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06/05/2021 | FRANCE | N°20DA00699

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 06 mai 2021, 20DA00699


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 29 avril 2019 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 1903714 du 11 juillet 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure

devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 mai 2020, M. A..., représenté par Me ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 29 avril 2019 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 1903714 du 11 juillet 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 mai 2020, M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 29 avril 2019 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée de deux ans ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive n° 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Binand, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant roumain né le 13 août 1975, est entré en France en mars 2018, selon ses déclarations. Dans le cadre d'une interpellation pour des faits de vol en réunion, il a été placé en garde à vue le 28 avril 2019. A l'issue de cette garde à vue, le préfet du Nord, par un arrêté du 29 avril 2019, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée de deux ans. M. A... relève appel du jugement du 11 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un État membre de l'Union européenne (...) à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : / 1° Qu'il ne justifie plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 121-1, L. 121-3 ou L. 121-4-1 ; / (...) / 3° Ou que son comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. / (...) ". Il appartient à l'autorité administrative, qui ne saurait se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.

3. D'une part, M. A... soutient que le préfet du Nord a entaché sa décision d'une erreur de droit en ne procédant qu'à un examen partiel de sa situation au motif qu'il se serait borné à relever les mesures d'enquête dont il a fait l'objet ainsi que son absence d'activité professionnelle, sans prendre en compte ni sa situation familiale, ni l'intensité de ses liens avec la France ou son pays d'origine, ni son état de santé. Toutefois, il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que le préfet du Nord a pris en compte l'ensemble des éléments permettant de caractériser la situation de M. A... tant du point de vue de ses conditions de son séjour sur le territoire français que du point de vue de sa situation individuelle au plan privé et familial. En particulier, la décision contestée énonce, outre l'absence d'activité professionnelle de l'intéressé et les mesures d'enquête dont il a fait l'objet, la circonstance que M. A... est marié et a deux enfants à charge et indique, en outre, qu'il n'est pas dépourvu d'attaches dans son pays d'origine. Si le requérant fait valoir que le préfet du Nord n'a pas pris en compte son état de santé, il ne précise pas en quoi celui-ci aurait dû être pris en compte et ne produit, dans le cadre de l'instance, aucune pièce relative à d'éventuelles difficultés de santé. Par suite, le moyen doit être écarté.

4. D'autre part, il ressort des termes de l'arrêté contesté que, pour estimer que M. A... entrait, par son comportement, dans le champ d'application des dispositions du 3° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, citées au point 2, le préfet du Nord s'est fondé, d'une part, sur les signalements dont l'intéressé a fait l'objet le 6 juillet 2008 pour des faits de vol aggravé et le 7 avril 2014 pour des faits de tentative de vol par effraction en réunion. Toutefois, ces faits, eu égard à leur caractère ancien, ne suffisent pas à établir M. A... constituait, à la date de l'arrêté contesté, édicté le 29 avril 2019, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société au sens des dispositions du 3° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. D'autre part, le préfet du Nord s'est également fondé sur le placement en garde à vue dont a fait l'objet M. A... le 28 avril 2019 pour des faits de vol en réunion avec violence. Toutefois, M. A..., ainsi qu'il ressort de ses déclarations aux services de police dans le cadre de sa garde à vue, conteste l'exactitude matérielle de ces faits sur lesquels le préfet du Nord n'apporte aucun élément ni aucune précision permettant les regarder comme établis. Dès lors, ce placement en garde à vue n'est pas davantage de nature à établir, par lui-même, que l'intéressé entrait dans le champ d'application des dispositions précitées du 3° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Toutefois, il ressort des termes de la décision contestée que le préfet du Nord s'est également fondé, pour obliger M. A... à quitter le territoire français, sur les dispositions du 1° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en retenant que l'intéressé ne remplissait aucune des conditions mentionnées à l'article L. 121-1 de ce code pour séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois, et, en particulier, que celui-ci n'exerçait aucune activité professionnelle et n'établissait pas disposer de revenus propres afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale français, ce que le requérant ne conteste pas. Dès lors, le préfet du Nord a pu légalement se fonder sur ce seul motif pour obliger M. A... à quitter le territoire français.

6. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions concernant les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

7. M. A... fait valoir qu'il vit en France avec son épouse, que le couple est parent de trois enfants, dont deux mineurs, et que ses parents, sa belle-fille, ses petits-enfants et ses frères et soeurs vivent également en France alors qu'il lui reste seulement une tante en Roumanie. Toutefois, l'intéressé, dont le séjour en France est récent, ne fait état d'aucun obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue en Roumanie, où ont vocation à l'accompagner, ses enfants, âgés de douze et quatorze ans, ainsi que son épouse, dont le préfet fait valoir, sans être contredit, qu'elle ne dispose pas d'un droit au séjour en France. En outre, le requérant, qui ne conteste pas n'exercer aucune activité professionnelle, ne fait état d'aucune intégration particulière sur le territoire français et n'établit ni l'intensité des liens qui l'unirait avec les autres membres de sa famille présents sur le territoire français, ni même son isolement en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.

8. Il résulte des six points qui précèdent que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

Sur le refus d'attribution d'un délai de départ volontaire :

9. Aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à trente jours à compter de sa notification. (...) ".

10. Pour estimer qu'il y avait urgence à éloigner M. A... du territoire français, le préfet du Nord s'est exclusivement fondé sur la menace à l'ordre public que représente la présence de ce dernier sur le territoire français. Or, ainsi qu'il a été dit au point 4, les faits sur lesquels le préfet s'est fondé pour estimer que la présence de l'intéressé constituait une menace pour l'ordre public présentent, pour les uns, un caractère ancien et, pour les plus récents, ne sont pas établis. Dans ces conditions, M. A... est fondé à soutenir que le préfet du Nord a entaché cette décision d'une erreur d'appréciation.

11. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés à l'encontre de cette décision, que M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision portant refus d'attribution d'un délai de départ volontaire.

Sur la décision portant interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de deux ans :

12. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 511-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français prononcée en application des 2° et 3° de l'article L. 511-3-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans. ".

13. La décision par laquelle le préfet du Nord a fait interdiction à M. A... de circuler sur le territoire français pour une durée de deux ans repose sur la menace à l'ordre public que représenterait la présence de ce dernier sur le territoire français. Toutefois, il résulte de ce qui a été exposé aux points 4 et 5 que la décision par laquelle le préfet du Nord a obligé M. A... à quitter le territoire français n'est légalement fondée que sur les dispositions du 1° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, M. A... n'entrant pas dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article L. 511-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'interdiction de circulation sur le territoire français prononcée à son encontre pour une durée de deux ans est dépourvue de base légale.

14. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés à l'encontre de cette décision, que M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision portant interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Sur la décision fixant le pays de destination :

15. Il résulte de ce qui a été dit au point 8 que M. A..., à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination, n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation des décisions, contenues dans l'arrêté du 29 avril 2019, par lesquelles le préfet du Nord a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français et lui a fait interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de deux ans et à demander, dans cette mesure, l'annulation de l'article 2 de ce jugement ainsi que l'annulation de ces décisions.

Sur les frais liés au litige :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros à Me D..., conseil de M. A..., sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1903714 du 11 juillet 2019 du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de M. A... tendant à l'annulation des décisions du préfet du Nord, contenues dans l'arrêté du 29 avril 2019, refusant de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français et lui faisant interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Article 2 : L'arrêté du 29 avril 2019 du préfet du Nord est annulé en tant qu'il refuse d'accorder à M. A... un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français et lui interdit de circuler sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à Me D..., conseil de M. A..., au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et à Me D....

Copie en sera adressée au préfet du Nord.

6

N°20DA00699


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20DA00699
Date de la décision : 06/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Christophe Binand
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 20/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-05-06;20da00699 ?
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