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12/01/2021 | FRANCE | N°19DA00887

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 12 janvier 2021, 19DA00887


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Terminal Normandie MSC a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler la décision du 13 juillet 2015 par laquelle le Grand Port Maritime du Havre a rejeté sa demande tendant au décalage de la date conventionnelle de mise en exploitation prévue par l'avenant n° 2 à la convention d'exploitation de terminal du 11 septembre 2007 et à la réduction des redevances domaniales mises à sa charge, d'autre part, d'enjoindre au Grand Port Maritime du Havre de lui verser une somme de

1 960 216,87 euros hors taxes correspondant aux redevances versées au titr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Terminal Normandie MSC a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler la décision du 13 juillet 2015 par laquelle le Grand Port Maritime du Havre a rejeté sa demande tendant au décalage de la date conventionnelle de mise en exploitation prévue par l'avenant n° 2 à la convention d'exploitation de terminal du 11 septembre 2007 et à la réduction des redevances domaniales mises à sa charge, d'autre part, d'enjoindre au Grand Port Maritime du Havre de lui verser une somme de 1 960 216,87 euros hors taxes correspondant aux redevances versées au titre des années 2012 et 2013.

Par un jugement n° 1502924 du 14 février 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 12 avril 2019, le 6 janvier et le 17 février 2020, la société Terminal Normandie MSC, représentée par Me H... C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) d'enjoindre au Grand Port Maritime du Havre, à titre principal de lui rembourser cette somme de 1 960 216,87 euros hors taxes, à titre subsidiaire de lui rembourser la somme de 795 069,69 euros hors taxes correspondant au complément de redevances domaniales facturé par le Grand Port Maritime du Havre au titre de l'année 2013 ;

4°) de lui allouer une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- la loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... F...,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me E... G..., représentant la société Terminal Normandie MSC, et de Me A... B..., représentant le Grand Port Maritime du Havre.

Une note en délibéré a été déposée par la société Terminal Normandie MSC le 18 décembre 2020.

Une note en délibéré a été déposée par le Grand Port Maritime du Havre le 23 décembre 2020.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. Dans le cadre de sa mission d'aménageur, le Port autonome du Havre, auquel depuis la loi du 4 juillet 2008 s'est substitué l'établissement public de l'Etat " Grand Port Maritime du Havre ", a initié la réalisation d'une infrastructure capable d'accueillir les plus grands porte-conteneurs appelée " Port 2000 " qui doit comporter à terme douze postes à quai. L'exploitation de ces postes à quai a été confiée à des opérateurs de terminal, avec lesquels le Grand Port Maritime du Havre a conclu des " conventions d'exploitation de terminal " devenues des " conventions de terminal ".

2. Le 11 septembre 2007, une convention d'exploitation de terminal a été conclue avec la société Terminal Normandie MSC pour définir les conditions de la réalisation et de l'exploitation d'une partie du terminal de Port 2000, constituée par des terrains situés en arrière du quai, entre des points précisément localisés et relatifs aux postes 8 à 10. Cette convention a conféré à la société Terminal Normandie MSC une autorisation exclusive d'occupation et de jouissance du domaine public inclus dans le périmètre défini par une annexe à la convention, avec versement au Grand Port Maritime du Havre d'une redevance domaniale annuelle. Elle a été modifiée par un avenant n° 2 signé le 15 novembre 2011.

3. La société Terminal Normandie MSC a contesté auprès du Grand Port Maritime du Havre le montant des redevances domaniales que ce dernier lui a facturées au titre des années 2012 et 2013. Par une décision du 13 juillet 2015, le Grand Port Maritime du Havre n'a pas fait droit à cette contestation. La société Terminal Normandie MSC relève appel du jugement du 14 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 13 juillet 2015 et à la réduction des redevances domaniales mises à sa charge.

Sur la régularité du jugement :

4. Si l'appelante conteste la régularité du jugement, elle ne soulève que des moyens tirés de diverses erreurs de droit qu'auraient commises les premiers juges. Cependant ces moyens, qui relèvent du bien-fondé des jugements, sont sans incidence sur la régularité de la décision juridictionnelle en litige.

Sur les conclusions à fin de décharge et remboursement de la somme de 1 960 216,87 euros :

S'agissant de l'application de la convention :

5. Il résulte de l'instruction qu'entre autres modifications, dont celle relative aux postes dévolus à la société Terminal Normandie MSC, soit désormais les postes 7 à 10, l'avenant a modifié l'article 11.1 de la convention relatif à la redevance domaniale versée annuellement par l'entreprise pour l'occupation du domaine, comprenant les terrains et les fondations du rail arrière, mis à sa disposition par l'établissement public.

6. Dans la version initiale de la convention, comme dans sa version modifiée par l'avenant, le paragraphe 11.1.1 a prévu que le montant de la redevance est calculé par application à la surface du domaine occupé par l'entreprise d'un taux annuel, dont l'évolution a été précisée dans ce même article.

7. Dans sa version initiale comme dans sa version modifiée, la convention prévoit aussi un aménagement temporaire de la redevance " pour tenir compte de la phase d'installation et de montée en puissance de l'activité du terminal ", durant une période transitoire qui fait l'objet du paragraphe 11.1.2 de la convention. Cette stipulation distingue ainsi trois phases dont les deux premières composent la période transitoire : le taux de la redevance est un taux réduit avant la mise en exploitation, il est intermédiaire entre le taux réduit et le taux " normal " défini au paragraphe 11.1.1 de la mise en exploitation jusqu'au 31 décembre de la première année civile et le taux normal s'applique ensuite.

8. Il résulte de ces stipulations que l'application des taux réduit, intermédiaire et normal dépend exclusivement de ce que les parties ont dénommé la " mise en exploitation ", dont la date a fait, elle, l'objet d'une modification notable entre la convention initiale et son avenant.

9. En effet, selon la version initiale : " La date conventionnelle de mise en exploitation est définie comme la plus tardive des évènements suivants : / a) 15 (quinze) mois après la mise è disposition d'au moins 66 % de la surface totale correspondant, / b) 9 (neuf) mois après la mise à disposition de la totalité de la surface. / Ces délais pourront être allongés pour tenir compte du nombre de jours éventuellement accordés aux entreprises en raison des intempéries réellement constatées ".

10. Selon la version issue de l'avenant : " La date conventionnelle de mise en exploitation correspond à la mise à disposition par le Port de la totalité de la surface majorée de 9 mois. / La mise à disposition de la totalité des surfaces ayant été réalisée le 29 juillet 2011, les Parties conviennent que la date conventionnelle de mise en exploitation est donc le 1er mai 2012. / Ces délais pourront être allongés pour tenir compte du nombre de jours éventuellement accordés aux entreprises en raison des intempéries réellement constatées. ".

11. D'une part, il résulte de la comparaison des deux rédactions de la stipulation en cause que s'y est exprimée clairement la volonté des parties, non pas comme le prétend la société requérante de faire dépendre la date conventionnelle de mise en exploitation de la mise à disposition effective du domaine public une fois achevés les travaux prévus sur ce domaine mais, sous la seule réserve de jours d'intempéries réellement constatées accordés aux entreprises pour ces travaux, d'arrêter définitivement au 1er mai 2012 la date conventionnelle de la mise en exploitation, au regard du fait, reconnu par la société à la date de signature de l'avenant, que l'entreprise s'est vu mettre à disposition, depuis le 29 juillet 2011, la totalité des surfaces qu'elle était autorisée à occuper.

12. D'autre part, est sans incidence à cet égard l'engagement contracté par l'entreprise, en vertu de l'article 4.1.2 de la convention modifiée, de mettre en place quatre " portiques post-panamax " opérationnels au 1er février 2012 et un cinquième au 1er août 2012.

13. Dans ces conditions, la société Terminal Normandie MSC n'est pas fondée à déduire des stipulations de la convention dans leur rédaction issue de l'avenant que la date conventionnelle de mise en exploitation devait être décalée au 1er janvier 2013 et à demander en conséquence l'application de taux inférieurs de redevance pour les années 2012 et 2013 et par suite la décharge et le remboursement d'une somme de 1 960 216,87 euros hors taxes.

S'agissant de l'application du code général de la propriété des personnes publiques :

14. Aux termes de l'article L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques : " La redevance due pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation. ".

15. Comme il a été dit, la société Terminal Normandie MSC s'est vu mettre à disposition, à compter du 29 juillet 2011, la totalité des surfaces du domaine public qu'elle était autorisée à occuper. Le versement par elle au Grand Port Maritime du Havre d'une redevance annuelle est la contrepartie de cette mise à disposition.

16. D'une part, la société requérante ne soutient, ni même n'allègue, que les variables utilisées pour le calcul de cette redevance ne correspondraient pas, en dehors de la période transitoire, aux avantages qu'elle retire de l'autorisation d'occuper le domaine public portuaire.

17. D'autre part, si les parties ont convenu de minorer le montant de la redevance durant la période transitoire " pour tenir compte de la phase d'installation et de montée en puissance de l'activité du terminal ", la circonstance, à la supposer établie, que cette montée en puissance n'aurait pas eu lieu dans le délai escompté par la société Terminal Normandie MSC et ne lui aurait donc pas permis de retirer le revenu espéré de l'autorisation d'occuper le domaine public, ne suffit pas à démontrer que les tarifs librement convenus par les parties au titre de cette période transitoire, dans la convention puis dans l'avenant, étaient manifestement disproportionnés par rapport aux avantages que la société retirait de cette autorisation.

18. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques doit être écarté.

S'agissant de l'application de la théorie de l'imprévision :

19. Dans l'hypothèse où un événement extérieur aux parties, imprévisible au moment de la conclusion du contrat, a pour effet de bouleverser son économie, le cocontractant de la personne publique est en droit de réclamer à cette dernière une indemnité représentant la part de la charge extracontractuelle qu'il a supportée en exécutant les prestations dont il avait la charge. Une indemnité d'imprévision suppose donc un déficit d'exploitation qui soit la conséquence directe d'un événement imprévisible, indépendant de l'action des cocontractants, et ayant entraîné un bouleversement de l'économie du contrat.

20. Cette théorie de l'imprévision s'applique à la convention d'exploitation de terminal en cause, qui est une convention de nature mixte portant à la fois occupation du domaine public et délégation de service public, et où la mise à disposition du domaine public est seulement un moyen au service de l'objet de la délégation, qui consiste à faire réaliser des équipements portuaires par le cocontractant de l'administration, lequel se rémunère, pendant la durée de la convention, par son activité de manutention de conteneurs.

21. Toutefois, si la société Terminal Normandie MSC prétend que le retard des travaux sur le domaine public a généré un bouleversement de l'économie de son contrat, elle ne justifie pas cette affirmation en se bornant à dire que le paiement des redevances en litige " correspond à un surcoût de près de 3 euros HT par conteneur manutentionné sur la période considérée " et aurait entraîné sur la même période une augmentation de 10 % de ses charges fixes, sans verser au dossier d'éléments relatifs aux résultats d'exploitation réalisés durant les années en litige.

22. Dans ces conditions, le moyen invoqué sur le fondement de la théorie de l'imprévision doit être écarté.

Sur les conclusions à fin de décharge et remboursement de la somme de 795 069,69 euros :

23. Aux termes de l'article L. 2321-4 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les produits et redevances du domaine public ou privé d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 se prescrivent par cinq ans, quel que soit leur mode de fixation. / Cette prescription commence à courir à compter de la date à laquelle les produits et redevances sont devenus exigibles. ".

24. Le paragraphe 11.1.1 de la convention passée par la société Terminal Normandie MSC et le Grand Port Maritime du Havre a prévu, dans sa rédaction issue de l'avenant, que " le montant de la redevance (...) sera facturé au tarif de l'année n-1 et réajusté avant le 1er mars de l'année n+1 ".

25. Si la stipulation précitée a ainsi prescrit un réajustement du tarif de la redevance intervenant avant le 1er mars de l'année suivant celle en cause, elle n'a dérogé ni à l'ensemble des stipulations prévues par ce même paragraphe relatives à la révision annuelle du tarif de la redevance, la date du 1er mars n'étant ainsi pas prescrite à peine de nullité du réajustement du tarif, ni aux dispositions de l'article L. 2321-4 du code général de la propriété des personnes publiques qui instituent une prescription quinquennale.

26. Dans ces conditions, même si le réajustement de la redevance au titre de l'année 2013 n'a été notifié à la société Terminal Normandie MSC que par un courrier daté du 20 mai 2014, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que ce retard a constitué une irrégularité de la procédure de nature à entraîner la décharge et le remboursement du complément de redevance réclamé au titre de 2013 dans ce courrier.

27. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le Grand Port Maritime du Havre, que la société Terminal Normandie MSC n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

28. D'une part, les conclusions présentées par la société Terminal Normandie MSC, partie perdante, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

29. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'appelante la somme que demande le Grand Port Maritime du Havre sur le fondement de la même disposition.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête présentée par la société Terminal Normandie MSC est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le Grand Port Maritime du Havre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me H... C... pour la société Terminal Normandie MSC et au Grand Port Maritime du Havre.

N°19DA00887 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19DA00887
Date de la décision : 12/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Domaine - Domaine public - Consistance et délimitation - Domaine public artificiel - Biens faisant partie du domaine public artificiel - Voies publiques et leurs dépendances.

Domaine - Domaine public - Régime - Occupation - Utilisations privatives du domaine - Redevances.


Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: Mme Hélène Busidan
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : SCP BOIVIN et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-01-12;19da00887 ?
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