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09/07/2020 | FRANCE | N°19DA01155

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 09 juillet 2020, 19DA01155


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le service départemental d'incendie et de secours du Nord a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la société Iera à lui verser la somme de 104 808 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice résultant des désordres affectant la salle de sports du centre d'incendie et de secours de Maubeuge et de mettre à la charge de la société Iera une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administ

rative, ainsi que les entiers dépens, d'un montant total de 7 218,33 euros.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le service départemental d'incendie et de secours du Nord a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la société Iera à lui verser la somme de 104 808 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice résultant des désordres affectant la salle de sports du centre d'incendie et de secours de Maubeuge et de mettre à la charge de la société Iera une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens, d'un montant total de 7 218,33 euros.

Par un jugement n° 1601391 du 19 mars 2019 le tribunal administratif de Lille a condamné la société Iera à verser au service départemental d'incendie et de secours du Nord une somme de 100 608 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 mars 2016, en décidant que les intérêts échus à la date du 2 mars 2017, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts. Il a aussi mis à la charge définitive de la société Iera les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme totale de 7 218,33 euros toutes taxes comprises, au profit du service départemental d'incendie et de secours du Nord ainsi qu'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il a enfin rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 mai 2019 et 24 avril 2020, la société Iera, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement sauf en ce qu'il a débouté le service départemental d'incendie et de secours du Nord de sa demande de condamnation au versement d'une somme de 4 200 euros hors taxes relative aux travaux à mettre en oeuvre avant toute opération pour assurer un bon écoulement des eaux pluviales ;

2°) de débouter le service départemental d'incendie et de secours du Nord de l'ensemble de ses demandes de première instance ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise ;

4°) à titre subsidiaire également, de constater le partage de responsabilité entre la société Iera et le service départemental d'incendie et de secours du Nord ;

5°) de mettre à la charge de cet établissement public une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président assesseur ;

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public ;

- et les observations de Me A..., représentant la société Iera et de Me B..., représentant le service départemental d'incendie et de secours du Nord.

Considérant ce qui suit :

1. Après infiltration d'eaux de ruissellement extérieures, provenant des espaces verts à la suite d'un gros orage affectant les locaux du centre d'incendie et de secours de Maubeuge, le service départemental d'incendie et de secours du Nord a confié à la société Iera, par acte d'engagement du 17 mai 2010, la pose d'un nouveau sol souple dans la salle de sports de l'immeuble. Les travaux ont été réceptionnés avec effet au 26 août 2010. Des décollements affectant ce sol souple ayant toutefois été constatés, le juge des référés du tribunal administratif de Lille, par ordonnance du 6 mars 2014 a prescrit une expertise et a désigné un expert. Celui-ci a déposé son rapport le 31 décembre 2014. Le service départemental d'incendie et de secours du Nord a demandé la condamnation de la société Iera à lui verser, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, une somme de 104 808 euros en réparation de son préjudice matériel. Par jugement du 19 mars 2019, le tribunal administratif de Lille a condamné la société Iera à verser au service départemental d'incendie et de secours du Nord une somme de 100 608 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 mars 2016, les intérêts échus à la date du 2 mars 2017, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, étant capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts. Il a également mis les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme totale de 7 218,33 euros toutes taxes comprises, à la charge définitive de la société Iera, ainsi qu'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en rejetant le surplus des conclusions des parties. Par sa requête, la société Iera demande la réformation de ce jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser la somme de 100 608 euros, les frais d'expertise et les frais d'instance.

Sur la mise en jeu de la garantie décennale des constructeurs :

2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La responsabilité décennale du constructeur peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. La circonstance que les désordres affectant un élément d'équipement fassent obstacle au fonctionnement normal de cet élément n'est pas de nature à engager la responsabilité décennale du constructeur si ces désordres ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

3. Tout d'abord, il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert, désigné par ordonnance du 6 mars 2014 du juge des référés du tribunal administratif de Lille, que la réception des travaux de pose de sols souples de la salle de sports du centre d'incendie et de secours de Maubeuge, effectuée par la société Iera, a été faite sans réserve, avec effet au 26 août 2010, et que ces désordres n'étaient pas apparents lors de la réception des travaux. Ils ne sont apparus que plus d'un an plus tard, à compter du 23 novembre 2011. Le revêtement de sol de la salle omnisports du centre d'incendie et de secours de Maubeuge est atteint de décollements, comportant ainsi, aux termes du rapport d'expertise des " gonflements ", qui forment des " vagues proéminentes dont le dénivelé dépasse les 10 mm sous une règle de 3 m ". L'expert relève aussi que ces désordres ont pour origine l'importante humidité de la chape sur laquelle le sol souple a été posé, empêchant l'adhérence du revêtement. Il note également que la pratique du sport n'est pas possible dans cette salle dans de bonnes conditions de sécurité, les aspérités du revêtement de sol constituant un obstacle pouvant provoquer des chutes et des blessures. Il précise de surcroît que l'état actuel du revêtement de sol, de par les aspérités qu'il présente, rend ce revêtement impropre à son utilisation. Ainsi, à supposer même que le revêtement du sol puisse être regardé comme un élément d'équipement dissociable de l'ouvrage constitué par la salle omnisports du centre de secours de Maubeuge, ces désordres apparus dans le délai de la garantie décennale sont de nature à rendre cet ouvrage impropre à sa destination.

4. Ensuite, un constructeur peut voir sa responsabilité engagée dès lors qu'il a participé de manière directe et effective à l'acte de construction en cause, sans que l'administration ait à prouver qu'il a commis une faute, le régime de la responsabilité décennale étant un régime de présomption de responsabilité reposant sur la notion d'imputabilité, et non un régime de responsabilité pour faute. Le fait que le dommage pourrait résulter d'autres causes que l'intervention du constructeur ne suffit pas à exonérer celui-ci de sa responsabilité, dès lors qu'il ne peut être exonéré que s'il est établi que le dommage ne peut résulter en aucune façon des travaux réalisés. La notion de faute des autres constructeurs n'intervient qu'au stade de la répartition entre eux de la charge finale de l'indemnité, à l'occasion des éventuels appels en garantie qu'ils peuvent former entre eux. Dans le dernier état de ses écritures, la société Iera a renoncé à demander à être garantie par un autre constructeur et, en tout état de cause, elle ne peut utilement invoquer la faute d'un autre constructeur, en l'occurrence celle qu'aurait commise la société Dekra, bureau d'études, afin d'être, même partiellement, exonérée de sa responsabilité.

5. En l'espèce, au regard des constatations de l'expert, ces désordres ont pour origine l'importante humidité du support sur lequel le sol souple a été posé, qui empêche le revêtement d'y adhérer, et c'est bien la société Iera, chargée des travaux de réfection du sol, qui a conçu la solution technique ainsi que les matériaux retenus, a fourni les matériaux et les a également mis en oeuvre. L'expert a constaté qu'aux endroits ouverts lors des réunions d'expertise sur place, la colle n'est pas sèche et se présente sous la forme d'émulsion. Elle n'adhère ni au support, qui est humide, ni au revêtement de sol, une nette odeur d'humidité se dégage et, par endroit, des moisissures se développent. La circonstance, invoquée par la société Iera, que ces constats ont été réalisés plusieurs mois après l'apparition des premiers désordres n'a pas incidence sur leur pertinence, dès lors que la configuration de la salle n'a pas été modifiée entre la réception du support et les opérations d'expertise. Si la société Iera se prévaut aussi d'une analyse critique du rapport de l'expert par M. C., datée du 3 mai 2016, l'auteur de cette analyse ne s'est même pas déplacé sur les lieux et celle-ci est dénuée de caractère contradictoire. Elle n'est pas de nature à remettre en cause de manière probante les conclusions et constats de l'expert désigné par le tribunal, alors que la société Iera n'a jamais contesté, au cours des opérations d'expertise, la méthode de relevé hygrométrique employée par l'expert judiciaire, ni même sollicité des relevés ou investigations complémentaires. En outre, la société Iera, qui a pour activité des travaux de peinture, vitrerie et autres travaux intérieurs, a effectué avant la pose du revêtement, comme tout professionnel qualifié, des relevés du taux d'humidité du support. Elle a également déclaré que ce support pouvait recevoir le sol souple en cause, sans réaliser aucune autre investigation complémentaire, malgré le constat d'une mesure notée " non conforme " sur les trois mesures réalisées. Elle n'a pas non plus mis en place, dans ce contexte particulier, des barrières anti-remontées d'humidité ou anti-capillarité, ni même utilisé une colle adéquate, ce qu'a relevé l'expert judiciaire. Dans ces conditions, comme l'a jugé à bon droit et au vu d'une juste appréciation des faits le tribunal administratif de Lille, les désordres en litige sont imputables à la société Iera, au titre des principes régissant la garantie décennale des constructeurs.

6. Il n'est pour le reste et tout état de cause pas établi que le maître d'ouvrage aurait eu une connaissance précise de causes extérieures des désordres, l'expert judiciaire relevant d'ailleurs que durant dix ans, entre la réception initiale du bâtiment du centre de secours de Maubeuge construit en 2001, où a été implantée la salle omnisports, et les désordres apparus en 2011, aucun désordre de même nature et dans la même proportion que ceux en litige n'était apparu, alors que l'état extérieur du bâtiment était le même. Au contraire, l'expert judiciaire a souligné la " prise de risque élevée " par la société Iera, qui n'a pas approfondi la mesure de l'humidité du sol, alors qu'elle avait relevé une mesure non conforme, ni mis en place une barrière contre les remontées d'humidité par le sol, quand bien même elle n'y aurait pas été tenue par la norme applicable. Dans ces conditions, le service départemental d'incendie et de secours du Nord n'a pas plus commis de faute de nature à exonérer, ne serait-ce que partiellement la société Iera de sa responsabilité, en ne lui communiquant pas d'informations particulières sur l'humidité alléguée de la chape destinée à accueillir le sol souple à réaliser.

Sur le préjudice en raison des désordres :

7. Il résulte de l'instruction, et en particulier des conclusions de l'expert, qui ne sont pas sérieusement contestées, y compris en appel et sur lesquelles s'est fondé le tribunal administratif, que le remplacement intégral du sol souple de la salle omnisports est nécessaire pour la reprise des désordres précités et que le montant des travaux de reprise s'élève à la somme de 100 608 euros toutes taxes comprises, somme au paiement de laquelle la société Iera a été condamnée par les premiers juges.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner un nouvelle expertise qui serait dépourvue d'utilité, la cour disposant de tous les éléments utiles à la solution du litige, que la société Iera n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 19 mars 2019, le tribunal administratif de Lille l'a condamnée à verser au service départemental d'incendie et de secours du Nord une somme de 100 608 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 mars 2016, les intérêts échus à cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, étant capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Sur les frais d'expertise :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de maintenir les frais d'expertise à la charge définitive de la société Iera.

Sur les frais liés au litige :

10. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la société Iera doivent dès lors être rejetées. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Iera une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le service départemental d'incendie et de secours du Nord et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Iera est rejetée.

Article 2 : La société Iera versera au service départemental d'incendie et de secours du Nord une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Iera et au service départemental d'incendie et de secours du Nord.

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N° 19DA01155


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA01155
Date de la décision : 09/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04 Marchés et contrats administratifs. Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. Responsabilité décennale.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : DE ABREU - GUILLEMINOT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-07-09;19da01155 ?
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