Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Etat à lui verser la somme de 66 726,62 euros, avec intérêts et capitalisation à compter de la date de son recours préalable.
Par un jugement n° 1703153 du 6 décembre 2019, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 février 2020, Mme B..., représentée par Me Xavier Griffiths, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 60 592,80 euros, augmentée des intérêts avec capitalisation, à compter de la date du dépôt de son recours préalable, en réparation du préjudice résultant de son placement en congé de longue maladie, la somme de 275 568,30 euros, en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de percevoir un demi-traitement, la somme de 15 000 euros, augmentée des intérêts avec capitalisation, à compter de la date du dépôt de son recours préalable, en réparation de son préjudice moral et la somme de 3 253 euros au titre des frais exposés pour assurer sa défense, augmentée des intérêts avec capitalisation, à compter de la date du dépôt de son recours préalable ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... était inspectrice des finances publiques et exerçait les fonctions d'huissier du Trésor public à la trésorerie de Pont-Saint Maxence (Oise). S'estimant victime d'agissements de harcèlement moral, elle a demandé l'indemnisation de ses préjudices par un courrier du 11 août 2017. Faute de réponse, elle a saisi le tribunal administratif d'Amiens qui a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 66 726,62 euros, avec intérêts et capitalisation à compter de la date de son recours préalable. Elle relève appel de ce jugement du 6 décembre 2019.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale : " Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. ". La juridiction administrative ne saurait connaître de demandes tendant à la réparation d'éventuelles conséquences dommageables de l'acte par lequel une autorité administrative, un officier public ou un fonctionnaire avise, en application des dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale, le procureur de la République, dès lors que l'appréciation de cet avis n'est pas dissociable de celle que peut porter l'autorité judiciaire sur l'acte de poursuite ultérieur. Il en est de même de l'acte par lequel l'autorité administrative décide de faire appel d'une décision judiciaire. En l'espèce, Mme B... demandait d'abord en première instance à être indemnisée des conséquences dommageables nées du harcèlement moral qui était caractérisé selon elle par la saisine du procureur de la République auprès du tribunal de grande instance de Senlis par son supérieur hiérarchique, le 27 novembre 2012 puis par l'appel formé par l'Etat du jugement du 4 décembre 2013 du tribunal correctionnel de Senlis la relaxant au bénéfice du doute. De telles conclusions ne relèvent pas de la compétence de la juridiction administrative. Par suite, le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 6 décembre 2019 doit être annulé en tant qu'il n'a pas rejeté comme portées devant une juridiction incompétente les conclusions de Mme B... tendant à la condamnation de l'Etat à raison du harcèlement moral résultant de la saisine du procureur de la République, le 27 novembre 2012, puis de l'appel par l'Etat du jugement du 4 décembre 2013 du tribunal correctionnel de Senlis. Il y a lieu d'évoquer ainsi que de se prononcer immédiatement sur de telles conclusions et de statuer par l'effet dévolutif sur les autres conclusions présentées par Mme B..., tant devant le tribunal administratif d'Amiens que devant la cour.
Sur les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat en raison du harcèlement résultant de la saisine du procureur de la République et de l'appel du jugement correctionnel :
3. Ainsi qu'il a été dit au point 2, de telles conclusions ne sont pas de la compétence de la juridiction administrative et doivent être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente.
Sur les autres conclusions de Mme B... tendant à la condamnation de l'Etat :
4. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral, revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
5. Mme B... soutient qu'elle a fait l'objet d'un contrôle tatillon de la part de son administration qui caractérise des agissements de harcèlement moral. Toutefois, à l'appui de ses dires, elle se borne à produire trois courriers qui lui ont été adressés par le directeur départemental des finances publiques de l'Oise. Le premier en date du 10 février 2010 lui reproche de ne pas être joignable, alors qu'un téléphone portable a été mis à sa disposition. En réponse, l'appelante ne conteste pas les faits mais indique qu'elle rappelle ses interlocuteurs en milieu ou en fin de journée lorsqu'on lui laisse un message. Le deuxième courrier du 27 janvier 2011 lui reproche, outre les éléments relatifs aux procès-verbaux de carence qui ont donné lieu à l'information du procureur de la République, une faible efficacité de son action du fait d'un seul procès-verbal de vente sur quatre mille procès-verbaux de carence en trois ans, d'une absence d'inventaire des biens lors des visites chez les débiteurs, d'un faible volume de recouvrement, ainsi que de mauvaises relations avec les trésoreries et d'une faible implication dans l'activité du service. Mme B... n'apporte pas d'éléments pour remettre en cause ces constats notamment sur le volume des recouvrements opérés en se bornant à critiquer les instructions qui lui sont données sur les inventaires ou la signature des procès-verbaux de carence ou en s'abritant derrière un dysfonctionnement des applications informatiques qu'elle n'établit pas. Elle reconnaît néanmoins ses difficultés avec les trésoreries, ses absences aux conventions de cadres du service, ou encore l'établissement d'un procès-verbal dans une entreprise qui avait cessé toute activité depuis six mois ainsi que l'absence de conservation des éléments justificatifs de son travail, en particulier la transmission d'une dénonciation de saisie-attribution, dont le destinataire n'a pas retrouvé trace. Le troisième courrier du directeur départemental des finances publiques adressé le 4 octobre 2011 à Mme B... ne démontre pas que l'intéressée ait tenu compte des remarques qui lui avaient été faites auparavant. Elle n'établit donc pas avoir respecté les instructions qui lui étaient données. Ces trois courriers du directeur départemental restent dans un ton courtois, contrairement à ce qu'allègue l'appelante, même s'ils expriment de manière directe les reproches qui lui sont faits. Si Mme B... soutient que les propos tenus par son supérieur lors de l'entretien du 7 février 2011 faisant suite au courrier du 27 janvier 2011 étaient dévalorisants, elle n'apporte aucun élément de nature à l'établir. Il ne résulte donc pas de ces éléments que Mme B... ait fait l'objet d'un contrôle allant au-delà de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
6. Mme B... met ensuite en avant la diminution de sa notation entre 2009 et 2012. Ses évaluations ont conduit à une majoration d'un mois d'ancienneté en 2009 et en 2011 ainsi qu'à une majoration de deux mois en 2012. Les appréciations faites lors de ces évaluations, portant notamment sur des résultats insuffisants et des relations difficiles avec les trésoreries sont cohérentes avec les instructions adressées à Mme B... en 2010 et 2011, rappelées au point 5. Mme B... n'apporte aucun autre élément que ceux mentionnés au point 5 pour répliquer à ces reproches et ne justifie pas non plus avoir modifié son comportement professionnel, à la suite du courrier du 27 janvier 2011. Par suite, la diminution de sa notation ne laisse pas présumer non plus qu'elle ait fait l'objet d'agissements de harcèlement moral de la part de son administration.
7. Mme B... soutient enfin que le harcèlement moral dont elle allègue être victime a entraîné une dégradation de son état de santé. Si les certificats médicaux produits attestent d'une dépression réactionnelle justifiant les arrêts de maladie à compter du 25 mai 2013, ils reposent uniquement sur les déclarations de l'intéressée pour établir le lien avec le travail. L'imputabilité au service de la pathologie n'a d'ailleurs pas été reconnue par décision du 19 avril 2018, confirmée par un jugement du tribunal administratif d'Amiens du 10 juillet 2020.
8. Il résulte de ce qui précède que les éléments produits en première instance par Mme B..., qui ne sont complétés par aucune pièce nouvelle en appel, ne laissent pas présumer d'agissements répétés de harcèlement moral, alors que le ministre de l'économie, des finances et de la relance justifie que les décisions prises à l'égard de l'appelante étaient motivées par son comportement professionnel.
9. Mme B... demande pour la première fois en appel et sans en avoir fait mention dans sa demande préalable, l'indemnisation du préjudice résultant de sa mise à la retraite pour invalidité, en attribuant, sans l'établir, ce préjudice exclusivement au harcèlement moral qu'elle a subi. Il résulte de ce qui a été dit au point 8 que de telles conclusions ne peuvent qu'être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le jugement du tribunal administratif d'Amiens ne doit être annulé qu'en tant qu'il n'a pas rejeté comme portées devant une juridiction incompétente les conclusions tendant à l'indemnisation des conséquences de la saisine du procureur de la République, le 27 novembre 2012, puis de l'appel par l'Etat du jugement du 4 décembre 2013 du tribunal correctionnel de Senlis. Il résulte également de ce qui a été dit aux points 8 et 9 que les demandes de Mme B... en première instance et sa requête d'appel, y compris en ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées,
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 6 décembre 2019 est annulé en tant qu'il n'a pas rejeté comme portées devant une juridiction incompétente les conclusions tendant à une indemnisation en raison de la saisine du procureur de la République, le 27 novembre 2012, et de l'appel par l'Etat du jugement du 4 décembre 2013 du tribunal correctionnel de Senlis.
Article 2 : Les demandes indemnitaires de Mme B... mentionnées à l'article 1er sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 3 : Le surplus des demandes de Mme B... formulé devant le tribunal administratif d'Amiens et dans sa requête d'appel est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié aux héritiers de Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
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N°20DA00222
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