M. B..., qui a eu connaissance de ce nouveau fondement par les motifs du jugement dont il relève appel, a ainsi été à même d'en discuter devant la cour, il peut être procédé d'office à cette substitution sans qu'il ait été nécessaire d'en informer préalablement M. B.... Par suite, les moyens tirés par M. B... de ce que l'arrêté contesté lui refusant le renouvellement de son titre de séjour n'a pu légalement être fondé sur les dispositions de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni sur celles de l'article L. 313-14 de ce code, doivent être écartés.
7. Enfin, dès lors que la situation des ressortissants marocains qui sollicitent leur admission au séjour en France au titre de la vie privée et familiale constitue, au sens des stipulations précitées de l'article 9 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987, un point non traité par l'accord, le préfet de la Somme a pu, sans erreur de droit, fonder son appréciation de la situation personnelle et familiale de M. B... sur les dispositions précitées, alors en vigueur, du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, dans cette mesure, de l'article L. 313-14 de ce code.
En ce qui concerne les autres moyens :
8. Si M. B... soutient qu'à la date de l'arrêté contesté, il pouvait se prévaloir, étant entré en France, ainsi qu'il a été dit au point 1, au cours du mois de septembre 1982, d'un séjour habituel et ininterrompu de près de trente-cinq ans, il ne l'établit pas par les pièces qu'il verse au dossier, lesquelles se rapportent, pour l'essentiel, aux années 2016 et 2017. Par ailleurs, si le relevé de situation de retraite, dont se prévaut, en outre, M. B..., retient que l'intéressé relève du régime général de retraite depuis l'année 1983, ce relevé fait apparaître que celui-ci n'a versé des cotisations qu'à concurrence de deux trimestres au titre de l'année 1988 et également au titre de l'année 1989, puis ne comporte plus, à compter de cette dernière année, aucune mention jusqu'en 1998, date à laquelle des trimestres de cotisation sont de nouveau pris en compte jusqu'en 2016, mais avec des interruptions en 2006, 2011 et 2015, années au titre desquelles aucune cotisation n'est mentionnée. Si, cependant, M. B... produit, devant la cour, un relevé du régime de retraite agricole et des relevés de retraite complémentaire faisant apparaître qu'il a versé des cotisations à l'un ou l'autre de ces régimes au titre de plusieurs des années manquantes dans le relevé du régime général, ces relevés ne comportent aucune mention en ce sens en ce qui concerne les années 1987, 2006, 2011 et 2015, ni, surtout, durant la période couvrant les années 1990 à 1997. Au demeurant, le seul fait que M. B... ait versé des cotisations à un régime de retraite durant une année considérée ne peut suffire à établir sa présence durant la totalité de cette année. Dès lors, M. B... ne peut être regardé comme justifiant d'un séjour habituel en France pendant la durée de trente-cinq années qu'il invoque, ni même depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté contesté.
9. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a obtenu, en septembre 1986, un diplôme d'études universitaires générales dans la spécialité des sciences des structures et de la matière. Cependant, selon une attestation établie le 23 février 2017 par un psychologue qui l'a suivi, M. B..., par manque de confiance, n'a pas poursuivi les études supérieures qu'il avait entreprises en mathématiques et en informatique. Plusieurs bulletins de salaire qui lui ont été délivrés au cours de l'année 2016 révèlent qu'il a travaillé en tant qu'ouvrier agricole dans le cadre de contrats à durée déterminée. En outre, il ressort des pièces du dossier que M. B... a obtenu, en 2017, une promesse d'embauche dans le cadre d'un contrat d'insertion d'une durée de douze mois en tant qu'agent de développement dans une association. Toutefois, M. B... n'apporte aucun élément de nature à justifier des suites qui ont pu être apportées à cette promesse d'embauche, ni à la candidature qu'il avait présentée au cours de la même année auprès de l'académie d'Amiens afin d'être recruté sur un poste d'enseignant en mathématiques. Il n'établit pas davantage avoir effectivement suivi les formations professionnelles, dans les domaines du secours à la personne et de la lutte contre les incendies et de l'électricité, qu'il a sollicitées également en 2017, année au titre de laquelle l'intéressé a perçu le revenu de solidarité active. Eu égard à ces éléments, le préfet de la Somme, en retenant, dans les motifs de son arrêté, que M. B... était, à la date de cet arrêté, sans emploi, qu'il ne percevait plus d'allocation de chômage et, plus généralement, qu'il ne justifiait pas, notamment pour n'avoir pu faire état d'aucun contrat de travail, satisfaire aux conditions requises pour permettre son admission au séjour, ne s'est pas mépris dans l'appréciation de la situation de l'intéressé au regard des stipulations précitées de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987. En outre, en estimant, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, qu'il n'y avait pas lieu, eu égard à la situation dont justifiait M. B..., de régulariser sa situation administrative en lui délivrant un titre de séjour en tant que salarié, le préfet de la Somme n'a pas davantage commis d'erreur manifeste d'appréciation.
10. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est célibataire, sans enfant, et qu'il n'entretient aucune relation suivie avec ses deux frères établis en France, comme il l'a lui-même reconnu dans son recours gracieux. L'intéressé, qui n'a fait état d'aucune relation particulière qu'il aurait tissée depuis son arrivée sur le territoire français, hormis avec des psychologues qui l'ont accompagné et un lycéen qu'il a aidé en mathématiques, n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, malgré le décès de ses parents, pays dans lequel résident, selon les éléments relevés par la commission départementale du titre de séjour, deux autres de ses frères, ainsi que deux sœurs. Enfin, comme il a été dit au point 8, M. B... n'établit pas l'ancienneté alléguée de son séjour en France et, ainsi qu'il a été dit au point 9, ne justifie pas d'une insertion professionnelle significative, ni d'ailleurs d'une insertion particulière dans la société française. Dans ces conditions, malgré les conditions, en majeure partie régulières, de son séjour, la décision lui refusant le renouvellement de son titre de séjour n'a pas été prise en méconnaissance des dispositions précitées du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Enfin et dans ces conditions, le préfet de la Somme, en refusant de faire bénéficier M. B... d'une admission exceptionnelle au séjour, au titre de la vie privée et familiale, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 15 mai 2017 du préfet de la Somme refusant de lui accorder le renouvellement de son titre de séjour, ensemble la décision du 18 août 2017 rejetant son recours gracieux. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, le versement d'une somme au conseil de M. B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1703183 du 11 octobre 2019 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif d'Amiens, ainsi que le surplus des conclusions de sa requête devant la cour sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Soubeiga.
Copie en sera transmise à la préfète de la Somme.
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No 20DA00899