Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) J. Trade a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013.
Par un jugement n° 1506299 du 2 mai 2018, le tribunal administratif de Lille a constaté qu'il n'y avait pas lieu, à concurrence du dégrèvement de 3 661 euros en droits et de 103 euros en pénalités prononcé en cours d'instance, de statuer sur les conclusions de la demande de la SAS J. Trade tendant à la décharge des impositions en litige et a rejeté le surplus des conclusions de cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 juillet 2018, la SAS J. Trade, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il ne fait pas entièrement droit à sa demande ;
2°) de prononcer la décharge des impositions restant en litige et de prescrire le reversement, assorti des intérêts moratoires, des sommes qu'elle a acquittées à ce titre ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés tant en première instance qu'en appel.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR), conclue à Genève le 19 mai 1956 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le décret n° 2020-1404 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) J. Trade, dont le siège est situé à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), exerce une activité de commerce, dans une zone couvrant le continent européen, de produits issus de la mer. Elle a fait l'objet, du 3 juin 2014 au 7 août 2014, d'une vérification de comptabilité portant, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013. A l'issue de ce contrôle, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ont été envisagés en ce qui concerne la période allant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013 et portés à la connaissance de la SAS J. Trade, par une proposition de rectification qui lui a été adressée le 8 août 2014. Ces rappels trouvent leur origine dans la remise en cause de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée sous laquelle la SAS J. Trade avait placé des ventes de marchandises à la société polonaise Kuchnia Polki, l'administration ayant estimé que la réalité même de l'exportation des produits en cause n'était pas établie. Ces rehaussements ont été maintenus malgré les observations émises par la société contribuable. Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée contestés ont donc été mis en recouvrement le 29 décembre 2014, pour les sommes de 27 744 euros en droits et de 1 259 euros en pénalités. La SAS J. Trade a présenté une réclamation, qui a fait l'objet d'une acceptation très partielle et qui a conduit au prononcé d'un dégrèvement de 1 451 euros en droits et de 41 euros en pénalités. Elle a porté le litige devant le tribunal administratif de Lille, en lui demandant de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée maintenus à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013. Par un jugement du 2 mai 2018, le tribunal administratif de Lille a constaté qu'il n'y avait pas lieu, à concurrence du dégrèvement de 3 661 euros en droits et de 103 euros en pénalités prononcé en cours d'instance, de statuer sur les conclusions de la demande de la SAS J. Trade tendant à la décharge des impositions en litige et a rejeté le surplus des conclusions de cette demande. La SAS J. Trade relève appel de ce jugement en tant qu'il ne lui donne pas entière satisfaction. Elle demande à la cour de prononcer la décharge des impositions restant en litige et de prescrire le reversement, assorti des intérêts moratoires, des sommes qu'elle a acquittées à ce titre.
2. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. / II. 1° Est considéré comme livraison d'un bien, le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire. / (...) ". En vertu du a) du 1 de l'article 269 de ce code, le fait générateur de la taxe se produit au moment de la livraison du bien. Toutefois, aux termes de l'article 262 ter du même code, dans sa rédaction applicable : " I. - Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / 1° Les livraisons de biens expédiés ou transportés sur le territoire d'un autre Etat membre de la Communauté européenne à destination d'un autre assujetti ou d'une personne morale non assujettie. / (...) ".
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. En vertu de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales, lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts. L'article L. 59 A de ce livre, dans sa rédaction applicable au présent litige, précise cependant : " I. la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : / 1° Sur le montant du résultat industriel et commercial, non commercial, agricole ou du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition ; / (...) / II. - Dans les domaines mentionnés au I, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d'être pris en compte pour l'examen de cette question de droit. / (...) ".
4. La SAS J. Trade a demandé à l'administration de soumettre à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires le différend lié à la remise en cause, par le vérificateur, du bénéfice du régime d'exonération prévu par les dispositions, citées au point 2, du I. de l'article 262 ter du code général des impôts, sous lequel elle avait placé les ventes de marchandises à la société polonaise Kuchnia Polki effectuées par elle durant la période allant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013. Toutefois, une telle remise en cause d'un régime d'exonération dont une entreprise a cru pouvoir bénéficier pour des opérations qu'elle a réalisées, tel que celui prévu par le I. de l'article 262 ter du code général des impôts, soulève un désaccord qui a trait au principe même de l'imposition de ces opérations et non au montant du chiffre d'affaires mentionné au 1° du I. de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales. Cette question ne relève, dès lors, pas de la compétence de la commission, alors même que sa solution dépendrait de l'appréciation de questions de fait. Dans ces conditions, l'administration a pu, sans entacher d'irrégularité la procédure d'imposition mise en oeuvre en l'espèce, ne pas donner une suite favorable à la demande de la SAS J. Trade de soumettre leur différend à la commission départementale.
Sur le bien-fondé des impositions contestées :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
5. Il résulte des dispositions, citées au point 2, de l'article 262 ter du code général des impôts, que l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée des livraisons de biens à un destinataire établi sur le territoire d'un autre Etat membre de l'Union européenne est notamment subordonnée à la condition que le bien ait été expédié ou transporté hors de France par le vendeur, par l'acquéreur ou par un tiers pour leur compte, à destination d'un Etat membre de l'Union européenne. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l'assujettissement à l'impôt ou, le cas échéant, s'il remplit les conditions légales d'une exonération. S'agissant de la réalité de la livraison d'une marchandise sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne, pour l'application des dispositions précitées du I. de l'article 262 ter du code général des impôts, seul le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée est en mesure de produire, qu'il ait ou non effectué lui-même le transport, tout élément de preuve de nature à justifier de la livraison effective de ces produits.
6. La SAS J. Trade a réalisé, au cours de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, des ventes de produits de la mer qu'elle a placées sous le régime d'exonération de taxe sur la valeur ajoutée prévu par les dispositions, citées au point 2, du I. de l'article 262 ter du code général des impôts. Elle a précisé avoir livré ces produits à la société Kuchnia Polki, qui est installée en Pologne et qui aurait elle-même pris livraison des marchandises en cause dans les entrepôts de la SAS J. Trade. Pour justifier de l'effectivité de ces opérations d'exportation, cette dernière a remis au vérificateur les déclarations d'échange de biens correspondant à ces opérations, ainsi qu'une attestation établie par la société cliente. Toutefois, les déclarations ainsi produites et versées à l'instruction devant les premiers juges, qui permettent seulement d'établir que la SAS J. Trade s'est conformée, auprès de l'administration des douanes, à ses obligations déclaratives en ce qui concerne les opérations en cause, ne sont pas de nature à attester, à elles seules, de la livraison effective en Pologne des marchandises correspondantes. Il en est de même de l'attestation, établie de manière globale pour l'ensemble des opérations en cause et émise au demeurant le 1er octobre 2014, soit à une date postérieure au début, le 3 juin 2014, des opérations de contrôle, selon laquelle la société Kuchnia Polki a pris possession de l'ensemble des marchandises qu'elle a acquises depuis 2012 auprès de la SAS J. Trade, sans autre mention permettant leur identification.
7. A l'appui de sa réclamation, la SAS J. Trade a produit, en outre, trois lettres de voiture établies conformément à la convention internationale du 19 mai 1956 relative au transport de marchandises par la route, onze factures se rapportant à de telles prestations de transport et des photographies d'un panneau d'affichage apposé dans un magasin de grande surface polonais et précisant que des poissons proposés à la vente sont originaires de France et ont pour fournisseur la société française J. Trade. L'administration a estimé que trois des factures ainsi produites, comptabilisées au titre de l'exercice clos en 2013 et portant sur les montants respectifs de 5 563,69 euros, de 18 258,15 euros et de 4 005,28 euros, pouvaient être rapprochées des trois lettres de voitures fournies par la SAS J. Trade et que la combinaison de ces documents était de nature à justifier de la réalisation effective des trois opérations d'exportation auxquelles chaque paire de documents se rapportait, ce qui a justifié que la réclamation et que les impositions contestées fassent respectivement l'objet d'une admission et d'un dégrèvement partiels. En revanche, l'administration a estimé que les autres pièces produites n'étaient pas de nature, même prises dans leur ensemble, à justifier de la réalité des livraisons en Pologne que la SAS J. Trade aurait effectuées en outre.
8. La SAS J. Trade n'a produit, tant devant la cour qu'en première instance, aucun autre document pour justifier de la réalité des opérations d'exportation qu'elle a placées sous le régime d'exonération prévu au I. de l'article 262 ter du code général des impôts. Si, comme le soutient la SAS J. Trade, la preuve de l'exportation de ses produits en Pologne peut être apportée par tout moyen, encore faut-il que les éléments de preuve avancés permettent d'établir la livraison effective de ceux-ci dans ce pays. Or, contrairement à ce qu'elle persiste à soutenir, ni l'attestation délivrée le 1er octobre 2014 mentionnée au point 6, ni les photographies prises dans un supermarché polonais, ni, enfin, les déclarations d'échange produites, quand bien même elles comportent un numéro de taxe sur la valeur ajoutée révélant que l'acquéreur des marchandises est installé en Pologne, ne sont de nature, à elles seules et même prises dans leur ensemble, à justifier de la livraison effective en Pologne des produits auxquels elles se rapportent. Dès lors, en l'absence, pour les opérations ayant justifié les rehaussements restant en litige, de justificatif susceptible de rapporter une telle preuve, l'administration a remis à bon droit en cause le bénéfice du régime d'exonération, prévu au I. de l'article 262 ter, sous lequel la SAS J. Trade avait placé ces opérations.
Sur l'invocation de l'interprétation administrative de la loi fiscale :
9. Le paragraphe n°50 de la doctrine administrative publiée au bulletin officiel des impôts sous la référence BOI-TVA-CHAMP-30-20-10, qui se borne, s'agissant des moyens de preuve, à énumérer les documents susceptibles d'être produits par le contribuable pour justifier du transport ou de l'expédition des marchandises, en précisant que la liste n'en est pas exhaustive et que la valeur des justifications apportées doit être appréciée au cas par cas, ne comporte, au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, aucune interprétation formelle de la loi fiscale. Il en est de même des éléments énoncés au paragraphe n°60 de la même doctrine, qui se bornent à rappeler qu'il est de la responsabilité du vendeur de se mettre en mesure de fournir de tels justificatifs quand bien même, dans le cas notamment dans lequel l'acheteur assure lui-même le transport, il ne disposerait pas, au moment de la livraison, de telles pièces. Dès lors, la SAS J. Trade n'est pas fondée à s'en prévaloir sur le fondement de ces dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS J. Trade n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a, après avoir prononcé un non-lieu partiel, rejeté le surplus de sa demande. Les conclusions qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS J. Trade est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS J. Trade et au ministre délégué chargé des comptes publics.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
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N°18DA01453
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