Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Thibault a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignées au titre des années 2009 à 2011, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1502125 du 3 avril 2018, le tribunal administratif de Lille, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions aux fins de décharge présentées par l'EURL Thibault à hauteur de la somme de 1 074 euros, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 mai 2018 et le 8 janvier 2019, l'EURL Thibault, représentée par la SCP Manuel Gros - Héloïse Hicter et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de sa demande ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes qui lui ont été assignées ;
3°) d'ordonner le sursis de paiement prévu par les dispositions de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article R. 207-1 du livre des procédures fiscales.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Binand, président-assesseur,
- les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., pour l'EURL Thibault.
Considérant ce qui suit :
1. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité (EURL) Thibault, qui exerce son activité dans le secteur des travaux du bâtiment, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er mars 2008 au 31 mars 2011. A l'issue des opérations de contrôle, l'administration lui a assigné, par une proposition de rectification du 31 juillet 2012, des redressements d'impôt sur les sociétés qu'elle a assortis, pour une fraction des droits rappelés, de majorations de 40 % pour manquement délibéré. L'EURL Thibault a demandé au tribunal administratif de Lille de la décharger de ces suppléments d'imposition qui ont été mis en recouvrement et maintenus partiellement par l'administration après le rejet de sa réclamation le 30 décembre 2014. Par un jugement du 3 avril 2018, le tribunal administratif de Lille a constaté que les conclusions à fin de décharge dont il était saisi avaient perdu leur objet à concurrence de la somme totale de 1 074 euros, compte tenu des dégrèvements prononcés par l'administration en cours d'instance, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de l'EURL Thibault. Cette société doit être regardée comme demandant à la cour, d'une part, d'annuler ce jugement, en tant que, par ce jugement, le tribunal n'a pas fait droit à sa demande, d'autre part, de lui accorder, sur le fondement de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales, le sursis de paiement des impositions restant en litige à hauteur d'un montant de 49 902 euros en droits et de 19 563 euros en pénalités et enfin, de prononcer la décharge de ces impositions.
Sur la recevabilité des conclusions relatives au sursis de paiement :
2. Les conclusions de l'EURL Thibault tendant au sursis de paiement des impositions en litige sont irrecevables devant la cour dès lors que, sitôt que les premiers juges se sont prononcés au fond, leur décision rend à nouveau exigibles les impositions dont ils n'ont pas prononcé la décharge. Par suite, ces conclusions doivent être rejetées.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. En premier lieu, dans le cas où la vérification de la comptabilité d'une entreprise a été effectuée dans ses propres locaux, c'est au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat.
4. L'EURL Thibault fait valoir qu'elle a été privée de cette garantie, dès lors qu'une proposition de rectification lui a été adressée le 31 juillet 2012 sans qu'ait été organisée la réunion de synthèse que la vérificatrice avait envisagée à l'issue de sa dernière intervention dans les locaux, le 4 juillet 2012, pour examiner les derniers justificatifs que la société entendrait produire le cas échéant. En se bornant à alléguer que, durant les trois semaines qui ont séparé la dernière intervention sur place de l'envoi, le 31 juillet 2012, de la proposition de rectification, son expert-comptable a tenté, sans succès, de contacter par téléphone la vérificatrice pour que soit organisée cette réunion, sans d'ailleurs faire état devant les premiers juges, ni davantage devant la cour, des justificatifs nouveaux qu'il aurait entendu présenter à cette occasion, la société requérante n'établit pas avoir été privée d'un débat oral et contradictoire avec la vérificatrice portant sur les discordances que celle-ci s'apprêtait à relever à partir des éléments dont elle disposait, alors qu'il n'est pas contesté que le service vérificateur a procédé à plusieurs interventions dans ses locaux du 16 avril 2012 au 4 juillet 2012, en présence à chaque fois du ou des représentants du contribuable. Par suite, l'EURL Thibault n'est pas fondée à soutenir que la procédure d'imposition serait irrégulière pour ce motif.
5. En second lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition, prorogé, le cas échéant, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de cet article. ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une notification de redressement doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon utile.
6. Contrairement à ce que soutient l'EURL Thibault, il résulte de l'examen de la proposition de rectification du 31 juillet 2012 que, si la vérificatrice a indiqué les anomalies comptables qu'elle a constatées, aucune mention de ce document, ni d'ailleurs de la réponse aux observations du contribuable, ne permet de conclure que l'administration, qui s'est fondée sur l'exploitation des écritures comptables et leur rapprochement avec les factures produites, aurait écarté la comptabilité vérifiée comme irrégulière et non probante et procédé à une reconstitution extracomptable de son chiffre d'affaire et de ses charges et produits. Il suit de là que, en l'absence de rejet de la comptabilité de la société requérante, le moyen tiré de ce que cette proposition de rectification serait insuffisamment motivée, faute de comporter les motifs d'un tel rejet, ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés :
7. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " 1. Sous réserve des dispositions des articles 33 ter, 40 à 43 bis et 151 sexies, le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. / 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. / 2 bis. Pour l'application des 1 et 2, les produits correspondant à des créances sur la clientèle ou à des versements reçus à l'avance en paiement du prix sont rattachés à l'exercice au cours duquel intervient la livraison des biens pour les ventes ou opérations assimilées et l'achèvement des prestations pour les fournitures de services. / Toutefois, ces produits doivent être pris en compte : / a. Pour les prestations continues rémunérées notamment par des intérêts ou des loyers et pour les prestations discontinues mais à échéances successives échelonnées sur plusieurs exercices, au fur et à mesure de l'exécution ; / b. Pour les travaux d'entreprise donnant lieu à réception complète ou partielle, à la date de cette réception, même si elle est seulement provisoire ou faite avec réserves, ou à celle de la mise à la disposition du maître de l'ouvrage si elle est antérieure. / (...) ". Compte tenu de ces règles, applicables en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 de ce code, pour la détermination du bénéfice imposable, lorsqu'une entreprise comptabilise en fin d'exercice à l'actif de son bilan, de manière globale, une somme à titre de "factures à émettre", elle doit être en mesure de justifier, de manière suffisamment détaillée, de l'évaluation qu'elle a faite de ce poste, afin de permettre un contrôle, d'une part, du rattachement correct des produits à l'exercice au cours duquel ils sont réalisés, d'autre part, du bien-fondé de l'imputation à ce compte des factures qui sont ultérieurement émises.
8. Pour assigner les redressements contestés, l'administration a réintégré dans le bénéfice imposable de l'EURL Thibault des encaissements enregistrés en comptabilité au titre de l'exercice clos en 2011 qu'elle a regardés comme des produits non déclarés correspondant à des travaux achevés au cours de cet exercice et, comme tels, à rattacher à son résultat imposable en application des dispositions du 2 et du 2bis de l'article 38 du code général des impôts.
9. La société requérante soutient qu'un montant de 102 170,35 euros correspondant à des travaux non achevés, ni même réceptionnés partiellement, a été débité à tort le 31 mars 2011 du compte client 4181 " factures à établir " et que par deux écritures globales, ce même montant a été inscrit en produits de cet exercice au compte 704 " travaux " et 44587 " TVA sur travaux ", de telle sorte qu'il a été intégré au bénéfice imposable de l'exercice, que des écritures de régularisation en sens contraire ont été enregistrées au début de l'exercice suivant afin de tenir compte de l'absence d'achèvement de ces travaux et, enfin, que les règlements correspondant à cinq des chantiers concernés achevés seulement au cours de l'exercice clos en 2012, ont, en définitive, été dûment comptabilisés comme produits rattachés à cet exercice par des écritures enregistrées le 30 juin 2011.
10. Toutefois, d'une part, les factures produites par la société requérante devant les premiers juges et de nouveau en appel, qui soit mentionnent explicitement qu'elles se rapportent au solde de travaux soit ne comportent aucune indication quant à la fin du chantier concerné, ne permettent pas d'établir que les prestations correspondantes auraient été achevées, comme elle l'allègue, après le terme de l'exercice clos en 2011. D'autre part, ainsi que les premiers juges l'ont relevé, les écritures comptables dont l'EURL Thibault se prévaut, compte tenu de leur caractère global qui ne permet aucun recollement avec les prestations qu'elles concernent, n'établissent ni que le rehaussement des produits procédant des encaissements retenus par l'administration ne portent pas sur des opérations à rattacher à l'exercice clos en 2011 ni, comme la société le soutient, que ces sommes auraient été déclarées et imposées comme produits de cet exercice. Par ailleurs, le tableau, produit par la société requérante, ventilant cette somme globale entre plusieurs chantiers présente un caractère insuffisamment probant pour établir, à lui seul, l'absence d'achèvement des travaux avant l'exercice clos en 2012.
11. Enfin, l'imposition excessive du résultat de l'exercice clos en 2012 que la société requérante fait valoir est, à la supposer établie, sans incidence sur l'imposition en litige qui se rapporte à l'exercice clos en 2011.
12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 8 à 11 que l'administration était fondée, en application des dispositions rappelées au point 7, dont le courrier du 20 février 1956 adressé par la direction générale des impôts au président de la Fédération nationale du bâtiment et des activités annexes ne fait pas une interprétation différente, à rectifier le montant du bénéfice déclaré par l'EURL Thibault au titre de l'exercice clos en 2011 et, en conséquence, à assigner à cette société les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés résultant de ce rehaussement.
Sur les pénalités :
13. En premier lieu le moyen, déjà soulevé en première instance, tiré par la société requérante de ce que la majoration pour manquement délibéré qui lui a été infligée est insuffisamment motivée au regard des obligations posées à l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales doit être écarté pour les motifs retenus, à bon droit, au point 13 du jugement attaqué et qu'il y a lieu, pour la cour, d'adopter.
14. En deuxième lieu, l'EURL Thibault n'est pas fondée à demander à être déchargée des pénalités qui assortissent les redressements d'impôt sur les sociétés en conséquence de la décharge de ces redressements, dès lors que ceux-ci lui ont été assignés à bon droit, ainsi qu'il a été dit précédemment.
15. En troisième et dernier lieu, l'administration fait valoir que la société EURL Thibault ne pouvait ignorer l'absence de comptabilisation en produits du règlement de travaux achevés au cours de l'exercice qui porte sur plusieurs opérations, alors d'ailleurs que les montants en cause s'élèvent à 11 % de son chiffre d'affaires et que l'une de ces opérations a donné lieu à déduction de charges de sous-traitance. Ce faisant, et à supposer même qu'une régularisation soit intervenue au cours de l'exercice comptable suivant, l'administration établit que les manquements de la société EURL Thibault à ses obligations fiscales ont eu pour objet d'éluder l'impôt dû au titre de l'exercice clos en 2011 et, par suite, leur caractère délibéré. Dès lors, elle était fondée à assortir les rehaussements en cause de la majoration de 40 % prévue par les dispositions du a de l'article 1729 du code général des impôts.
16. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL Thibault n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions doivent être rejetées, y compris celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que celles présentées au titre de l'article R. 207-1 du livre des procédures fiscales qui sont sans objet dès lors que l'instance n'a donné lieu à aucun des frais mentionnés à cet article.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'EURL Thibault est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Thibault et au ministre délégué chargé des comptes publics.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
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N°18DA01074