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23/09/2021 | FRANCE | N°18DA01837

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 23 septembre 2021, 18DA01837


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le service départemental d'incendie et de secours du Nord a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la société Générali Iard à lui payer la somme de 82 893 euros au titre des désordres affectant les sept regards électriques avec la présence d'eau dans la fosse du compteur d'eau et dans la fosse dite TGBT, assortie des intérêts au taux légal multiplié par deux, à compter du jour de la déclaration du sinistre intervenu le 3 septembre 2012 ou, à défaut de la date de réclamation, ains

i que de la capitalisation des intérêts. Il demandait également la condamnation i...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le service départemental d'incendie et de secours du Nord a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la société Générali Iard à lui payer la somme de 82 893 euros au titre des désordres affectant les sept regards électriques avec la présence d'eau dans la fosse du compteur d'eau et dans la fosse dite TGBT, assortie des intérêts au taux légal multiplié par deux, à compter du jour de la déclaration du sinistre intervenu le 3 septembre 2012 ou, à défaut de la date de réclamation, ainsi que de la capitalisation des intérêts. Il demandait également la condamnation in solidum des sociétés Colas Nord Picardie, AETOS, CTH, MECA, Didier Delporte et BETM, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la société d'exercice libéral par actions simplifiées Soinne, à payer la somme de 82 893 euros toutes taxes comprises au titre de ces mêmes désordres, assortie des intérêts légaux à compter de la date d'introduction de la requête ainsi que la capitalisation des intérêts. Il demandait enfin de condamner la société Colas Nord Picardie, la compagnie Generali Iard, la société AETOS, la société MECA, la société Didier Delporte et la société BETM à lui verser la somme de 11 176,56 euros toutes taxes comprises, au titre des honoraires de l'expert ainsi que les sommes de 9 207 euros et 6 510 euros qu'il a réglées respectivement à la société Ginger CEBTP et à la société Eaudiofuite.

Par un jugement n° 1508419 du 6 juillet 2018 et une ordonnance de rectification d'erreur matérielle du 13 juillet 2018, le tribunal administratif de Lille a condamné la société Generali Iard à verser au service départemental d'incendie et de secours du Nord la somme de 81 893 euros toutes taxes comprises en réparation des préjudices résultant des infiltrations dans les regards extérieurs et dans la fosse dite TGBT du centre d'incendie et de secours de Bousbecque, sous réserve que les constructeurs condamnés solidairement par le jugement à verser une somme identique au titre des mêmes dommages, n'aient pas procédé à son règlement. Il a assorti cette somme d'intérêts à compter du 14 octobre 2015 au double du taux légal et de la capitalisation, la première fois le 14 octobre 2016 et à chaque échéance annuelle. Il a également condamné la société CTH, la société BETM représentée par la société d'exercice libéral par action simplifiées Soinne en qualité de liquidateur judiciaire, la société AETOS et la société Colas Nord Picardie à verser au service départemental de secours et d'incendie du Nord la somme de 82 893 euros toutes taxes comprises en réparation des mêmes préjudices, cette somme portant intérêts à compter du 14 octobre 2015 au taux légal et capitalisation la première fois le 14 octobre 2016 puis à chaque échéance annuelle. Il a par ailleurs condamné la société AETOS à garantir la société Colas Nord Picardie à hauteur de 5%, la société BETM à garantir la société AETOS à hauteur de 75%, les sociétés BETM, Colas Nord Picardie et AETOS à garantir la société CTH à hauteur respectivement de 75%, de 20% et de 5%. Il a enfin mis les dépens à la charge des sociétés BETM, Colas Nord Picardie et AETOS à hauteur respectivement de 75%, de 20% et de 5%, et rejeté le surplus des conclusions des parties

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 septembre 2018, la société Colas Nord-Est, venant aux droits de la société Colas Nord-Picardie, représentée par Me Julien Haquette, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes dirigées contre elle ;

3°) à titre subsidiaire de condamner les sociétés AETOS, CTH, et MECA à la garantir de toutes condamnations ;

4°) de mettre à la charge du service départemental d'incendie et de secours du Nord et des sociétés AETOS, CTH, et MECA, les dépens et la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,

- et les observations de Me Julien Haquette pour la société Colas Nord-Est, de Me Julien Pillet pour le service départemental d'incendie et de secours du Nord, de Me Julien Houyez pour la société AETOS et de Me Florence Mostaert, substituant Me Ducloy, pour la société CTH.

Considérant ce qui suit :

1. Le service départemental d'incendie et de secours du Nord a décidé la construction d'un centre de secours à Bousbecque. La maîtrise d'œuvre en a été confiée à un groupement composé des sociétés Aetos, architecte et mandataire du groupement, CTH, bureau d'études techniques en charge de l'électricité, BETM, bureau d'études techniques en charge des structures et Meca, économiste de la construction. La société Colas Nord- Picardie, aux droits de laquelle vient la société Colas Nord-Est, était chargée du lot voirie et réseaux divers. Le maître d'ouvrage avait souscrit une assurance dommage-ouvrage auprès de la compagnie Générali. La réception des travaux a été prononcée le 21 décembre 2010 avec réserves pour le lot voirie et réseaux divers. Les réserves ont été levées le 28 février 2011. Postérieurement à cette réception, des infiltrations d'eau sont apparues dans le local du tableau général basse tension, dit TGBT, ainsi que dans les regards extérieurs du bâtiment et dans la fosse du compteur d'eau. Après avoir signalé ces désordres à la compagnie Générali, par courriers des 13 janvier 2012 et 3 août 2012, le service départemental d'incendie et de secours a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, la désignation d'un expert. Celui-ci, nommé par ordonnance du 24 octobre 2013, a rendu son rapport le 12 août 2014. Saisi par le service départemental d'incendie et de secours, le tribunal administratif de Lille a condamné, par jugement du 6 juillet 2018, d'une part la société Générali Iard, à payer au service départemental d'incendie et de secours du Nord, la somme de 81 893 euros toutes taxes comprises, avec intérêts à compter du 14 octobre 2013 au double du taux légal et capitalisation la première fois le 14 octobre 2016, sous réserve que les constructeurs également condamnés n'aient pas procédé à ce règlement. Il a condamné d'autre part les sociétés Colas Nord-Picardie, CTH, BETM et Aetos à payer au service départemental d'incendie et de secours la somme de 82 893 euros toutes taxes comprises. Il a condamné également la société Aetos à garantir la société Colas Nord-Picardie à hauteur de 5% et la société BETM à garantir la société Aetos à hauteur de 75%. Il a condamné enfin, ce point ayant fait l'objet d'une ordonnance de rectification d'erreur matérielle du président du tribunal administratif de Lille du 13 juillet 2018, les sociétés BETM, Colas Nord-Picardie et Aetos à garantir la société CTH à hauteur respectivement de 75%, 20% et 5%. La société Colas Nord-Est relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions d'appel principal :

2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La garantie décennale ne s'applique pas à des désordres qui étaient apparents lors de la réception de l'ouvrage.

3. La société Colas Nord-Est se limite en cause d'appel à demander que le jugement soit réformé en ce qui concerne uniquement l'imputabilité des désordres et la répartition des responsabilités entre elle-même et les sociétés chargées de la maîtrise d'œuvre, soit les sociétés AETOS, CTH et BETM. Elle ne remet donc pas en cause, pas plus qu'aucune autre partie, le caractère décennal des désordres.

En ce qui concerne l'imputabilité des désordres :

4. Il résulte du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif de Lille que ce dernier a constaté une présence permanente d'eau dans la fosse du compteur d'eau ainsi que dans le local du tableau général basse tension et dans les regards extérieurs du bâtiment. L'expert attribue cette présence d'eau à la proximité du niveau de la nappe phréatique, notamment avec les regards n° 2 et 4. Il a préconisé notamment de remplacer les câbles électriques de classe 7 prévus au marché, qui supportent d'être recouverts seulement temporairement d'eau par des câbles de classe 8 qui peuvent être en permanence sous l'eau. L'expert estime que cette proximité des réseaux avec le niveau de la nappe phréatique tient à ce que le projet a été conçu en se fondant sur les niveaux d'eau mentionnés dans une étude de la société Geotec qui précisait que ces niveaux étaient ponctuels. Il conclut donc à une responsabilité exclusive de l'architecte.

5. Toutefois, l'article 2.2.1.6 du cahier des clauses techniques particulières du lot " voirie et réseaux divers " stipule que le titulaire est en charge des travaux de terrassements nécessaires à la pose des ouvrages et doit effectuer si nécessaire des rabattements de nappes. La société Colas Nord-Picardie avait connaissance de la proximité de la nappe, entraînant ce risque de présence d'eau dans les réseaux, comme en témoigne son courrier cité par l'expert et adressé au service départemental d'incendie et de secours le 8 février 2011 où elle indique : " la présence d'eau dans le caniveau technique et s'infiltrant jusqu'au pied du tableau général basse tension est due à la hauteur de la nappe assez élevée sur la zone ". Cette société, entreprise spécialisée en la matière, aurait dû proposer, au titre de son obligation de conseil, des solutions pour que les ouvrages qu'elle allait livrer ne soient pas soumis à un risque d'infiltration. Par ailleurs, lors de la réception, le 21 décembre 2010, une importante infiltration d'eau est apparue dans le local du tableau général basse tension et deux heures après le pompage, a été à nouveau constatée la présence d'eau dans ce local, comme le mentionne également le rapport de l'expert. La société Colas Nord-Picardie a alors proposé de colmater cette infiltration par l'injection de mousse expansée, ce qui a permis la levée des réserves, le 28 février 2011. Mais l'expert note que cette solution qui ne permettait pas un colmatage complet des infiltrations, n'assurait pas une étanchéité des réseaux. Les travaux mis en œuvre sur sa proposition par la société Colas Nord-Est préalablement à la réception de son lot n'ont donc pas empêché la réapparition de désordres qui rendaient l'ouvrage impropre à sa destination et qui n'étaient plus apparents à la date de la réception. Il lui appartenait de proposer une solution pérenne au moment de la levée des réserves. Dans ces conditions, la société Colas Nord-Est ne peut soutenir que les dommages ne résultent en aucune façon de sa participation à l'opération de construction du centre de secours de Bousbecque et que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu sa responsabilité dans les désordres survenus au centre d'incendie et de secours de Bousbecque.

En ce qui concerne la part de responsabilité de la société Colas Nord-Est :

6. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la société Colas Nord-Est a commis une faute au titre de son obligation de conseil en n'alertant pas le maître d'ouvrage sur les risques d'inondation et en proposant une solution inadaptée pour remédier aux désordres, qui a contribué à la réapparition de ces désordres postérieurement à la réception, Par suite, le tribunal administratif a fait une juste appréciation de sa part de responsabilité en la fixant à 20%, compte tenu du caractère prépondérant du défaut de conception, ainsi qu'il a été dit au point 4.

En ce qui concerne les appels en garantie formées par la société Colas Nord-Est :

7. L'appel en garantie par la société Colas Nord-Est des sociétés AETOS, CTH et MECA n'est assorti, en cause d'appel d'aucune précision permettant d'en apprécier la portée. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que la société MECA en tant qu'économiste de la construction, est étrangère aux désordres dont le service d'incendie et de secours demande l'indemnisation. Pour sa part, la société CTH n'a commis aucune faute en proposant des câbles ne pouvant être en contact que ponctuel avec l'eau alors qu'elle n'avait pas connaissance de la proximité de la nappe phréatique avec les réseaux électriques lors de la remise de son étude de conception du réseau électrique et n'avait pas, au titre de sa mission, à contrôler les études de sol. Lorsqu'a été constaté en fin de chantier le risque d'infiltration d'eau dans les réseaux, elle a contacté la société BETM, chargé de la conception pour les structures afin d'obtenir des garanties sur la reprise de ces désordres. La société Colas Nord-Est n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande d'appel en garantie des sociétés MECA et CTH. Par ailleurs, alors que le présent arrêt confirme, compte tenu de la faute commise par cette société, la part de responsabilité mise à la charge de la société Colas Nord-Est, aucun élément ne justifie que soit remise en cause la juste appréciation à laquelle ont procédé les premiers juges en condamnant la société AETOS à garantir la société Colas Nord-Est à hauteur de 5 % des condamnations prononcées contre elle.

8. Compte tenu de ce qui a été dit au point 5, il n'y a pas lieu de modifier la répartition des dépens comme le demande la société Colas Nord-Est sans au surplus assortir ses conclusions de précisions permettant d'en apprécier la portée.

Sur les conclusions d'appel provoqué de la société Aetos :

9. La société Aetos, par la voie de son mandataire ad hoc, demande l'annulation du jugement en tant qu'il l'a condamnée. De telles conclusions sont donc dirigées contre le service départemental d'incendie et de secours du Nord, partie gagnante en première instance, et non contre l'appelant principal. Elles constituent donc un appel provoqué et par suite ne sont recevables que si l'arrêt aggrave la situation de cette société, comme elle le souligne elle-même dans son courrier adressé à la cour le 7 juin 2021. Or, le présent arrêt qui confirme en tous points le jugement du tribunal administratif de Lille du 6 juillet 2018 n'aggrave pas la situation de la société Aetos. Ses conclusions doivent donc être rejetées comme irrecevables.

10. Par suite, il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société Colas Nord-Est doit être rejetée, y compris ses conclusions au titre des dépens et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu non plus, dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions des parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Colas Nord-Est est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Colas Nord-est, au service départemental d'incendie et de secours du Nord, à la société JLL Ingénierie venant aux droits de la société CTH, à la société Generali, à la société MECA et à Me Laurent Miquel en qualité de mandataire ad hoc de la société Aetos.

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N°18DA01837

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18DA01837
Date de la décision : 23/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04 Marchés et contrats administratifs. - Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. - Responsabilité décennale.


Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : SCP PILLE - HAQUETTE

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-09-23;18da01837 ?
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