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15/07/2020 | FRANCE | N°18DA02473

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 15 juillet 2020, 18DA02473


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 7 décembre 2018, et un mémoire enregistré le 28 mai 2020, la société Parc Eolien Nordex LXI, représentée par Me B... A..., demande à la cour :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 14 juin 2018 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui accorder l'autorisation d'exploiter les éoliennes n° E1 à n° E4 et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Troisvilles ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux du 10 octobre 2018 ;

2°) de délivrer l'autorisation d'

exploiter les éoliennes n° E1 à n° E4 et le poste de livraison en l'assortissant, le cas ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 7 décembre 2018, et un mémoire enregistré le 28 mai 2020, la société Parc Eolien Nordex LXI, représentée par Me B... A..., demande à la cour :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 14 juin 2018 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui accorder l'autorisation d'exploiter les éoliennes n° E1 à n° E4 et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Troisvilles ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux du 10 octobre 2018 ;

2°) de délivrer l'autorisation d'exploiter les éoliennes n° E1 à n° E4 et le poste de livraison en l'assortissant, le cas échéant, des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet du Nord de délivrer l'autorisation sollicitée en fixant, s'il y a lieu, les prescriptions techniques nécessaires, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

- le décret n° 2011-984 du 23 août 2011 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Pierre Bouchut, premier conseiller,

- les conclusions de M. Charles-Edouard Minet, rapporteur public,

- et les observations de Me B... A... représentant le Parc Eolien Nordex LXI.

Considérant ce qui suit :

1. Par une demande présentée le 8 août 2016, modifiée et complétée le 27 décembre 2016, la société Parc Eolien Nordex LXI a demandé au préfet du Nord de lui délivrer l'autorisation d'exploiter deux parcs éoliens, l'un composé de cinq éoliennes et deux postes de livraison, dit du Bois Marronnier, et l'autre de quatre éoliennes et un poste de livraison, dit du Champ Bérant, sur les territoires des communes de Reumont et Troisvilles. La société Parc Eolien Nordex LXI demande à la cour d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 14 juin 2018 du préfet du Nord, en tant que cet arrêté a rejeté sa demande d'exploiter les éoliennes n° E1 à n° E4 et un poste de livraison, soit le projet dit du Champ Bérant, situé sur le territoire de la commune de Troisvilles, ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux.

Sur les conclusions dirigées contre les décisions en litige :

2. En vertu de l'article L. 181-17 du code de l'environnement, issu de l'article 1er de l'ordonnance du 26 janvier 2017 et applicable depuis le 1er mars 2017, l'autorisation environnementale est soumise, comme les autres autorisations mentionnées au 1° de l'article 15 de cette même ordonnance, et notamment l'autorisation unique délivrée sur le fondement de l'ordonnance du 20 mars 2014, à un contentieux de pleine juridiction. Il appartient, dès lors, au juge du plein contentieux d'apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation et celui des règles de fond régissant l'installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme qui s'apprécient au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation.

3. Aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 : " Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes : (...) / 2° Les demandes d'autorisation au titre du chapitre IV du titre Ier du livre II ou du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement, ou de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ou de l'ordonnance n° 2014-619 du 12 juin 2014 régulièrement déposées avant le 1er mars 2017 sont instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la présente ordonnance ; après leur délivrance, le régime prévu par le 1° leur est applicable ; (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ". Aux termes de l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme : " Le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'utilisation des sols, à l'implantation, la destination, la nature, l'architecture, les dimensions, l'assainissement des constructions et à l'aménagement de leurs abords et s'ils ne sont pas incompatibles avec une déclaration d'utilité publique. / (...) ". L'article R. 111-27 de ce code dispose que : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ".

5. Il résulte de ces dispositions que, pour statuer sur une demande d'autorisation unique, il appartient au préfet de s'assurer que le projet ne méconnaît pas, notamment, l'exigence de protection des paysages et des sites et ne porte pas atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants. Pour rechercher si l'existence d'une atteinte à un paysage, à la conservation des sites et des monuments ou au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants est de nature à fonder un refus d'autorisation ou à fonder les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient au préfet d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel ou du paysage sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le monument ou sur le paysage.

6. Pour rejeter la demande, le préfet s'est, en premier lieu, fondé sur la circonstance que les éoliennes nos E1 à E4 portent atteinte à la quiétude des cimetières militaires de Montay et du Cateau-Cambrésis.

7. Le terrain d'implantation de ces quatre éoliennes se situe dans une zone de champs ouverts, constituée de plateaux vallonnés, ne présentant pas d'intérêt particulier. Si les deux cimetières militaires ne font l'objet d'aucune protection au titre d'une législation sur les sites ou les monuments historiques, ils présentent un intérêt certain compte tenu de leur destination, de la qualité de leur aménagement paysager et de leur organisation soignée. Il résulte de l'instruction que l'éolienne la plus proche de ces deux cimetières est implantée à une distance de 1,9 kilomètre, que si les quatre éoliennes sont visibles depuis le cimetière de Montay, il n'en résulte aucun effet d'écrasement et qu'elles s'inscrivent dans un paysage comportant déjà une ligne à haute tension et son pylône ainsi que d'autres éoliennes autorisées ou existantes. Il en résulte que ces quatre éoliennes ne peuvent être regardées comme ayant un impact visuel incompatible avec le caractère et l'intérêt du cimetière de Montay. Par ailleurs, la société pétitionnaire a proposé une mesure paysagère de nature à réduire l'impact visuel des éoliennes depuis le cimetière de Montay. Le cimetière militaire de Neuvilly est lui situé en bordure de la route départementale 955 et à 3,4 kilomètres de l'éolienne la plus proche et les quatre éoliennes seront partiellement occultées par la végétation, sans aucun impact visuel fort. Celles-ci ne portent dès lors pas atteinte aux intérêts protégés de ce cimetière. Les quatre éoliennes, à l'exception de leurs pales, seront masquées par la végétation depuis le cimetière de Honnechy et ne portent pas atteinte au caractère de ce lieu. Il résulte de l'instruction que les visiteurs tournent le dos au projet éolien en entrant dans le cimetière militaire du Cateau-Cambrésis, entouré d'arbres, dont l'éolienne la plus proche est distante de 2 kilomètres. L'impact des quatre éoliennes, notamment pour les visiteurs, n'est donc pas incompatible avec le caractère et l'intérêt de ces lieux, et notamment avec les intérêts protégés par les dispositions précitées de l'article L. 511-1 du code de l'environnement et de l'article R. 111-27 du code l'urbanisme, justifiant leur interdiction. Au surplus, le parc éolien, du fait de son éloignement, ne trouble pas la quiétude et la sérénité de ces endroits de mémoire et de recueillement.

8. Le préfet s'est ensuite fondé sur la circonstance que le projet est visible depuis le parvis de l'église Saint-Martin du Cateau-Cambrésis, classée monument historique. Il ressort de l'instruction que le rotor de l'éolienne n° E3 et les pales de l'éolienne n° E4 seront visibles depuis ce parvis, dans un environnement urbain, à une distance telle qu'il n'existe aucun effet de surplomb et que le projet éolien ne s'inscrit pas en covisibilité avec ce monument historique. Dès lors, la seule visibilité depuis le parvis de ce monument ne permet pas de regarder le projet comme portant atteinte à la conservation de ce site ou aux perspectives monumentales.

9. Enfin, le préfet s'est fondé sur la covisibilité du projet éolien avec la borne d'Inchy, classée aux monuments historiques. Il résulte de l'instruction que cet édicule de faible taille est situé en bordure de la route départementale n° 943 à grande circulation, à une distance de 1,3 kilomètre du parc éolien. Compte tenu de la dimension de cette borne et de son emplacement, sa covisibilité avec le projet éolien n'est effective que depuis certains points de vue à proximité immédiate de la borne. La société pétitionnaire a proposé, en outre, des mesures compensatoires de nature à mettre en valeur et en sécurité la borne d'Inchy. Dans ces conditions, le projet ne peut être regardé comme portant atteinte à la conservation de ce monument historique.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Parc Eolien Nordex LXI est fondée à soutenir que la décision attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation de l'atteinte portée aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement et par l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen invoqué, l'arrêté du 14 juin 2018 du préfet du Nord, en tant qu'il rejette la demande d'exploiter les éoliennes n° E1 à n° E4 et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Troisvilles, ainsi que, par voie de conséquence, la décision de rejet du recours gracieux du préfet du Nord, doivent être annulés.

Sur les conclusions aux fins de délivrance de l'autorisation et d'injonction :

11. Aux termes du I de l'article L. 514-6 du code de l'environnement : " Les décisions prises en application des articles L. 171-7, L. 171-8 et L. 171-10, L. 512-1, L. 512-3, L. 512-7-3 à L. 512-7-5, L. 512-8, L. 512-12, L. 512-13, L. 512-20, L. 513-1, L. 514-4, du I de l'article L. 515-13 et de l'article L. 516-1 sont soumises à un contentieux de pleine juridiction ".

12. Lorsqu'il statue en vertu de l'article L. 514-6 du code de l'environnement, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation classée pour la protection de l'environnement en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 de ce code. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée et, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions.

13. Le ministre ne se prévaut d'aucun autre motif de refus de l'autorisation d'exploiter les éoliennes n° E1 à n° E4 et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Troisvilles, et notamment d'aucune autre atteinte qui serait portée aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement et par l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme, dans des conditions qui rendraient l'implantation des quatre éoliennes et leur poste de livraison incompatible avec la protection de ces intérêts, ou de la méconnaissance des dispositions relatives à l'urbanisme. Eu égard au motif d'annulation retenu au présent arrêt, il y a, dès lors, lieu pour la cour de faire usage de ses pouvoirs de pleine juridiction en délivrant à la société pétitionnaire l'autorisation d'exploiter les éoliennes n° E1 à n° E4 et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Troisvilles et en la renvoyant devant le préfet pour fixer les conditions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il y a lieu d'enjoindre au préfet du Nord de fixer les prescriptions qui doivent, le cas échéant, ainsi assortir cette autorisation, dans le délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros réclamée par la société Parc Eolien Nordex LXI au titre des frais du litige.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté du 14 juin 2018 du préfet du Nord, en tant qu'il rejette la demande d'exploiter les éoliennes n° E1 à n° E4 et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Troisvilles, ainsi que la décision de rejet du recours gracieux prise par le préfet du Nord, sont annulés.

Article 2 : L'autorisation d'exploiter les éoliennes n° E1 à n° E4 et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Troisvilles est accordée à la société Parc Eolien Nordex LXI. Cette autorisation est assortie des conditions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement qui seront fixées par le préfet du Nord.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Nord, le cas échéant, d'assortir l'autorisation d'exploiter les éoliennes n° E1 à n° E4 et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Troisvilles des prescriptions de nature à prévenir les dangers ou inconvénients que peut présenter cette installation, dans le délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à la société Parc Eolien Nordex LXI une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Parc Eolien Nordex LXI, au préfet du Nord et à la ministre de la transition écologique.

N°18DA02473 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18DA02473
Date de la décision : 15/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

44-02 Nature et environnement. Installations classées pour la protection de l'environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. Boulanger
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre Bouchut
Rapporteur public ?: M. Minet
Avocat(s) : CABINET LEFEVRE PELLETIER ET ASSOCIES ET CGR LEGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 13/09/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-07-15;18da02473 ?
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