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13/07/2021 | FRANCE | N°19DA01271

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 13 juillet 2021, 19DA01271


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013.

Par un jugement n° 1701324 du 4 avril 2019, le tribunal administratif de Rouen, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de cette demande à concurrence du dégrèvement prononcé en cours d'instance, à h

auteur d'une somme totale, en droits et pénalités, de 14 570 euros, en matière de prélè...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013.

Par un jugement n° 1701324 du 4 avril 2019, le tribunal administratif de Rouen, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de cette demande à concurrence du dégrèvement prononcé en cours d'instance, à hauteur d'une somme totale, en droits et pénalités, de 14 570 euros, en matière de prélèvements sociaux, a rejeté le surplus des conclusions de cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 3 juin 2019 et le 16 octobre 2020, M. et Mme A..., représentés par Me B..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il ne leur donne pas entière satisfaction ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt et de prélèvements sociaux demeurant en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A... est le dirigeant et l'associé majoritaire de la société Grand Quevilly Santé, qui exploite un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes sur le territoire de la commune de Grand Quevilly (Seine-Maritime). M. A... a créé, le 25 septembre 2013, avec son épouse, détentrice du reste du capital de la société Grand Quevilly Santé, une société civile, dénommée Holding Développement Santé, dont l'objet social consiste notamment en l'acquisition de droits sociaux et la gestion de portefeuille de valeurs mobilières. M. et Mme A... lui ont chacun fait apport, le 25 septembre 2013, de l'intégralité des parts qu'ils détenaient dans le capital de la société Grand Quevilly Santé, à savoir respectivement 60 et 40 parts, représentant une valeur totale de 2 500 000 euros. En contrepartie de leur apport, ils ont chacun bénéficié, à due proportion de cet apport, de l'attribution d'un nombre équivalent de parts de la société Holding Développement Santé, pour une valeur totale fixée à 2 300 000 euros, et du versement d'une soulte de 100 000 euros chacun, destinée à compenser la différence de valeur entre les titres apportés et ceux obtenus à l'issue de cette opération. La société Holding Développement Santé a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 25 septembre 2013 au 31 décembre 2014. Dans le cadre de ce contrôle, le vérificateur, qui s'est plus particulièrement intéressé à l'opération d'apport en capital effectuée le 25 septembre 2013 par M. et Mme A..., a estimé, en se plaçant sur le terrain de la répression des abus de droit, que cette opération avait, en réalité, eu pour seul objet de permettre aux intéressés de percevoir, en franchise d'impôt, des liquidités représentant un montant total de 200 000 euros. Par une proposition de rectification qu'elle a adressée le 17 décembre 2015 à la société Holding Développement Santé, l'administration lui a fait connaître son approche, tout en précisant que celle-ci était sans conséquence financière pour sa propre situation. Par une proposition de rectification qu'elle a adressée le 4 février 2016 à M. et Mme A..., l'administration a fait connaître à ceux-ci sa position sur ce point, en précisant qu'elle entendait, d'une part, écarter, pour cette opération d'apport, le bénéfice du report d'imposition, prévu par l'article 150-0 B ter du code général des impôts, sous lequel les intéressés avaient entendu placer celle-ci, d'autre part, regarder la somme de 200 000 euros perçue par eux comme procédant d'une distribution occulte et réintégrer celle-ci dans leurs revenus imposables de l'année 2013, sur le fondement du c. de l'article 111 de ce code. M. et Mme A... ont présenté des observations qui n'ont pas amené l'administration à reconsidérer sa position. Les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux résultant, pour l'année 2013, de ces rehaussements ont été mis en recouvrement le 31 octobre 2016, à hauteur d'une somme totale de 285 916 euros, en droits et pénalités. Leur réclamation ayant été rejetée, M. et Mme A... ont porté le litige devant le tribunal administratif de Rouen en lui demandant de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont ainsi été assujettis au titre de l'année 2013. Par un jugement du 4 avril 2019, le tribunal administratif de Rouen, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande dont il était saisi à concurrence du dégrèvement prononcé en cours d'instance, à hauteur d'une somme totale, en droits et pénalités, de 14 570 euros, en matière de prélèvements sociaux, a rejeté le surplus des conclusions de cette demande. M. et Mme A... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il ne leur donne pas entière satisfaction.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. et Mme A... avaient notamment soulevé, devant le tribunal administratif, un moyen tiré de l'insuffisante motivation de la proposition de rectification qui leur a été adressée le 4 février 2016, ainsi qu'un moyen tiré de ce que les suppléments d'imposition et de prélèvements sociaux en litige ne pouvaient trouver leur fondement légal dans les prévisions d'une doctrine administrative, d'ailleurs provisoire et publiée à une date postérieure à l'année d'imposition en cause. Or, il ressort des motifs mêmes du jugement attaqué que les premiers juges ont apporté une réponse expresse et suffisamment précise à chacun de ces deux moyens, respectivement au point 3 et au point 10 de ce jugement, qui n'est, par suite, pas entaché de l'insuffisance de motivation invoquée.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

3. En premier lieu, en vertu de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, l'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation.

4. Il ressort des termes de la proposition de rectification adressée le 4 février 2016 à M. et Mme A... que celle-ci précise l'impôt et les prélèvements sociaux, ainsi que l'année concernés par les rectifications envisagées, et qu'elle comporte l'énoncé, notamment par la citation d'extraits de la proposition de rectification adressée le 17 décembre 2015 à la société Holding Développement Santé, des motifs de droit et de fait justifiant ces rectifications. En particulier, ce document expose, notamment, les raisons pour lesquelles l'administration a estimé que l'opération d'apport, à cette société, des parts de la société Grand Quevilly Santé, effectuée par M. et Mme A..., procédait d'un abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. Si, pour les besoins de cette démonstration, le rédacteur de ce document s'est approprié plusieurs passages d'une doctrine administrative qui n'a été publiée qu'à une date postérieure à l'année d'imposition en litige et qui était susceptible de connaître des modifications, ce procédé, dès lors qu'il ne consiste pas en une référence à des éléments extérieurs auxquels les contribuables n'avaient pas accès mais en une simple reproduction de ces éléments, n'a aucunement nui à la compréhension, par les intéressés, du raisonnement conduit par l'administration pour estimer que la situation juridique envisagée par les extraits de doctrine ainsi reproduits correspondait à leur situation propre. Les mentions ainsi contenues dans la proposition de rectification du 4 février 2016 ont, par suite, permis à M. et Mme A... de comprendre l'analyse développée par l'administration pour justifier les rectifications envisagées, et de présenter d'utiles observations. Ces mentions constituent, dès lors, une motivation suffisante au regard de l'exigence posée par les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales.

5. En deuxième lieu, si, dans le cadre de la mise en œuvre de la vérification de comptabilité prévue à l'article L. 13 du livre des procédures fiscales, l'entreprise faisant l'objet de ce contrôle bénéficie de la garantie consistant, pour ses représentants, en la tenue d'un débat oral et contradictoire avec le vérificateur, le bénéfice de cette garantie ne s'étend pas, dans le cas où l'entreprise vérifiée est une société, aux associés non dirigeants de celle-ci qui n'ont pas été habilités pour la représenter dans le cadre du contrôle. Ainsi, les appelants ne peuvent, en tout état de cause, utilement soutenir que Mme A..., qui est associée non dirigeante de la société Holding Développement Santé et qui ne justifie, ni d'ailleurs n'allègue, avoir reçu mandat pour représenter cette société au cours de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, n'a pas bénéficié, à l'occasion de ce contrôle, de la garantie consistant en la tenue d'un débat oral et contradictoire avec le vérificateur, alors même que les rehaussements qui lui ont été notifiés, de même qu'à son époux, procèdent des rectifications notifiées à cette société.

6. En troisième lieu, M. et Mme A... soutiennent que, dans le cadre du contrôle dont a fait l'objet la société Holding Développement Santé, société civile ayant opté pour le régime d'imposition applicable aux sociétés de capitaux, le vérificateur aurait manqué, à l'égard des représentants de cette société, à ses devoirs de loyauté et d'impartialité, en leur indiquant, dans un premier temps, qu'il ne serait procédé à aucune rectification en cas de production de justificatifs de l'intérêt économique de l'opération d'apport au capital de cette société, puis en leur notifiant, dans un second temps, des rehaussements en dépit du fait qu'ils avaient produit de tels justificatifs. Toutefois, en vertu du principe d'indépendance des procédures, les irrégularités susceptibles d'affecter la procédure d'imposition suivie à l'encontre d'une société soumise au régime d'imposition des sociétés de capitaux sont sans incidence sur la régularité de la procédure mise en œuvre pour établir les impositions personnelles mises à la charge de ses associés, ainsi que sur le bien-fondé de ces impositions. Au surplus, il n'est pas contesté que le vérificateur a exposé aux représentants de la société Holding Développement Santé, à savoir M. A... et le comptable de la société, au cours de la réunion de synthèse qui s'est tenue à la fin du contrôle, les raisons pour lesquelles les justificatifs produits ne pouvaient être regardés comme étant de nature à établir que l'opération d'apport répondait à un intérêt économique, tenant notamment à ce que ces pièces se rapportaient à une période antérieure à la création de la société Holding Développement Santé. Enfin, il ressort des termes de la proposition de rectification adressée à cette société le 17 décembre 2015 que, pour retenir qu'il n'était pas établi que cette opération d'apport aurait été effectuée dans un but de développement économique de cette société, le vérificateur a fait état de l'absence de mise en œuvre d'un quelconque projet de développement par la société Holding Développement Santé, ni même d'activité réelle de cette société durant l'exercice clos en 2013, au cours duquel a eu lieu l'opération d'apport et qu'il ne lui était ainsi pas nécessaire de porter une appréciation sur le caractère probant de justificatifs se rapportant à une période antérieure à cette opération, ainsi d'ailleurs qu'à la création même de la société Holding Développement Santé. Il suit de là que le moyen ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé des suppléments d'impôt et de prélèvements sociaux en litige :

En ce qui concerne l'existence d'un abus de droit :

7. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. / (...) ".

8. Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, et notamment en l'absence de saisine du comité, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif, ou bien, à défaut, recherchent le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.

9. En vertu du 1 du I. de l'article 150-0 A du code général des impôts, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux de valeurs mobilières, de droits sociaux, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu. En outre, aux termes de l'article 150-0 B ter de ce code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. - L'imposition de la plus-value réalisée, directement ou par personne interposée, dans le cadre d'un apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s'y rapportant tels que définis à l'article 150-0 A à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est reportée si les conditions prévues au III du présent article sont remplies. Le contribuable mentionne le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l'article 170. / Les apports avec soulte demeurent soumis à l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus. / (...) III. - Le report d'imposition est subordonné aux conditions suivantes : / 1° L'apport de titres est réalisé en France (...) ; / 2° La société bénéficiaire de l'apport est contrôlée par le contribuable. Cette condition est appréciée à la date de l'apport, en tenant compte des droits détenus par le contribuable à l'issue de celui-ci. (...) / Le contribuable et une ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérés comme contrôlant conjointement une société lorsqu'ils déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale. / (...) ".

10. Il ne résulte pas des dispositions précitées de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, en l'absence de toute mention explicite en ce sens, que le législateur ait entendu exclure la possibilité pour l'administration fiscale de faire application aux opérations d'apport entrant dans leurs prévisions, notamment aux opérations d'apport avec soulte lorsque le montant de celle-ci est inférieure à 10 '% de la valeur nominale des titres reçus, de la procédure d'abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales lorsque les conditions de mise en œuvre de cette procédure sont réunies.

11. Pour remettre en cause le bénéfice du report d'imposition, prévu par les dispositions précitées de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, sous lequel M. et Mme A... avaient placé l'opération d'apport, à la société Holding Développement Santé qu'ils venaient de créer, de l'intégralité des parts qu'ils détenaient dans le capital de la société Grand Quevilly Santé, à savoir respectivement 60 et 40 parts, l'administration a retenu, selon les termes de la proposition de rectification qu'elle a adressée le 4 février 2016 à M. et Mme A..., que cet apport avait été consenti par les intéressés en contrepartie de l'attribution d'un nombre égal de parts de la société Holding Développement Santé et moyennant le versement, à chacun des apporteurs, d'une soulte d'un montant de 100 000 euros présentée comme destinée à compenser la différence de valeur entre les titres apportés et ceux reçus en contrepartie. L'administration a cependant relevé que la valeur totale des titres apportés s'élevait, à la date de l'apport, à 2 500 000 euros, tandis que le capital de la société Holding Développement Santé avait été fixé à 2 300 000 euros à cette même date, par une décision de ses associés, à savoir de M. et Mme A..., dans une situation dans laquelle, d'une part, ce capital comprenait les seuls titres apportés et, d'autre part, aucune logique économique n'est susceptible de justifier cette dévaluation. Après avoir relevé que la société Holding Développement Santé ne justifiait d'aucun projet d'investissement au cours de l'année 2013, ni même d'aucune activité réelle, hormis la perception des dividendes de ses parts sociales, l'administration a estimé que cette opération d'apport avait, en réalité, eu pour seul objet de permettre à M. et Mme A... de percevoir la somme totale de 200 000 euros en franchise d'impôt, par une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, en vertu desquelles les soultes perçues à l'occasion d'un échange de droits sociaux ne sont pas imposées au titre de l'année de réalisation de l'opération lorsque leur montant n'excède pas 10 % de la valeur des titres reçus. Dans ces conditions, l'administration, après avoir écarté l'acte d'apport qui lui avait été présenté et qui était, en réalité, inséré aux statuts de la société Holding Développement Santé, a, d'une part, remis en cause, pour cette opération d'apport, le bénéfice du report d'imposition, prévu par l'article 150-0 B ter du code général des impôts, sous lequel M. et Mme A... avaient entendu placer celle-ci, d'autre part, regardé la somme de 200 000 euros perçue par eux comme procédant d'une distribution occulte et réintégré celle-ci dans leurs revenus imposables de l'année 2013, sur le fondement du c. de l'article 111 de ce code. Par les éléments susmentionnés, l'administration, qui supporte la charge de la preuve en l'absence de saisine du comité de l'abus de droit fiscal, doit être regardée comme apportant des éléments suffisamment précis et de nature à révéler l'existence d'une intention de M. et Mme A... d'éluder ou d'atténuer, à l'occasion de cette opération d'apport, leurs charges fiscales normales.

12. Pour combattre ces éléments et démontrer que l'opération d'apport qu'ils ont réalisée en 2013 poursuivait un objectif autre que celui d'atténuer leur charge fiscale, M. et Mme A... soutiennent que la création de la société Holding Développement Santé avait pour but de leur permettre de disposer d'un outil leur permettant de développer l'activité exploitée par eux dans le cadre de la société Grand Quevilly Santé. A cet effet, ils font observer que cette dernière société est quasiment la seule, dans le département de la Seine-Maritime, à exploiter un unique établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes et ajoutent qu'un développement de son activité implique nécessairement la mise en œuvre d'une stratégie de croissance externe consistant en l'acquisition d'autres sociétés exploitant de tels établissements. Ils ajoutent que seule la création d'une société holding financée par un apport de titres permet de disposer, par la perception des dividendes attachés à ces droits sociaux, du financement nécessaire à l'acquisition d'autres structures. Ils indiquent également avoir apporté des justifications des démarches qu'ils ont accomplies dans le but d'acquérir une société et qui n'ont pu aboutir, dans le contexte d'un marché très concurrentiel, pour des raisons indépendantes de leur volonté. Enfin, ils exposent que la soulte qu'ils ont chacun perçue avait pour objet de compenser la différence existant entre la valeur des titres apportés et celle des titres reçus en échange.

13. Toutefois, il ressort des pièces produites par M. et Mme A..., en particulier des copies des courriers électroniques qu'ils ont échangés, ainsi que leur expert-comptable, avec la directrice et le comptable de l'établissement dont ils avaient envisagé l'acquisition, que ces pourparlers ont été engagés par eux au cours de l'année 2011 et qu'ils se sont poursuivis, pour finalement échouer, en 2012, soit avant même la création, le 25 septembre 2013, de la société Holding Développement Santé et la réalisation, à la même date, de l'opération d'apport en cause. En outre, ainsi que le relève le ministre, M. et Mme A... ne font état d'aucune autre négociation ayant pour but de développer l'activité jusqu'alors exercée dans le cadre de la société Grand Quevilly Santé, leurs allégations relatives au caractère nécessairement confidentiel de tels pourparlers ne permettant pas d'expliquer, à elles seules, qu'ils n'aient pu fournir aucun élément de nature à justifier du suivi d'un seul projet de croissance après la constitution de la société Holding Développement Santé, même n'ayant pu aboutir. Enfin, la fixation à 2 300 000 euros de la valeur du capital de cette société, qui était constitué, à la date de la création de celle-ci, des seuls titres de la société Grand Quevilly Santé qui lui avaient été apportés et qui avaient été évalués à la somme de 2 500 000 euros, résulte de la décision prise par M. et Mme A..., uniques associés de la société Holding Développement Santé, et qu'ils n'ont pu justifier par aucun argument d'ordre économique, alors que cette décision constitue la seule justification des soultes d'un montant total de 200 000 euros qu'ils ont perçues et qui, en raison de l'application du régime de report d'imposition prévu l'article 150-0 B ter du code général des impôts, n'ont pas été soumises à l'impôt au titre de l'année 2013 alors qu'elles auraient dû l'être. Dans ces conditions, l'administration était fondée à écarter les stipulations des statuts de la société Holding Développement Santé afférentes à cette opération d'apport, en mettant en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, et à donner son exacte qualification à la perception de ces soultes par M. et Mme A..., à savoir celle de revenus distribués imposables, sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

En ce qui concerne la base légale des impositions et prélèvements sociaux en litige :

14. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que les suppléments d'impôt et de contributions sociales en litige trouvent leur fondement légal dans les dispositions des articles 150-0 A et 111 du code général des impôts et non dans les extraits de doctrine administrative que le vérificateur a mentionnés dans la proposition de rectification adressée à M. et Mme A... le 4 février 2016. Il suit de là que le moyen tiré de ce que les suppléments d'impôt et de contributions sociales en litige seraient dépourvus de base légale, dès lors que l'administration aurait entendu fonder ceux-ci sur les extraits d'une doctrine administrative, inopposable aux contribuables, ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de la Constitution :

15. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. (...) ". Dès lors que, comme il a été dit aux points 7 à 13, les suppléments d'impôt et de prélèvements sociaux en litige ont été établis conformément à la loi, le moyen tiré par M. et Mme A... de ce qu'ils auraient été assujettis à des impositions et contributions sociales présentant un caractère confiscatoire, en méconnaissance de l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, doit être regardé comme consistant à soutenir que les dispositions des articles 150-0 A et 111 du code général des impôts, sur le fondement desquels ces suppléments d'impôt et de prélèvements sociaux ont été établis, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Or, M. et Mme A... n'ont pas présenté, dans un mémoire distinct, ce moyen qui n'est, par suite, pas recevable et doit être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande. Les conclusions qu'ils présentent sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

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N°19DA01271


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA01271
Date de la décision : 13/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Règles générales d'établissement de l'impôt - Abus de droit et fraude à la loi.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Revenus des capitaux mobiliers et assimilables - Plus-values de cession de droits sociaux - boni de liquidation.


Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : JURISTES-CONSEILS-SABLIERE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-07-13;19da01271 ?
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