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03/06/2021 | FRANCE | N°20DA00116

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 03 juin 2021, 20DA00116


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B..., alias F..., a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 12 novembre 2019 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a prononcé son maintien en rétention administrative durant le temps strictement nécessaire à l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, en cas de décision de rejet ou d'irrecevabilité de celle-ci, dans l'attente de son départ.

Par un jugement n° 1909665 du 6 décembre 2019, le magistrat désign

par le président du tribunal administratif de Lille, après avoir admis à titre provi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B..., alias F..., a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 12 novembre 2019 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a prononcé son maintien en rétention administrative durant le temps strictement nécessaire à l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, en cas de décision de rejet ou d'irrecevabilité de celle-ci, dans l'attente de son départ.

Par un jugement n° 1909665 du 6 décembre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, après avoir admis à titre provisoire M. B... à l'aide juridictionnelle, a annulé cet arrêté et a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros à verser à Me D..., conseil de M. B..., au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 21 janvier 2020, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. B....

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Binand, président-assesseur,

- et les observations de M. C..., représentant le préfet du Pas-de-Calais.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 5 novembre 2019, le préfet du Pas-de-Calais a fait obligation à M. A... B..., alias F..., de quitter le territoire français sans délai, a fixé le Bangladesh comme pays de renvoi à titre principal, lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an et l'a placé en rétention administrative. Le 9 novembre suivant, M. B..., dont le placement en rétention avait été prolongé par le juge des libertés et de la détention, a présenté une demande d'asile. Par un arrêté du 12 novembre 2019, notifié le même jour à 11h15, le préfet du Pas-de-Calais, estimant que cette demande était dilatoire, a maintenu M. B... en rétention administrative sur le fondement de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un jugement du 6 décembre 2019, dont le préfet du Pas-de-Calais relève appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté et a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros à verser à Me D..., conseil de M. B..., au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

2. Aux termes de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsqu'un étranger placé en rétention en application de l'article L. 551-1 présente une demande d'asile, l'autorité administrative peut procéder pendant la rétention à la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de cette demande conformément à l'article L. 742-1 et, le cas échéant, à l'exécution d'office du transfert dans les conditions prévues à l'article L. 742-5. Si la France est l'Etat membre responsable de l'examen de cette demande et si l'autorité administrative estime, sur le fondement de critères objectifs, que cette demande est présentée dans le seul but de faire échec à l'exécution de la mesure d'éloignement, elle peut prendre une décision de maintien en rétention de l'étranger pendant le temps strictement nécessaire à l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, en cas de décision de rejet ou d'irrecevabilité de celle-ci, dans l'attente de son départ. (...) / L'étranger peut demander au président du tribunal administratif l'annulation de la décision de maintien en rétention dans les quarante-huit heures suivant sa notification pour contester les motifs retenus par l'autorité administrative pour estimer que sa demande d'asile a été présentée dans le seul but de faire échec à l'exécution de la mesure d'éloignement. Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction (...) statue après la notification de la décision de l'office relative au demandeur, dans un délai qui ne peut excéder quatre-vingt-seize heures à compter de l'expiration du délai de recours, dans les conditions prévues au III de l'article L. 512-1 du présent code. / Si, saisi dès le placement en rétention de l'étranger en application du même article L. 512-1, le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin n'a pas encore statué sur ce premier recours, il statue sur les deux requêtes par une seule décision. / (...) / La demande d'asile est examinée selon la procédure accélérée prévue à l'article L. 723-2. L'office statue dans les conditions prévues aux articles L. 723-2 à L. 723-16 dans un délai de quatre-vingt-seize heures. (...)".

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En premier lieu, il ne résulte ni des dispositions, citées au point 2, de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni de l'article 9 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 dont elles assurent la transposition, qui dispose seulement que le droit national doit prévoir une procédure juridictionnelle accélérée et que le maintien en rétention cesse de produire ses effets immédiatement en cas d'illégalité constatée par le juge, que le délai prévu pour statuer sur le maintien en rétention d'un demandeur d'asile serait imparti à peine de nullité du jugement. Par suite, le préfet du Pas-de-Calais n'est pas fondé à soutenir que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, en statuant, au-delà de ce délai, a entaché son jugement d'irrégularité.

4. En second lieu, le préfet du Pas-de-Calais soutient que le premier juge, en ne statuant pas, par une seule décision, sur les demandes de M. B... dirigées, respectivement, contre l'arrêté du 5 novembre 2019 et contre l'arrêté du 12 novembre 2019, a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, il est constant que le tribunal administratif, par un jugement du 3 décembre 2019, a statué en formation collégiale sur les conclusions de la demande de M. B... qui tendait, en application de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à l'annulation des décisions contenues dans l'arrêté du 5 novembre 2019. Par suite, en se prononçant, par le jugement attaqué, sur la légalité de l'arrêté du 12 novembre 2019 prononçant le maintien en rétention de M. B..., qui restait seul en litige devant lui, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille n'a pas méconnu ces dispositions. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité dont le jugement attaqué serait entaché à ce titre ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité de l'arrêté du 12 novembre 2019 :

5. Pour estimer que M. B... avait exprimé son intention de demander l'asile, le 9 novembre 2019, dans le seul but de faire échec à la mesure d'éloignement prononcée par l'arrêté du 5 novembre 2019, le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé sur ce que l'intéressé n'avait pas sollicité la protection internationale depuis son entrée sur le territoire des Etats-membres de l'Union européenne à la fin de l'année 2018, soit un an auparavant, et sur ce qu'il ne faisait état d'aucune crainte en cas de renvoi au Bangladesh.

6. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. B... a été déchu de la nationalité britannique à compter du 3 novembre 2017, alors qu'il avait quitté le Royaume-Uni depuis plusieurs années et qu'il résidait en Turquie. Après que la " Special immigration appeal commission " a décidé qu'il ne pouvait légalement être déchu de la nationalité britannique sous peine de devenir apatride, M. B... est revenu sur le territoire des Etats membres de l'Union européenne à la fin de l'année 2018, sous couvert de son passeport britannique. Le 5 novembre 2019, l'entrée au Royaume-Uni lui a été refusée alors qu'il franchissait la frontière de ce pays, en provenance de la France. Son passeport lui a été confisqué par les autorités britanniques au motif du caractère exécutoire de la déchéance de cette nationalité, même frappée d'appel, et il a alors été remis aux autorités françaises. Ainsi, quand bien même la décision rendue en sa faveur n'était pas définitive, M. B... ne pouvait prendre conscience de la perte de son droit de circuler et de séjourner au sein de l'Union européenne attachée alors à sa qualité de ressortissant britannique, avant le refus d'entrée au Royaume-Uni qui lui a été opposé le 5 novembre 2019. Par ailleurs, la circonstance que M. B... n'a pas fait état, au cours de son audition devant les services de police, de craintes encourues en cas de retour au Bangladesh, n'est pas de nature, à elle seule, à établir le caractère dilatoire de sa demande de protection internationale, dès lors qu'il a toujours contesté être ressortissant de ce pays, ce qui, à le supposer avéré, pouvait conduire à lui voir reconnaître la qualité d'apatride compte tenu de la déchéance de la nationalité britannique qui lui était alors opposée. Il en est de même des craintes de même nature dont il a fait part, au demeurant après l'édiction de l'arrêté contesté, devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Enfin, si le préfet du Pas-de-Calais fait valoir que la décision fixant le Bangladesh comme pays de renvoi de M. B... a été annulée le 3 décembre 2019 par le tribunal administratif de Lille, cette circonstance est sans incidence sur l'appréciation du caractère dilatoire ou non de la demande d'asile de M. B... au 12 novembre 2019, date de l'arrêté en litige.

7. Aussi, dans les circonstances très particulières de l'espèce, le préfet du Pas-de-Calais, en se fondant, pour maintenir M. B... en rétention, sur ce que sa demande d'asile n'avait d'autre objet que de faire échec à l'exécution de la mesure d'éloignement dont il faisait l'objet, a méconnu les dispositions, citées au point 2, de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 6 décembre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 12 novembre 2019. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me D..., conseil de M. B..., d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet du Pas-de-Calais est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à Me D..., conseil de M. B..., au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. A... B..., alias F..., et à Me D....

Copie en sera transmise au préfet du Pas-de-Calais.

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N°20DA00116


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20DA00116
Date de la décision : 03/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Restrictions apportées au séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière - Légalité interne - Étrangers ne pouvant faire l`objet d`une OQTF ou d`une mesure de reconduite - Demandeurs d'asile - Demande n'ayant pas un caractère dilatoire.


Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Christophe Binand
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : VERGNOLE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-06-03;20da00116 ?
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