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30/06/2020 | FRANCE | N°18DA02550

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 30 juin 2020, 18DA02550


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première demande, enregistrée sous le n° 1603016, M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen de constater la nullité de son engagement de caution figurant dans la convention de délégation de service public conclue le 27 janvier 2014 entre l'office de tourisme de Caux Vallée de Seine et la société Segelor Bateau le Chansonnier, d'annuler le titre exécutoire n° 00163 d'un montant de 80 000 euros émis à son encontre le 18 juillet 2016 par cet office de tourisme et de condamner ce

lui-ci à lui verser la somme de 80 000 euros.

Par une seconde demande, enre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première demande, enregistrée sous le n° 1603016, M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen de constater la nullité de son engagement de caution figurant dans la convention de délégation de service public conclue le 27 janvier 2014 entre l'office de tourisme de Caux Vallée de Seine et la société Segelor Bateau le Chansonnier, d'annuler le titre exécutoire n° 00163 d'un montant de 80 000 euros émis à son encontre le 18 juillet 2016 par cet office de tourisme et de condamner celui-ci à lui verser la somme de 80 000 euros.

Par une seconde demande, enregistrée sous le n° 1603017, M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen de constater la nullité de son engagement de caution figurant dans la convention de délégation de service public conclue le 27 janvier 2014 entre l'office de tourisme de Caux Vallée de Seine et la société Segelor Bateau le Chansonnier, d'annuler le titre exécutoire n° 00162 d'un montant de 200 000 euros émis à son encontre le 18 juillet 2016 par cet office de tourisme et de condamner celui-ci à lui verser la somme de 200 000 euros.

Par un jugement nos 1603016,1603017 du 16 octobre 2018, le tribunal administratif de Rouen, après avoir joint ces deux demandes, les a rejetées.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 décembre 2018, et un mémoire, enregistré le 18 janvier 2019, M. D... A..., représenté par la SCP Gatineau, Fattaccini, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de constater la nullité de l'engagement de caution figurant dans la convention de délégation de service public conclue le 27 janvier 2014 entre l'office de tourisme de Caux Vallée de Seine et la société Segelor Bateau le Chansonnier ;

3°) d'annuler les titres exécutoires n° 00162 et n° 00163 émis à son encontre le 18 juillet 2016 ;

4°) de condamner l'office de tourisme de Caux Vallée de Seine à lui verser une somme totale de 280 000 euros ;

5°) de mettre à la charge de l'office de tourisme de Caux Vallée de Seine la somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la consommation ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif modifiée par les ordonnances n° 2020-405 du 8 avril 2020, n° 2020-427 du 15 avril 2020 et n° 2020-558 du 13 mai 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Christian Boulanger, président de chambre ;

- les conclusions de M. Charles-Edouard Minet, rapporteur public,

- et les observations de Me E... C..., représentant l'office du tourisme de Caux Vallée de Seine.

Considérant ce qui suit :

1. L'office de tourisme de Caux Vallée de Seine a confié à la société Segelor Bateau le Chansonnier la gestion d'un service de bateau destiné à la promenade sur la Seine ainsi que la commercialisation des prestations des services touristiques pour une durée de quinze ans, par une convention de délégation de service public conclue le 27 janvier 2014. Cette convention a prévu le versement à la société d'une somme totale de 300 000 euros et son remboursement à l'office de tourisme par la société " s'il est mis fin au présent contrat de manière anticipée de son propre fait ". Par une lettre du 18 juillet 2015, l'office de tourisme a demandé à M. A..., gérant de la société Segelor Bateau le Chansonnier, et en sa qualité de caution solidaire, de régler la somme de 300 000 euros correspondant au remboursement de cette subvention. Cet établissement a ensuite, le 18 juillet 2016, émis à l'encontre de M. A... deux titres de perception, l'un d'un montant de 200 000 euros et l'autre d'un montant de 80 000 euros. M. A... relève appel du jugement du 16 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif a rejeté ses demandes tendant à la déclaration de nullité de son engagement de caution solidaire, à l'annulation de ces titres exécutoires et à la condamnation de l'office de tourisme à lui verser des sommes correspondant à celles ainsi mises à sa charge par ces titres.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué est revêtue de la signature du président, du rapporteur et du greffier d'audience. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement à raison du défaut de signature de la minute du jugement manque en fait.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'obligation de remboursement de la subvention :

3. L'attribution d'une subvention par une personne publique crée des droits au profit de son bénéficiaire. Toutefois, de tels droits ne sont ainsi créés que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi, que ces conditions découlent des normes qui la régissent, qu'elles aient été fixées par la personne publique dans sa décision d'octroi, qu'elles aient fait l'objet d'une convention signée avec le bénéficiaire, ou encore qu'elles découlent implicitement mais nécessairement de l'objet même de la subvention.

4. Aux termes de l'article 19 de la convention de délégation de service public conclue le 27 janvier 2014 : " Compte tenu du budget prévisionnel présenté par le délégataire et pour éviter toute rupture du principe de continuité du service public, le délégant verse au délégataire une compensation forfaitaire destinée à couvrir les sujétions de service public imposées. / Cette compensation, qui est calculée de telle manière que le risque financier demeure à la charge du délégataire, est soumise à TVA au taux normal (20% au moment de la signature du présent contrat). / Cette compensation est la suivante : Année 1 : 220 000 euros HT ; Année 2 : 80 000 euros HT. / Elle sera payée à compter de la prise d'effet du présent contrat, sur présentation d'une facture par le délégataire ". Aux termes de l'article 20 de cette convention : " Le délégataire assure une garantie de cette subvention par une caution solidaire de la SNC Croisières Parisiennes Evènement Fluvial (...). / Le délégataire assure l'obligation du remboursement de cette participation, au prorata de la somme restant due, s'il est mis fin au présent contrat de manière prématurée de son propre fait. / M. D... A..., gérant, et M. F... B..., associé, se déclarent solidaires cautions solidaires ". Il résulte de ces stipulations que le droit au profit de la société Segelor Bateau le Chansonnier à l'attribution de la subvention totale de 300 000 euros n'est créé que si cette société, de son propre fait, ne met pas fin de manière anticipée au contrat.

5. D'une part, M. A... ne conteste pas sérieusement l'allégation de l'office du tourisme selon laquelle la société Segelor Bateau le Chansonnier a cessé d'exécuter la convention à compter du mois d'avril 2015. Cette société a d'ailleurs été placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Créteil du 8 avril 2015 puis en liquidation judiciaire par un jugement du même tribunal du 3 juin 2015, et son liquidateur a déposé une demande de résiliation de la convention le 4 août 2015, sans que M. A... n'établisse ni même n'allègue que cette société aurait, en dépit de ces procédures, continué à exécuter les missions qui lui avaient été confiées par la convention. Cette dernière a, au demeurant, été résiliée le 16 septembre 2015. Il résulte ainsi de l'instruction qu'il a été mis fin de manière prématurée au contrat, initialement conclu pour une durée de quinze ans.

6. D'autre part, le jugement de placement en redressement judiciaire du 8 avril 2015, intervenu à la demande de l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Paris, a provisoirement fixé la date de cessation de paiement au 8 avril 2013, soit antérieurement à la conclusion de la convention de délégation de service public. Il ressort des mentions de ce jugement que les dettes de la société Segelor Bateau le Chansonnier à l'égard de l'union s'élevaient à 120 000 euros, et M. A... ne conteste pas qu'elles s'élevaient à 80 000 euros à l'égard des autres créanciers. Si l'avenant à la convention signé le 12 avril 2015 a prévu le versement, par la société et au profit de l'office de tourisme, d'une commission de 8 % du montant des ventes de croisières réalisées au cours de l'année 2015, il résulte de l'instruction, et notamment de ce qui vient d'être dit, que les difficultés financières de la société Segelor Bateau le Chansonnier, qui l'ont placée dans l'impossibilité de poursuivre l'exécution de la convention, préexistaient à la conclusion de celle-ci. Au demeurant, M. A... ne peut, pour soutenir que la société Segelor Bateau le Chansonnier ne serait pas responsable de la fin anticipée du contrat, invoquer le versement de cette commission, qui résulte d'un avenant approuvé par les parties. Par ailleurs, si le coût du recours à un " pilote de Seine ", exigé pour toute sortie ou mouvement du bateau, s'est révélé plus élevé que celui estimé initialement par la société, cette circonstance lui est exclusivement imputable.

7. Il résulte de ce qui a été dit aux deux points précédents que, la société Segelor Bateau le Chansonnier ayant, de son propre fait et de manière anticipée, mis fin au contrat, la subvention pouvait, au prorata, être retirée, et son remboursement exigé, contrairement à ce que soutient M. A....

En ce qui concerne la validité de l'engagement de caution solidaire souscrit par M. A... :

S'agissant des principes dont s'inspire l'article 1326 du code civil :

8. Aux termes de l'article 1326 du code civil, dans sa rédaction en vigueur : " L'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l'acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres ". Il résulte des principes dont s'inspirent ces dispositions que toute convention comportant un engagement unilatéral de payer une somme d'argent doit, dans l'intérêt de la personne qui le souscrit, exprimer de façon non équivoque la connaissance qu'a celle-ci de la nature et de l'étendue de son obligation. En revanche, l'absence de mention manuscrite en toutes lettres du montant de la somme n'affecte pas, à elle seule, la validité d'un tel l'engagement.

9. La seule circonstance que les stipulations ci-dessus reproduites des articles 19 et 20 de la convention de délégation de service public emploient les termes " compensation ", " subvention " ou " participation " n'est pas de nature, à elle seule, à entacher d'équivoque les obligations contractées par les parties, dès lors notamment que ces termes, utilisés indifféremment, se rapportent à un seul et même droit, à savoir celui à l'attribution au profit de la société d'une subvention octroyée par l'office de tourisme, " destinée à couvrir les sujétions de service public imposées ", et ce, " compte tenu du budget prévisionnel présenté par le délégataire et pour éviter toute rupture du principe de continuité du service public ", ainsi qu'il résulte de l'article 19. La condition mise à l'octroi de cette subvention, tenant selon l'article 20 à ce que la société Segelor, " de son propre fait ", ne mette pas fin de manière anticipée au contrat, lequel a été conclu pour une durée de quinze ans, ne comporte aucune ambiguïté telle que, en ne permettant pas de déterminer les cas dans lesquels la subvention doit être remboursée, elle rendrait équivoque l'engagement souscrit par M. A.... Ce dernier, en apposant sa signature sur le contrat, dont l'article 19 stipule expressément qu'il se déclare caution solidaire pour le remboursement de cette subvention, a ainsi exprimé de façon non équivoque la connaissance qu'il avait de la nature et de l'étendue de son obligation. M. A... n'est, par suite, pas fondé à soutenir que l'engagement qu'il a souscrit serait entaché de nullité au regard des principes dont s'inspire l'article 1326 du code civil et que les titres exécutoires émis à son encontre, fondés sur cet engagement, seraient pour ce motif illégaux.

S'agissant des principes dont s'inspirent les articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation :

10. Aux termes de l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction alors en vigueur : " Toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : "En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même" ". Aux termes de l'article L. 341-3 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsque le créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante : "En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec X..., je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement X..." ".

11. Si les collectivités territoriales n'ont pas vocation à être régies par les dispositions des articles L. 341-2 et L. 341-3 précités, un acte de cautionnement conclu entre une personne physique et une collectivité territoriale se trouve néanmoins soumis aux principes dont s'inspirent ces articles, dont il résulte que toute personne physique souscrivant un engagement de caution, le cas échéant solidaire, doit avoir appréhendé la nature, la portée et les conséquences de son engagement.

12. La convention de délégation de service public, dont l'article 19 constitue l'engagement de caution solidaire souscrit par M. A..., ne comporte aucune mention manuscrite portant sur le montant de la somme cautionnée et sur les conséquences juridiques de la solidarité de cet engagement. Cependant, et pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 9, eu égard en outre à sa qualité gérant d'une société et donc de professionnel, M. A... doit être regardé comme ayant appréhendé la nature, la portée et les conséquences de l'obligation contractée. L'appelant n'est, par suite, pas fondé à soutenir que cet engagement serait entaché de nullité au regard des principes dont s'inspirent les articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation et que les titres exécutoires émis à son encontre, fondés sur cet engagement, seraient pour ce motif illégaux.

S'agissant des autres moyens soulevés en première instance :

13. M. A... déclare, dans sa requête d'appel, reprendre l'ensemble des autres moyens déjà invoqués en première instance, tout en s'abstenant de les assortir des précisions indispensables à l'appréciation de leur bien-fondé et sans même les énoncer sommairement. Ce faisant, M. A... ne met pas la cour en mesure de se prononcer sur le point de savoir si c'est à tort que le tribunal administratif les a écartés.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes.

Sur les frais du procès :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'office de tourisme de Caux Vallée de Seine, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. A... réclame au titre des frais du procès.

16. En revanche, il y a lieu, sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de M. A... le paiement de la somme totale de 2 000 euros à verser à l'office de tourisme de Caux Vallée de Seine, au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : M. A... versera à l'office de tourisme de Caux Vallée de Seine une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et à l'office de tourisme de Caux Vallée de Seine.

N°18DA02550 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18DA02550
Date de la décision : 30/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05 Marchés et contrats administratifs. Exécution financière du contrat.


Composition du Tribunal
Président : M. Boulanger
Rapporteur ?: M. Christian Boulanger
Rapporteur public ?: M. Minet
Avocat(s) : SCP JEAN-JACQUES GATINEAU - CAROLE FATTACCINI

Origine de la décision
Date de l'import : 13/09/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-06-30;18da02550 ?
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