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12/11/2020 | FRANCE | N°19DA00164

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 12 novembre 2020, 19DA00164


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... F... a demandé au tribunal administratif de Lille :

1°) à titre principal, d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre de la défense sur son recours préalable obligatoire dirigé contre la décision du 2 février 2016 lui réclamant un trop-perçu de rémunération d'un montant de 20 486,83 euros et d'enjoindre à l'Etat de lui restituer les sommes d'ores et déjà prélevées sur sa solde ;

2°) à titre subsidiaire, de prendre acte de la minora

tion du trop-versé réclamé par l'administration en le fixant à la somme de 15 224,40 euros et de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... F... a demandé au tribunal administratif de Lille :

1°) à titre principal, d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre de la défense sur son recours préalable obligatoire dirigé contre la décision du 2 février 2016 lui réclamant un trop-perçu de rémunération d'un montant de 20 486,83 euros et d'enjoindre à l'Etat de lui restituer les sommes d'ores et déjà prélevées sur sa solde ;

2°) à titre subsidiaire, de prendre acte de la minoration du trop-versé réclamé par l'administration en le fixant à la somme de 15 224,40 euros et de condamner l'Etat à lui verser une indemnité égale à 20 486,83 euros en réparation de son préjudice financier ;

3°) à titre très subsidiaire, de lui accorder une décharge pouvant aller jusqu'à la totalité de la somme réclamée ;

4°) en tout état de cause, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles de toute nature subis dans ses conditions d'existence ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1606519 du 21 novembre 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision implicite née le 24 juillet 2016 par laquelle le ministre de la défense a rejeté le recours administratif préalable obligatoire de M. F... en tant qu'elle lui réclame le reversement d'un trop-perçu de rémunération supérieur à 15 224,40 euros, a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 janvier 2019 et 31 mars 2020, M. F..., représenté par Me A... C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de la défense sur son recours préalable obligatoire ;

3°) d'enjoindre à l'Etat de lui restituer les sommes d'ores et déjà prélevées sur sa solde ;

4°) à titre subsidiaire, de ramener la somme due à 1 718 euros, qui est prescrite depuis le mois d'août 2014 et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 15 224,40 euros en réparation de son préjudice financier ;

5°) en tout état de cause, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 4 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles subis dans ses conditions d'existence ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la défense ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, notamment son article 37-1 ;

- le décret n° 97-901 du 1er octobre 1997 ;

- le décret n°2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E... B..., présidente-rapporteure,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,

- les observations de Me A... C..., représentant M. F....

Considérant ce qui suit :

1. M. F..., adjudant-chef de l'armée de terre affecté au corps de réaction rapide France à Lille depuis le 21 juillet 2014, puis à compter du 4 juillet 2018, au groupement de soutien du personnel isolé à Saint-Germain en Laye, a été informé, par courrier du 2 février 2016 du centre expert des ressources humaines et de la solde de Nancy, qu'il était redevable d'une somme de 20 486,83 euros au titre d'un trop-perçu d'indemnité d'installation dans un département d'outre-mer, versé au cours de la période du 1er octobre 2011 au 1er avril 2014. Il a d'abord formé un recours gracieux contre cette décision, par courrier du 21 mars 2016, qui a été rejeté par une décision du 4 avril 2016, confirmant le trop-perçu réclamé. Par lettre recommandée du 22 mars 2016, reçue le 24 mars suivant, il a formé devant la commission de recours des militaires le recours administratif préalable obligatoire institué par l'article R. 4125-1 du code de la défense. Une décision implicite de rejet de sa réclamation est née du silence gardé par le ministre de la défense, le 24 juillet 2016. M. F... a également saisi son administration d'une demande tendant à la réparation de ses préjudices résultant des fautes commises par celle-ci, par courrier du 5 septembre 2016. A la suite de la décision de rejet qui lui a été opposée le 14 septembre 2016, M. F... a, à nouveau, saisi la commission de recours des militaires d'un recours préalable contre cette dernière décision. M. F... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre de la défense sur son recours préalable dirigé contre la décision du 2 février 2016 et de condamner l'Etat à lui verser une somme en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis. Par le jugement attaqué du 21 novembre 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision implicite née le 24 juillet 2016 par laquelle le ministre de la défense a rejeté le recours administratif préalable obligatoire de M. F... en tant qu'elle lui réclame le reversement d'un trop-perçu de rémunération supérieur à 15 224,40 euros et a rejeté le surplus de sa demande. M. F... relève appel de ce jugement en tant que le tribunal administratif de Lille n'a pas entièrement fait droit à sa demande.

Sur les conclusions à fin annulation de la décision implicite de rejet du ministre de la défense :

En qui concerne la motivation :

2. Aux termes de l'article R. 4125-1 du code de la défense : " I. - Tout recours contentieux formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle est précédé d'un recours administratif préalable, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux. / Ce recours administratif préalable est examiné par la commission des recours des militaires, placée auprès du ministre de la défense. / La saisine de la commission est seule de nature à conserver le délai de recours contentieux jusqu'à l'intervention de la décision prévue à l'article R. 4125-10 (...) ". Selon l'article R. 4215-10 de ce code : " Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé la décision du ministre compétent, ou le cas échéant, des ministres conjointement compétents. La décision prise sur son recours, qui est motivée en cas de rejet, se substitue à la décision initiale (...). / L'absence de décision notifiée à l'expiration du délai de quatre mois vaut décision de rejet du recours formé devant la commission ".

3. Aux termes de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " (...). /Toute créance liquidée faisant l'objet d'une déclaration ou d'un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation. En cas d'erreur de liquidation, l'ordonnateur émet un ordre de recouvrer afin, selon les cas, d'augmenter ou de réduire le montant de la créance liquidée. Il indique les bases de la nouvelle liquidation. (...) ".

4. L'article R. 4125-10 précité du code de la défense prévoit que " la décision prise sur recours se substitue à la décision initiale, sans que les termes de cet article ne puissent être lus comme limitant cette substitution aux seuls rejets explicites. Ce recours administratif préalable obligatoire à la saisine du juge a ainsi pour effet de laisser à l'autorité compétente pour en connaître le soin d'arrêter définitivement la position de l'administration. La décision qui est prise à la suite de ce recours, qu'elle soit expresse ou implicite, se substitue nécessairement à la décision initiale ". Par suite, la décision ministérielle intervenue à la suite du recours administratif préalable formé le 24 mars 2016 par M. F... contre la décision du 2 février 2016 s'est substituée à cette dernière décision. M. F... ne peut dès lors utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 et de celles de l'article 112 du même décret, par le courrier du 2 février 2016.

5. Par ailleurs, la décision ministérielle contestée n'entre pas dans le champ des dispositions précitées de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012. De plus, étant une décision portant rejet implicite du recours administratif formé par l'intéressé, il appartenait à M. F... d'en solliciter la communication des motifs comme le prévoit l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, ce qu'il n'a pas fait. M. F... ne peut dès lors pas utilement se prévaloir de la méconnaissance ni des dispositions de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012, ni de celles de l'article 112 du même décret, à l'encontre de la décision de la ministre des armées du 24 juillet 2016.

6. Enfin, M. F... ne saurait utilement invoquer la prétendue méconnaissance, par la décision ministérielle contestée, des modalités d'information prévues par une instruction ministérielle n° 101000/DEF/SGA/DRH-MD relative aux droits financiers du personnel militaire et de ses ayants cause, dès lors qu'eu égard à l'objet et la portée de cette instruction, elle ne fixe que des orientations générales et pas de lignes directrices.

En qui concerne la prescription biennale :

7. L'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000, dans sa rédaction issue de l'article 94 de la loi du 28 décembre 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011, dispose que : " Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive. / Toutefois, la répétition des sommes versées n'est pas soumise à ce délai dans le cas de paiements indus résultant soit de l'absence d'information de l'administration par un agent de modifications de sa situation personnelle ou familiale susceptibles d'avoir une incidence sur le montant de sa rémunération, soit de la transmission par un agent d'informations inexactes sur sa situation personnelle ou familiale. / Les deux premiers alinéas ne s'appliquent pas aux paiements ayant pour fondement une décision créatrice de droits prise en application d'une disposition réglementaire ayant fait l'objet d'une annulation contentieuse ou une décision créatrice de droits irrégulière relative à une nomination dans un grade lorsque ces paiements font pour cette raison l'objet d'une procédure de recouvrement ".

8. Il résulte de ces dispositions qu'une somme indûment versée par une personne publique à l'un de ses agents au titre de sa rémunération peut, en principe, être répétée dans un délai de deux ans à compter du premier jour du mois suivant celui de sa date de mise en paiement sans que puisse y faire obstacle la circonstance que la décision créatrice de droits qui en constitue le fondement ne peut plus être retirée. Dans les deux hypothèses mentionnées au deuxième alinéa de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000, la somme peut être répétée dans le délai de droit commun prévu à l'article 2224 du code civil.

9. Sauf dispositions spéciales, les règles fixées par l'article 37-1 de la loi

du 12 avril 2000 sont applicables à l'ensemble des sommes indûment versées par des personnes publiques à leurs agents à titre de rémunération, y compris les avances et, faute d'avoir été précomptées sur la rémunération, les contributions ou cotisations sociales.

10. M. F..., marié et père de deux enfants, a été muté en Guyane du 20 juillet 2011 au 21 juillet 2014. A ce titre, il était en droit de bénéficier de l'indemnité d'installation dans les nouveaux départements d'outre-mer, laquelle se décompose en un élément principal et en une majoration. Elle est versée en trois fractions, à l'arrivée, puis six mois après le début du séjour et enfin après un an de séjour. Il résulte de l'instruction que M. F... a perçu, sur sa solde d'août 2012, une somme de 15 224,40 euros, correspondant, selon l'administration, à une avance de solde perçue au titre de l'élément principal de l'indemnité d'installation pour les deuxième et troisième fractions, celles-ci n'ayant pas été versées dans les délais réglementaires prévus. M. F... a perçu trois ans plus tard sur sa solde d'août 2015, la somme de 15 224,40 euros à titre de régularisation notamment de ces deux fractions d'un montant chacune de 7 612,20 euros. L'administration doit être regardée comme ayant cherché la répétition de l'indû perçu en 2015 correspondant au versement de la deuxième et troisième fraction de l'indemnité d'installation, et non l'avance versée perçue à juste titre en août 2012. Ce second versement, bien qu'intervenu au cours de l'année 2015, se rattache à la période de référence visée dans la décision initiale du 2 février 2016, qui s'étend du 1er octobre 2011 au 1er avril 2014. L'administration disposait, à compter du mois d'août 2015, d'un délai de deux ans pour réclamer à M. F... le reversement de cette somme, perçue à tort. Ainsi le moyen tiré de ce que la créance est atteinte par la prescription biennale prévue à l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 doit être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé de la créance :

11. Pour contester le bien-fondé de la créance, M. F... soutient qu'aucune somme au titre de la première fraction d'indemnité d'installation ne lui a été versée en juillet 2011, lors de son arrivée en Guyane. Il fait valoir que l'indemnité de 7 308,91 euros qu'il a perçue en 2011 correspond non à cette première fraction, mais à un rappel d'indemnité de séjour en service extérieur pour son affectation en coopération au Congo du 7 mars 2011 au 16 mai 2011. Cependant, ces éléments sont en tout état de cause sans incidence sur le bien-fondé de la créance litigieuse qui se rapporte exclusivement à la deuxième et troisième fraction d'indemnité d'installation dans un département d'outre-mer.

12. Alors même que l'administration a admis en cours d'instance devant le tribunal administratif qu'une partie de la créance initiale n'était pas due, la créance restant en litige est fondée, sans que M. F... ne puisse utilement se prévaloir d'une mauvaise gestion de son dossier de solde imputable au nouveau système de calcul de solde dit " Louvois ".

13. Il résulte de ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir, que c'est à tort, que le tribunal administratif n'a pas annulé la décision implicite de rejet né du silence gardé par l'administration sur son recours préalable obligatoire en tant qu'elle lui réclame le reversement d'un trop-perçu de rémunération d'un montant de 15 224,40 euros. Par suite, les conclusions à fin d'injonction à reversement des sommes déjà remboursées doivent être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

14. M. F... soutient que la responsabilité de l'Etat doit être engagée à raison des fautes qu'il a commises dans la gestion de sa situation, et des dysfonctionnements consécutifs à la mise en oeuvre du nouveau système de calcul de solde dit " Louvois ". Ce n'est effectivement qu'au cours de l'instance contentieuse, que le ministre de la défense a admis qu'une somme de 5 262,43 euros initialement réclamée n'était pas due car déjà récupérée sur la solde de M. F... en septembre, octobre et novembre 2012. Dans ces conditions, l'administration a commis une négligence constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Toutefois, alors que la créance de 15 224,40 euros restant en litige était fondée, les conclusions indemnitaires tendant à la réparation d'un préjudice financier, égal au montant de cette somme doivent être rejetées. En revanche, au regard des troubles dans les conditions d'existence subis par l'intéressé du fait des dysfonctionnements du logiciel de gestion qui ont généré une tension avec son administration, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de M. F..., en lui accordant à ce titre une indemnité de 500 euros.

15. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. F... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses conclusions indemnitaires relatives à son préjudice moral.

Sur les frais liés à l'instance :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie principalement perdante, la somme que demande M. F... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires de M. F....

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. F... une indemnité de 500 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... F... et à la ministre des armées.

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N°19DA00164

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA00164
Date de la décision : 12/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Armées et défense - Personnels militaires et civils de la défense - Questions communes à l'ensemble des personnels militaires - Soldes et avantages divers.

Comptabilité publique et budget - Créances des collectivités publiques - Recouvrement.


Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Ghislaine Borot
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : MAUMONT MOUMNI AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-11-12;19da00164 ?
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