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30/06/2020 | FRANCE | N°18DA01901,18DA01931

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 30 juin 2020, 18DA01901,18DA01931


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les sociétés Sofimo et Model ont demandé, à titre principal, au tribunal administratif de Lille d'annuler la délibération du 23 mai 2016 par laquelle le conseil municipal de la commune de Cucq a approuvé le plan local d'urbanisme ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux présenté contre cette délibération. A titre subsidiaire, les sociétés Sofimo et Model ont demandé au tribunal administratif d'annuler la délibération du 23 mai 2016 en tant qu'elle classe certaines parcelles ca

dastrales en zones N et Nl et d'enjoindre à la commune de classer ces parcelles...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les sociétés Sofimo et Model ont demandé, à titre principal, au tribunal administratif de Lille d'annuler la délibération du 23 mai 2016 par laquelle le conseil municipal de la commune de Cucq a approuvé le plan local d'urbanisme ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux présenté contre cette délibération. A titre subsidiaire, les sociétés Sofimo et Model ont demandé au tribunal administratif d'annuler la délibération du 23 mai 2016 en tant qu'elle classe certaines parcelles cadastrales en zones N et Nl et d'enjoindre à la commune de classer ces parcelles en zone UC.

Par un jugement n° 1608957 du 17 juillet 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé la délibération du 23 mai 2016 et la décision implicite rejetant le recours gracieux, en tant que le plan local d'urbanisme approuve l'orientation d'aménagement et de programmation du front de mer, qui prévoit la construction de bâtiments dans la bande littorale de 100 mètres à compter de la limite haute du rivage.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le numéro 18DA01901 les 17 septembre 2018 et 19 juin 2019, la communauté d'agglomération des deux baies en Montreuillois, substituée de plein droit à la commune de Cucq, et représentée par Me F... C..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 17 juillet 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée par les sociétés Sofimo et Model devant le tribunal ;

3°) de mettre à la charge des sociétés Sofimo et Model une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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II. Par une requête, enregistrée sous le numéro 18DA01931 le 19 septembre 2018, les sociétés Sofimo et Model, représentées par Me B... D..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 17 juillet 2018 en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande d'annulation de la délibération du conseil municipal de la commune de Cucq du 23 mai 2016 ;

2°) d'annuler la délibération du 23 mai 2016 ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux présenté contre elle ;

3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération des deux baies en Montreuillois une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Constitution ;

- Charte de l'environnement

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif modifiée par les ordonnances n° 2020-405 du 8 avril 2020, n° 2020-427 du 15 avril 2020 et n° 2020-558 du 13 mai 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Aurélien Gloux-Saliou, premier conseiller,

- les conclusions de M. Charles-Edouard Minet, rapporteur public,

- et les observations de Me B... D..., représentant les sociétés Sofimo et Model, et de Me E... A..., représentant la communauté d'agglomération des deux baies en Montreuillois.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 23 mai 2016, le conseil municipal de la commune de Cucq a approuvé le plan local d'urbanisme. Par un courrier daté du 22 juillet 2016, les sociétés Sofimo et Model, propriétaires de plusieurs parcelles cadastrales sur le territoire de la commune, ont demandé à celle-ci de retirer sa délibération. Le silence gardé par la commune pendant plus de deux mois sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet. Les sociétés Sofimo et Model ont alors saisi le tribunal administratif de Lille d'une demande tendant à l'annulation de la délibération du 23 mai 2016. La communauté d'agglomération des deux baies en Montreuillois, substituée de plein droit à la commune de Cucq en matière de plan local d'urbanisme, d'une part, et les sociétés Sofimo et Model, d'autre part, interjettent appel du jugement du 17 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Lille a partiellement fait droit à la demande des sociétés en annulant la délibération du 23 mai 2016 et la décision implicite rejetant le recours gracieux en tant que le plan local d'urbanisme approuve l'orientation d'aménagement et de programmation du front de mer, qui prévoit la construction de bâtiments dans la bande littorale de 100 mètres à compter de la limite haute du rivage.

Sur la jonction :

2. Les requêtes nos 18DA01901 et 18DA01931 sont dirigées contre le même jugement, concernent la même délibération et soulèvent des litiges entre les mêmes parties. Il y a donc lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". En outre, aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel (...) " et aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux (...) ".

4. Aux termes de l'article 1er de la Charte de l'environnement : " Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ".

5. Les dispositions des articles L. 131-1, L. 131-4 et L. 131-7 du code de l'urbanisme, en ce qu'elles prévoient, d'une part, que les schémas de cohérence territoriale sont compatibles avec les dispositions particulières au littoral et, d'autre part, que les plans locaux d'urbanisme sont compatibles avec les schémas de cohérence territoriale ou, en l'absence de tels schémas, avec les dispositions particulières au littoral, n'ont ni pour objet ni pour effet, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Sofimo et Model, de faire obstacle à l'application de l'article L. 121-16 du même code, qui interdit, en dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sur une bande littorale de 100 mètres à compter de la limite haute du rivage. Le moyen tiré de ce que les dispositions des articles L. 131-1, L. 131-4 et L. 131-7 du code de l'urbanisme, en portant atteinte à un principe d'inconstructibilité dans la bande littorale de 100 mètres, méconnaîtrait le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé proclamé à l'article 1er de la Charte de l'environnement est, dès lors, dépourvu de caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les sociétés Sofimo et Model.

Sur la légalité de la délibération du 23 mai 2016 :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 300-2 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " I. - Font l'objet d'une concertation associant, pendant toute la durée de l'élaboration du projet, les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées : / 1° L'élaboration ou la révision du schéma de cohérence territoriale ou du plan local d'urbanisme (...) / II. - Les objectifs poursuivis et les modalités de la concertation sont précisés par : / (...) 2° L'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement public (...) / Les modalités de la concertation permettent, pendant une durée suffisante et selon des moyens adaptés au regard de l'importance et des caractéristiques du projet, au public d'accéder aux informations relatives au projet et aux avis requis par les dispositions législatives ou réglementaires applicables et de formuler des observations et propositions qui sont enregistrées et conservées par l'autorité compétente (...) / III. - A l'issue de la concertation, l'autorité mentionnée au II en arrête le bilan / (...) IV. - Les documents d'urbanisme et les opérations mentionnées aux I, II et III bis ne sont pas illégaux du seul fait des vices susceptibles d'entacher la concertation, dès lors que les modalités définies au présent article et par la décision ou la délibération prévue au II ont été respectées (...) ".

7. Par une délibération du 27 novembre 2009, le conseil municipal de la commune de Cucq a prescrit l'élaboration d'un plan local d'urbanisme couvrant l'ensemble du territoire communal et a défini les modalités de la concertation prévue à l'article L. 300-2 du code de l'urbanisme, en précisant que les mesures de concertation resteraient applicables jusqu'à l'arrêt du projet par le conseil municipal. Par une délibération du 16 septembre 2013, le conseil municipal a approuvé le bilan de la concertation et arrêté un projet de plan local d'urbanisme destiné à être soumis aux personnes publiques associées à son élaboration ainsi qu'à enquête publique. Si les sociétés Sofimo et Model soutiennent que le projet a été modifié par la suite, que le conseil municipal, par une délibération du 29 janvier 2015, a décidé d'arrêter un nouveau projet et que la concertation aurait dû, de ce fait, porter également sur le projet modifié, elles se bornent à faire état de six domaines dans lesquels sont intervenues des modifications sans indiquer la nature de ces modifications ni permettre à la cour d'en apprécier l'ampleur. Par suite, elles n'établissent pas que les modifications apportées au projet ayant fait l'objet de la concertation aient porté atteinte à l'économie générale de celui-ci et que de nouvelles mesures de concertation auraient été nécessaires avant que le projet soit à nouveau arrêté par le conseil municipal. En outre, si les sociétés Sofimo et Model soutiennent que la commune a méconnu les modalités de la concertation définies par la délibération du 27 novembre 2009 en ne poursuivant pas celle-ci jusqu'à l'arrêt définitif du projet le 29 janvier 2015, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette circonstance ait pu influer sur le sens de la délibération en litige, ni qu'elle ait privé le public d'une garantie, dès lors que la concertation s'est déroulée pendant près de quatre ans conformément aux modalités prévues par le conseil municipal. Le moyen tiré de l'irrégularité de la concertation doit donc être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 123-9 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " (...) le conseil municipal arrête le projet de plan local d'urbanisme. Celui-ci est alors soumis pour avis aux personnes publiques associées à son élaboration ainsi que, à leur demande, aux communes limitrophes, aux établissements publics de coopération intercommunale directement intéressés, à la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers prévue à l'article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime, ainsi qu'à l'établissement public chargé d'un schéma de cohérence territoriale dont la commune est limitrophe, lorsqu'elle n'est pas couverte par un tel schéma. Le projet de plan local d'urbanisme tenant lieu de programme local de l'habitat est également soumis pour avis au comité régional de l'habitat et de l'hébergement prévu à l'article L. 364-1 du code de la construction et de l'habitation. Ces personnes et cette commission donnent un avis dans les limites de leurs compétences propres, au plus tard trois mois après transmission du projet de plan ; à défaut, ces avis sont réputés favorables ". En vertu de l'article L. 123-7 du même code, dans sa rédaction applicable en l'espèce, les services de l'Etat peuvent être associés à l'élaboration du plan local d'urbanisme. Selon l'article L. 123-10 du code, dans sa rédaction applicable en l'espèce, le projet de plan local d'urbanisme est soumis à enquête publique, le dossier soumis à l'enquête comprenant, en annexe, les avis des personnes publiques consultées. Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'il appartient à une commune souhaitant modifier son projet de plan local d'urbanisme avant l'ouverture de l'enquête publique, notamment pour tenir compte de l'avis rendu par une personne publique associée à son élaboration, de consulter à nouveau l'ensemble des personnes publiques associées, afin que le dossier soumis à l'enquête publique comporte des avis correspondant au projet modifié. Toutefois, l'omission de cette nouvelle consultation n'est de nature à vicier la procédure et à entacher d'illégalité la décision prise à l'issue de l'enquête publique que si elle a pu avoir pour effet de nuire à l'information du public ou si elle a été de nature à exercer une influence sur cette décision.

9. Par la délibération du 29 janvier 2015 mentionnée au point 7 du présent arrêt, le conseil municipal de la commune de Cucq a arrêté le projet de plan local d'urbanisme, qui a été adressé dans cet état pour avis aux personnes publiques associées à son élaboration puis, du 18 janvier au 17 février 2016, soumis à enquête publique. A supposer établie l'allégation des sociétés Sofimo et Model selon laquelle la commune aurait soumis à enquête publique un projet modifié par rapport à celui arrêté le 29 janvier 2015 afin de tenir compte des avis émis par certaines personnes publiques consultées, il ressort des pièces du dossier que le projet soumis à l'enquête était accompagné d'un dossier intitulé " bilan des consultations des personnes publiques associées ", qui contenait, d'une part, l'ensemble des avis émis par ces personnes, dans le texte desquels avaient été insérés des commentaires de la commission chargée de l'urbanisme au sein du conseil municipal précisant la manière dont les recommandations formulées seraient prises en compte et le projet, le cas échéant, amendé en conséquence, et, d'autre part, différents documents composant le projet, notamment les orientations d'aménagement et de programmation, le règlement et le zonage, dans une version portant la mention " document intégrant les remarques des personnes publiques associées ". D'une manière générale, ce bilan des consultations, lu en regard du projet, a permis au public de prendre connaissance du projet tel qu'il avait été soumis aux personnes publiques tout en étant informé des modifications envisagées pour tenir compte de leur avis. S'agissant plus particulièrement de la création d'un sous-secteur Nl au sein de la zone N, le bilan comportait une version actualisée du projet de règlement faisant apparaître les règles plus strictes applicables à ce sous-secteur, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Sofimo et Model. De même, s'agissant de l'orientation d'aménagement et de programmation du front de mer, le bilan expliquait le reclassement en zone N de parcelles initialement classées en zone UA. Dans ces conditions, l'absence de nouvelle consultation, avant l'enquête publique, des personnes publiques associées à l'élaboration du plan ne peut être regardée comme ayant nui à l'information du public ou influencé la décision finalement prise par le conseil municipal sur le projet. En outre, la commune n'était pas tenue, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Sofimo et Model, de saisir à nouveau les personnes publiques pour leur permettre d'apprécier si leurs recommandations avaient été prises en compte de manière satisfaisante. Le moyen tiré du vice entachant la consultation des personnes publiques doit donc être écarté.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 121-23 du code de l'urbanisme : " Les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. / Un décret fixe la liste des espaces et milieux à préserver, comportant notamment, en fonction de l'intérêt écologique qu'ils présentent, les dunes et les landes côtières, les plages et lidos, les forêts et zones boisées côtières, les îlots inhabités, les parties naturelles des estuaires, des rias ou abers et des caps, les marais, les vasières, les zones humides et milieux temporairement immergés ainsi que les zones de repos, de nidification et de gagnage de l'avifaune désignée par la directive 79/409 CEE du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages ".

11. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport de présentation et de l'évaluation environnementale du plan local d'urbanisme ainsi que des photographies produites par les parties, que les parcelles cadastrales nos 80, 220 et 221 ainsi que les moitiés sud des parcelles nos 81 et 83 font partie d'un ensemble de pâtures humides, bocagères ou boisées, encore dépourvues de constructions et constituant les vestiges des prairies communales entourant le bourg de Cucq. Ces parcelles s'avèrent, par ailleurs, incluses dans une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique de type I dite " prairies humides péri-urbaines de Cucq ", au sein de laquelle ont été notamment recensées sept espèces végétales protégées à l'échelle régionale, dont le blysme comprimé menacé d'extinction dans la région, ainsi que six espèces animales également protégées, dont le traquet motteux observable dans les prairies telles que celles formant les parcelles. La circonstance que ces parcelles sont éloignées du littoral de plus de 3 kilomètres est, par elle-même, sans incidence sur le litige, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Sofimo et Model, dès lors que l'article L. 121-23 du code de l'urbanisme est applicable à tout terrain situé sur le territoire d'une commune littorale et présentant les caractéristiques définies à cet article, que le terrain soit ou non situé à proximité du rivage. Si les sociétés Sofimo et Model font valoir que certaines parcelles jouxtent des terrains bâtis, sont bordées par la route départementale n° 940 ou bénéficient de raccordements à la voirie et aux réseaux publics, ces éléments ne suffisent pas, en l'espèce, à les faire regarder comme des espaces urbanisés. Les sociétés requérantes ne peuvent utilement se prévaloir du fait que le maire de Cucq avait accordé à la société Model, le 14 janvier 2002, un permis de construire quarante-huit logements sur certaines parcelles à la faveur du zonage alors en vigueur, dès lors que les auteurs d'un plan local d'urbanisme ne sont pas liés, pour déterminer l'affectation future des divers secteurs, par les modalités existantes d'utilisation des sols, dont ils peuvent prévoir la modification dans l'intérêt de l'urbanisme. Si la cour administrative d'appel de Douai avait jugé, par un arrêt n° 04DA00213 du 3 novembre 2005 rendu à l'occasion d'un litige portant sur ce permis de construire, que les parcelles formant le terrain d'assiette du permis ne pouvaient être regardées, à la date de délivrance du permis, comme des espaces préservés au sens de l'article L. 146-6 du code de l'urbanisme, devenu l'article L. 121-23 cité ci-dessus, l'objet du litige était distinct de celui tranché par le présent arrêt et les circonstances de fait, eu égard notamment aux nouvelles études ayant conduit à la création de la zone d'intérêt écologique, faunistique et floristique en 2010, ont depuis lors changé. Dans ces conditions, les parcelles cadastrales nos 80, 220 et 221 ainsi que les moitiés sud des parcelles nos 81 et 83 peuvent désormais être regardées comme participant d'un paysage caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral. Par suite, leur classement dans le plan local d'urbanisme comme des espaces préservés au titre de l'article L. 121-23 du code de l'urbanisme n'a pas méconnu ces dispositions.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 151-24 du code de l'urbanisme : " Les zones naturelles et forestières sont dites " zones N ". Peuvent être classés en zone naturelle et forestière, les secteurs de la commune, équipés ou non, à protéger en raison : / 1° Soit de la qualité des sites, milieux et espaces naturels, des paysages et de leur intérêt, notamment du point de vue esthétique, historique ou écologique ; / 2° Soit de l'existence d'une exploitation forestière ; / 3° Soit de leur caractère d'espaces naturels ; / 4° Soit de la nécessité de préserver ou restaurer les ressources naturelles ; / 5° Soit de la nécessité de prévenir les risques notamment d'expansion des crues ".

13. Il ressort des pièces du dossier que les parcelles cadastrales nos 77, 136 et 214 à 219 ainsi que la moitié nord des parcelles nos 81 et 83 sont, pour l'essentiel, des terrains boisés auxquels s'ajoute un morceau de prairie. Ces parcelles sont voisines de celles décrites au point 11 du présent arrêt et sont également incluses dans la zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique de type I dite " prairies humides péri-urbaines de Cucq ". Bien que certaines d'entre elles, viabilisées, jouxtent des terrains bâtis, soient bordées par la route départementale ou aient été comprises dans le terrain d'assiette du permis de construire accordé à la société Model en 2002, leur soustraction, pour l'avenir, à l'urbanisation répond à plusieurs objectifs précisés dans le plan d'aménagement et de développement durable, tels que la conservation du paysage de bocage ou l'existence de coupures d'urbanisation protégeant la diversité écologique des milieux. Dans ces conditions, le classement des parcelles concernées en zone naturelle ne repose pas sur des faits matériellement inexacts ni n'est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

14. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme : " En dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de 100 mètres à compter de la limite haute du rivage (...) ". Il résulte de ces dispositions que ne peuvent déroger à l'interdiction de toute construction sur la bande littorale de 100 mètres que les projets réalisés dans des espaces urbanisés, caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, à la condition qu'ils n'entraînent pas une densification significative de ces espaces.

15. Dans le plan local d'urbanisme, l'orientation d'aménagement et de programmation du front de mer prévoit la construction de bâtiments sur des terrains, classés en zone UAa, empiétant sur la bande littorale de 100 mètres à compter de la limite haute du rivage. Il ressort cependant des pièces du dossier que ces terrains, bordés pour l'essentiel à l'est par une place certes non bâtie mais pavée, constituent, au sein d'un demi-cercle ceinturé par l'avenue de Paris, l'aboutissement de l'agglomération de Stella-Plage, qu'ils sont prolongés, au sud, par deux îlots urbains densément construits de bâtiments pouvant comporter jusqu'à quatre étages, qu'ils sont séparés de la plage, à l'ouest, par une avenue goudronnée comportant un terre-plein central et plusieurs rangées de places de stationnement et que, si la partie centrale de ces terrains demeure, à l'exception de trois bâtiments, à l'état de friche, leur limite nord est occupée par un vaste ensemble immobilier de type R + 7 étages. Eu égard à ce nombre et à cette densité significatifs de constructions, le projet décrit dans l'orientation d'aménagement et de programmation doit être regardé comme situé dans un espace déjà urbanisé, dont il a pour but d'achever et d'unifier le front bâti. En outre, si ce projet envisage la création de 320 nouveaux logements pour environ 30 000 mètres carrés de plancher, cette densité apparaît comparable à celle des habitations situées au sud ainsi qu'à celle de l'ensemble immobilier situé au nord des terrains devant accueillir le projet. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que seule la partie ouest du projet empiètera sur la bande littorale, tandis que l'orientation d'aménagement et de programmation du front de mer précise, d'une part, que les constructions seront implantées de manière à créer des îlots urbains ouverts, ménageant des vues sur la mer depuis les voies publiques qui les desservent à l'est et permettant l'aménagement d'espaces verts entre les bâtiments et, d'autre part, que la hauteur des constructions sera limitée à R + 2 + attique, sauf à l'abord de l'ensemble immobilier situé au nord, afin de soigner la transition avec cet ensemble de plus grande hauteur, cette dérogation devant d'ailleurs être compensée par une emprise au sol plus réduite ou une diminution de la hauteur d'autres bâtiments. Enfin, les espaces publics, classés en zone naturelle, entourant les terrains destinés à être construits ont vocation, selon l'orientation d'aménagement et de programmation, à être aménagés en espaces paysagers permettant de doubler, dans la superficie concernée par l'orientation, la surface occupée par des espaces verts et perméables. Dans ces conditions, le projet de construction décrit dans l'orientation d'aménagement et de programmation n'est pas de nature, en l'espèce, à entraîner une densification significative des espaces dans lesquels il s'insère. Par suite, le plan local d'urbanisme, en tant qu'il prévoit, par la combinaison de son zonage avec l'orientation d'aménagement et de programmation du front de mer, le projet de construction décrit dans cette orientation, ne méconnaît pas, en tout état de cause, les dispositions de l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté d'agglomération des deux baies en Montreuillois est fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 17 juillet 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé la délibération du 23 mai 2016 du conseil municipal de la commune de Cucq et la décision implicite rejetant le recours gracieux présenté contre cette délibération, en tant que le plan local d'urbanisme prévoit l'implantation du projet d'orientation d'aménagement et de programmation du front de mer dans la bande littorale de 100 mètres à compter de la limite haute du rivage. Il résulte également des points précédents, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête de la société Sofimo, que ni cette société ni la société Model ne sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, le tribunal administratif a rejeté le surplus de leur demande tendant à l'annulation de la délibération du 23 mai 2016 et de la décision implicite rejetant leur recours gracieux.

Sur les frais de l'instance :

17. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge des sociétés Sofimo et Model une somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés en cours d'instance par la communauté d'agglomération des deux baies en Montreuillois. Ce même article fait en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la communauté d'agglomération des deux baies en Montreuillois, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par les sociétés Sofimo et Model.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 1608957 du tribunal administratif de Lille du 17 juillet 2018 sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par les sociétés Sofimo et Model devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : Les sociétés Sofimo et Model verseront ensemble à la communauté d'agglomération des deux baies en Montreuillois une somme globale de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération des deux baies en Montreuillois ainsi qu'aux sociétés Sofimo et Model.

Nos18DA01901,18DA01931 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18DA01901,18DA01931
Date de la décision : 30/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-01-01 Urbanisme et aménagement du territoire. Plans d'aménagement et d'urbanisme. Plans d`occupation des sols (POS) et plans locaux d'urbanisme (PLU).


Composition du Tribunal
Président : M. Boulanger
Rapporteur ?: M. Aurélien Gloux-Saliou
Rapporteur public ?: M. Minet
Avocat(s) : SCP SARTORIO-LONQUEUE-SAGALOVITSCH et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-06-30;18da01901.18da01931 ?
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