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26/11/2020 | FRANCE | N°19DA00979

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 26 novembre 2020, 19DA00979


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur sa demande indemnitaire préalable, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 7611 du code de justice administrative.

Par un jugement n°

1701181 du 27 février 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa deman...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur sa demande indemnitaire préalable, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 7611 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1701181 du 27 février 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 avril 2019 et 29 octobre 2020, Mme D..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille en date du 27 février 2019 ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur sa demande indemnitaire préalable ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 7611 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... a été recrutée en qualité d'adjointe administrative sans spécialité ou de secrétaire administrative non gestionnaire, par le rectorat de l'académie de Lille, durant une période comprise entre le 12 décembre 2002 et le 20 décembre 2013. Soixante-trois contrats de travail à durée déterminée ont ainsi été conclus pour assurer le remplacement, au sein de différents établissements du Pas-de-Calais, d'agents titulaires placés en congés de maladie. Elle a adressé le 16 juin 2016, une demande indemnitaire préalable au ministre de l'éducation nationale. Sa demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Mme D... relève appel du jugement en date du 27 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation des préjudices subis.

2. D'une part, aux termes de l'article 4 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Par dérogation au principe énoncé à l'article 3 du titre Ier du statut général, des agents contractuels peuvent être recrutés dans les cas suivants : 1° Lorsqu'il n'existe pas de corps de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes [...] ". Aux termes de l'article 6 bis de cette même loi, dans sa version alors en vigueur : " Lorsque les contrats pris en application des articles 4 et 6 sont conclus pour une durée déterminée, cette durée est au maximum de trois ans. Ces contrats sont renouvelables par reconduction expresse dans la limite d'une durée maximale de six ans. / Le contrat pris en application du 1° de l'article 4 peut être conclu pour une durée indéterminée. [...] Tout contrat conclu ou renouvelé en application des mêmes articles 4 et 6 avec un agent qui justifie d'une durée de services publics de six ans dans des fonctions relevant de la même catégorie hiérarchique est conclu, par une décision expresse, pour une durée indéterminée. [...] Les services accomplis de manière discontinue sont pris en compte, sous réserve que la durée des interruptions entre deux contrats n'excède pas quatre mois. " Aux termes de l'article 6 quater de la même loi : " Des agents contractuels peuvent être recrutés pour assurer le remplacement momentané de fonctionnaires ou d'agents contractuels autorisés à exercer leurs fonctions à temps partiel ou indisponibles en raison d'un congé annuel, d'un congé de maladie, de grave ou de longue maladie, d'un congé de longue durée, d'un congé de maternité ou pour adoption, d'un congé parental, d'un congé de présence parentale, d'un congé de solidarité familiale, de l'accomplissement du service civil ou national, du rappel ou du maintien sous les drapeaux, de leur participation à des activités dans le cadre des réserves opérationnelle, de sécurité civile ou sanitaire ou en raison de tout autre congé régulièrement octroyé en application des dispositions réglementaires applicables aux agents contractuels de l'Etat. / Le contrat est conclu pour une durée déterminée. Il est renouvelable par décision expresse, dans la limite de la durée de l'absence du fonctionnaire ou de l'agent contractuel à remplacer. "

3. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la directive 1999/70/CE du Conseil de l'Union Européenne du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée : " La présente directive vise à mettre en oeuvre l'accord cadre sur le travail à durée déterminée, figurant en annexe, conclu le 18 mars 1999 entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP) ". Aux termes de l'article 2 de cette directive : " Les Etats membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 10 juillet 2001 ou s'assurent, au plus tard à cette date, que les partenaires sociaux ont mis en place les dispositions nécessaires par voie d'accord, les Etats membres devant prendre toute disposition nécessaire leur permettant d'être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par la présente directive. (...) ". En vertu des stipulations de la clause 5 de l'accord-cadre annexé à la directive, relative aux mesures visant à prévenir l'utilisation abusive des contrats à durée déterminée : " 1. Afin de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les Etats membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n'existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d'une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l'une ou plusieurs des mesures suivantes : a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ; b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ; c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail. 2. Les Etats membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c'est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée : a) sont considérés comme "successifs" ; b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée ".

4. Ces dispositions, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, imposent aux Etats membres d'introduire de façon effective et contraignante dans leur ordre juridique interne, s'il ne le prévoit pas déjà, l'une au moins des mesures énoncées aux a) à c) du paragraphe 1 de la clause 5, afin d'éviter qu'un employeur ne recoure de façon abusive au renouvellement de contrats à durée déterminée. Lorsque l'Etat membre décide de prévenir les renouvellements abusifs en recourant uniquement aux raisons objectives prévues au a), ces raisons doivent tenir à des circonstances précises et concrètes de nature à justifier l'utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs.

5. Il ressort également de l'interprétation de la directive retenue par la Cour de justice de l'Union européenne que le renouvellement de contrats à durée déterminée afin de pourvoir au remplacement temporaire d'agents indisponibles répond, en principe, à une raison objective au sens de la clause citée ci-dessus, y compris lorsque l'employeur est conduit à procéder à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, et alors même que les besoins en personnel de remplacement pourraient être couverts par le recrutement d'agents sous contrats à durée indéterminée. Toutefois, si l'existence d'une telle raison objective exclut en principe que le renouvellement des contrats à durée déterminée soit regardé comme abusif, c'est sous réserve qu'un examen global des circonstances dans lesquelles les contrats ont été renouvelés ne révèle pas, eu égard notamment à la nature des fonctions exercées par l'agent, au type d'organisme qui l'emploie, ainsi qu'au nombre et à la durée cumulée des contrats en cause, un abus.

6. Les dispositions de l'article 6 quater de la loi du 11 janvier 1984 précitées subordonnent la conclusion et le renouvellement de contrats à durée déterminée à la nécessité de remplacer des fonctionnaires temporairement ou partiellement indisponibles. Elles se réfèrent ainsi à une " raison objective ", de la nature de celles auxquelles la directive renvoie. En outre, ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu'un renouvellement abusif de contrats à durée déterminée ouvre à l'agent concerné un droit à l'indemnisation du préjudice qu'il subit lors de l'interruption de la relation d'emploi, évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.

7. Il résulte de l'instruction que, si Mme D... a conclu soixante-trois contrats de travail à durée déterminée avec le ministère de l'éducation nationale entre le 12 décembre 2002 et le 20 décembre 2013, elle n'a pas été employée de manière continue durant cette période dès lors qu'elle n'a pas été sous contrat notamment pour les périodes allant du 30 juin 2003 au 4 novembre 2003, du 30 juin 2004 au 10 mars 2005, du 18 juin 2005 au 28 janvier 2006, du 31 mars 2006 au 1er juin 2006, du 7 mars 2008 au 21 avril 2008, du 8 décembre 2011 au 14 mai 2012, du 23 septembre 2012 au 4 avril 2013 et du 12 avril 2013 au 17 juin 2013. En outre, il n'est pas contesté que Mme D... a été amenée à effectuer des remplacements dans vingt-trois lieux d'exercice différents et pour des postes divers au sein notamment de collèges et de lycées de l'académie de Lille. Par ailleurs, si la requérante conteste le fait que les contrats qu'elle a conclus l'ont été pour remplacer des agents placés en congés de maladie ou exerçant à temps partiel comme le fait valoir le ministre en défense, elle n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations. Dans ces conditions, eu égard à la durée cumulée des contrats en cause et à la nécessité pour le rectorat de Lille de pouvoir assurer des remplacements temporaires qui, eu égard au nombre d'agents employés, peuvent être fréquents, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à ce que la responsabilité de l'Etat soit engagée pour avoir recouru de manière abusive à des contrats de travail à durée déterminée.

8. Par suite, la requête de Mme D... doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Me C... B... pour Mme A... D... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

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N°19DA00979

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA00979
Date de la décision : 26/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-12 Fonctionnaires et agents publics. Agents contractuels et temporaires.


Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Nil Carpentier-Daubresse
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : SCP CAPELLE - HABOURDIN - LACHERIE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-11-26;19da00979 ?
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