Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme (SA) d'habitations à loyers modérés Le logement familial de l'Eure a demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer, à hauteur d'un montant de 122 244 euros, le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a porté sur sa déclaration de chiffre d'affaires du dernier trimestre de l'année 2015.
Par un jugement n° 1603866 du 30 novembre 2018, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 février 2019 et le 29 octobre 2020, la société Le logement familial de l'Eure, représentée par Me A..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a porté sur sa déclaration de chiffre d'affaires correspondant au dernier trimestre de l'année 2015, à hauteur de la somme de 112 327 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Binand, président-assesseur,
- les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., pour la société anonyme Le logement familial de l'Eure.
Considérant ce qui suit :
1. La société anonyme (SA) d'habitations à loyers modérés Le logement familial de l'Eure, qui exerce une activité de bailleur social, a demandé à l'administration, à l'occasion du dépôt, le 22 janvier 2016, de sa déclaration de taxe sur la valeur ajoutée se rapportant au dernier trimestre de l'année 2015, le remboursement d'un crédit de cette taxe. Elle relève appel du jugement du 30 novembre 2018 du tribunal administratif de Rouen en tant que, par ce jugement le tribunal a rejeté sa demande tendant au remboursement de ce crédit de taxe sur la valeur ajoutée, à hauteur de la somme de 112 327 euros. Au soutien de ses conclusions, la société se prévaut, dans le dernier état de ses écritures, de l'exercice selon elle insuffisant de son droit à déduction se rapportant à une livraison à soi-même en 2012, à la variation du coefficient de déduction de ses frais généraux et de certaines immobilisations pour la période comprise entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2014, à la régularisation, sur cette même période, de la taxe correspondant à des immobilisations inscrites de 2010 à 2012, de la taxe grevant des frais de démolition supportés en 2013, et revendique la déduction de la taxe grevant des frais d'huissier de justice qu'elle a supportés en 2013 et en 2014.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'action et des comptes publics :
2. Le ministre fait valoir, sans être sérieusement contredit par l'appelante ni démenti par les éléments de l'instruction, que le 3 octobre 2016, soit avant la saisine du tribunal administratif de Rouen, l'administration a fait droit entièrement aux demandes de remboursement de taxe sur la valeur ajoutée qui étaient revendiquées, s'agissant des immobilisations, à hauteur de la somme de 1 960 euros pour la période correspondant à l'année 2014 et s'agissant des frais généraux, à hauteur de la somme de 10 537 euros. Par suite, les conclusions présentées à ce titre par la société Le logement familial de l'Eure sont irrecevables et doivent être rejetées.
Sur la régularité du jugement :
3. La société Le logement familial de l'Eure fait valoir que les premiers juges ont soulevé d'office, et sans mettre les parties en mesure d'en débattre contradictoirement, le moyen tiré de ce qu'elle ne justifiait pas de la réalité de la facturation en 2014 des frais d'huissier de justice dont elle revendique la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée les grevant. Toutefois, ainsi qu'il est indiqué au point 7 de ce jugement, et comme cela résulte des termes mêmes de la décision du 3 octobre 2016 portant rejet partiel de la demande de remboursement présentée par la société Le logement familial de l'Eure, versée au dossier de première instance, l'administration, pour refuser d'admettre la déduction de la taxe grevant ces frais de poursuite, s'est fondée sur le défaut de justification de la facturation de ces frais à la société. Aussi, en indiquant qu' "il résulte de l'instruction que (...) la société anonyme d'habitations à loyers modérés Le logement familial de l'Eure n'a pas présenté les factures émises par les huissiers de justice auxquels elle a eu recours pour engager des poursuites à l'encontre de locataires défaillants ", les premiers juges se sont prononcés, dans le cadre de leur office, et sans méconnaître le principe du contradictoire, sur le bien-fondé du droit à déduction dont la société se prévalait devant eux. Il s'ensuit que, à le supposer soulevé par l'appelante, le moyen tiré de l'irrégularité dont le jugement serait entaché à ce titre doit être écarté.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
4. En premier lieu, aux termes du I de l'article 271 du code général des impôts : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable. / (...) / 3. La déduction de la taxe ayant grevé les biens et les services est opérée par imputation sur la taxe due par le redevable au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance. ". Aux termes du 1 de l'article 287 du même code : " Tout redevable de la taxe sur la valeur ajoutée est tenu de remettre au service des impôts dont il dépend et dans le délai fixé par arrêté une déclaration conforme au modèle prescrit par l'administration. ". Aux termes de l'article 208 de l'annexe II à ce code : " I. - Le montant de la taxe déductible doit être mentionné sur les déclarations déposées pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, à condition qu'elle fasse l'objet d'une inscription distincte, la taxe dont la déduction a été omise sur cette déclaration peut figurer sur les déclarations ultérieures déposées avant le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l'omission. Les régularisations prévues à l'article 207 doivent également être mentionnées distinctement sur ces déclarations. / II. - Lorsque, sur une déclaration, le montant de la taxe déductible excède le montant de la taxe due, l'excédent de taxe dont l'imputation ne peut être faite est reporté, jusqu'à épuisement, sur les déclarations suivantes. Toutefois, cet excédent peut faire l'objet de remboursements dans les conditions fixées par les articles 242-0 A à 242-0 K. ". Enfin, aux termes de l'article 39 de l'annexe IV au même code : " 1. 1° La date limite à laquelle les redevables sont tenus de remettre ou d'envoyer au service des impôts la déclaration ou le paiement mentionnés aux 1 et 3 de l'article 287 du code général des impôts est fixé comme suit : / (...) / c. Pour les taxes dues au titre (...) du trimestre par les redevables placés sous le régime de la déclaration (...) : / (...) / Sociétés anonymes : au plus tard le 24 du mois suivant ; / (...) ".
5. Il résulte des dispositions citées au point précédent que le délai imparti pour réparer une omission de déclaration de la taxe sur la valeur ajoutée déductible court à compter de la date d'exigibilité de la taxe chez le redevable et expire le 31 décembre de la deuxième année suivant la date à laquelle la déclaration doit être effectuée. Lorsqu'un assujetti a omis de reporter le montant de la taxe déductible qu'il a déclarée dans les délais prévus, le délai de régularisation de son omission, à peine de péremption du droit à déduction, expire le 31 décembre de la deuxième année suivant la date limite à laquelle il devait déclarer ce premier report.
6. D'une part, ainsi que les premiers juges l'ont indiqué au point 2 du jugement attaqué, il résulte des dispositions de l'article 273 du code général des impôts, que le Conseil constitutionnel a d'ailleurs déclaré conformes à la Constitution par la décision QPC n°2010-5 du 18 juin 2010, que le législateur a confié au pouvoir réglementaire la détermination des modalités de régularisation des omissions de déduction de taxe sur la valeur ajoutée. Contrairement à ce que soutient la société appelante, il ne résulte ni des termes de cet article, ni de ceux de l'article 271 du code général des impôts, que la régularisation de ses omissions par le contribuable devrait intervenir nécessairement en respectant les dates de dépôt des déclarations fixées par les dispositions de nature législative. La société Le logement familial de l'Eure, qui est astreinte au dépôt de déclarations trimestrielles de taxe sur la valeur ajoutée, ne peut davantage se prévaloir de la réponse ministérielle, publiée le 26 novembre 1980, relative à la date de régularisation de leurs omissions applicable aux assujettis qui déclarent annuellement cette taxe, dès lors qu'elle n'entre pas dans le champ d'application de cette interprétation de la loi fiscale, à la supposer même maintenue en vigueur au cours de la période redressée. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que la date du 31 décembre de la deuxième année suivant celle de l'omission de faire figurer la taxe non déduite, prévue par l'article 208 de l'annexe II au code général des impôts, ne lui est pas légalement opposable.
7. D'autre part, lorsqu'un contribuable en situation de crédit permanent de taxe sur la valeur ajoutée constate, à la suite de la surestimation de son chiffre d'affaires déclaré, un crédit de taxe sur la valeur ajoutée déductible supplémentaire, il lui appartient de reporter sur les déclarations suivantes l'excédent de crédit de taxe déductible pour en permettre l'imputation ultérieure sur la taxe sur la valeur ajoutée à collecter, puis, le cas échéant, de formuler une demande de remboursement de l'excédent de taxe sur la valeur ajoutée déductible dans les conditions fixées par les articles 242-0 A et suivants de l'annexe II au code général des impôts, à savoir au cours du mois de janvier de l'année suivante ou au cours du mois suivant un trimestre civil où chacune des déclarations de ce trimestre fait apparaître un crédit de taxe déductible.
8. En vertu du c. du 1° de l'article 39 de l'annexe IV au code général des impôts, la date limite de dépôt de déclaration applicable à la société appelante est le 24 du mois suivant la période trimestrielle concernée. Aussi, l'administration pouvait légalement refuser d'admettre la réparation, par la déclaration déposée par cette société le 26 janvier 2016, des omissions de la taxe déductible qui se rapportait aux périodes antérieures au quatrième trimestre de l'année 2013, dès lors que les omissions de la taxe dont le fait générateur était né au cours de ces périodes ne pouvaient être réparées après le 31 décembre 2015 par le dépôt d'une déclaration. Dès lors, l'administration était fondée à rejeter pour ce motif, et sans méconnaître les dispositions de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, la demande de la société Le logement familial de l'Eure, qui était en situation de crédit permanent de taxe sur la valeur ajoutée, tendant au remboursement de l'excédent de taxe déductible correspondant à ces omissions.
9. Il s'ensuit que c'est à bon droit que l'administration a refusé la déduction du montant de 54 674 euros égal à la taxe sur la valeur ajoutée grevant une vente à soi-même, qui se rapportait au troisième trimestre de l'année 2013 ainsi que le montant de la taxe grevant tant les frais généraux de la société Le Logement familial de l'Eure que les immobilisations comptabilisées par cette société au cours de l'année 2013, dès lors qu'il résulte pas de l'instruction que le fait générateur de cette taxe se serait rattaché au quatrième trimestre de l'année 2013.
10. En deuxième lieu, la société appelante se borne à reprendre en cause d'appel, sans apporter d'éléments de fait ou de droit nouveaux de nature à remettre en cause l'appréciation portée par les premiers juges, le moyen tiré de ce que la régularisation de la taxe grevant les immobilisations qu'elle avait effectuées de 2010 en 2012 pouvait, en vertu de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts, être mentionnée dans sa déclaration déposée le 26 janvier 2016. Il y a lieu, par adoption des motifs exposés à bon droit au point 5 du jugement attaqué, d'écarter ce moyen.
11. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / (...) / II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ; / (...) / ". Il résulte de ces dispositions, interprétées à la lumière des articles 168, 169, 173 et 174 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, que l'existence d'un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est, en principe, nécessaire pour qu'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée en amont soit reconnu à l'assujetti et pour déterminer l'étendue d'un tel droit. Le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant l'acquisition de biens ou de services en amont suppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction. En l'absence d'un tel lien, lorsque les dépenses effectuées pour acquérir des biens ou des services font partie des frais généraux liés à l'ensemble de l'activité économique de l'assujetti, ce dernier bénéficie d'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée dont l'étendue varie selon l'usage auquel les biens et les services en cause sont destinés. Lorsque les biens ou services sont utilisés concurremment pour la réalisation d'opérations taxées et pour la réalisation d'opérations exonérées, la déductibilité n'est que partielle.
12. La société Le logement familial de l'Eure justifie, en cause d'appel, de la refacturation aux locataires concernés des frais d'huissier de justice qu'elle a exposés pour obtenir le recouvrement des loyers impayés. Toutefois, il résulte de l'instruction que, compte tenu de leur finalité, ces prestations rendues à la société ne sont pas utilisées pour les besoins d'opérations autres que la mise en location de logements nus à usage d'habitation. Or, une telle mise en location est exonérée de taxe sur la valeur ajoutée en vertu des dispositions du 2° de l'article 261 D du code général des impôts et n'ouvre pas droit, de ce fait, à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée qui la grève en amont. Par ailleurs, il n'est pas établi, ni même allégué, que ces dépenses de poursuite feraient partie de frais généraux liés à l'ensemble de l'activité économique de la société et qui seraient incorporés en tant que tels dans les éléments de prix des prestations qu'elle rend. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a refusé la déduction des frais de poursuite exposés par la société Le logement familial de l'Eure.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société d'habitations à loyers modérés Le Logement familial de l'Eure n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande de remboursement de taxe sur la valeur ajoutée. Il s'ensuit que sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Le logement familial de l'Eure est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme d'habitations à loyers modérés Le logement familial de l'Eure et au ministre délégué chargé des comptes publics.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
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N°19DA00285