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25/06/2020 | FRANCE | N°19DA01970

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 25 juin 2020, 19DA01970


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Dupont Restauration a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler ou, à défaut, de résilier le marché public de restauration collective conclu le 5 décembre 2016 entre la commune d'Hénin-Beaumont et la société Elior, de condamner la commune d'Hénin-Beaumont à lui verser la somme de 79 647,45 euros hors taxes, assortie des intérêts au taux légal courant à compter de la date à laquelle le marché précité a été conclu, et de la capitalisation de ces intérêts et de mettre à

la charge de la commune d'Hénin-Beaumont une somme de 10 000 euros au titre de l'article...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Dupont Restauration a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler ou, à défaut, de résilier le marché public de restauration collective conclu le 5 décembre 2016 entre la commune d'Hénin-Beaumont et la société Elior, de condamner la commune d'Hénin-Beaumont à lui verser la somme de 79 647,45 euros hors taxes, assortie des intérêts au taux légal courant à compter de la date à laquelle le marché précité a été conclu, et de la capitalisation de ces intérêts et de mettre à la charge de la commune d'Hénin-Beaumont une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1700511 du 18 juin 2019 le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 août 2019 et 18 mars 2020, la société Dupont Restauration, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler ou, à défaut, de résilier le marché public de restauration collective conclu le 5 décembre 2016 entre la commune d'Hénin-Beaumont et la société Hélior ;

3°) de condamner la commune d'Hénin-Beaumont à lui verser la somme de 108 362 euros hors taxes, soit 34 459 euros par an et ce, sur une période de 37 mois, à laquelle doit être ajoutée une somme de 2 114 euros au titre des frais exposés pour présenter l'offre, assortie des intérêts au taux légal courant à compter de la date à laquelle le marché précité a été conclu, et de la capitalisation de ces intérêts ;

4°) de mettre à la charge de la commune d'Hénin-Beaumont une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président assesseur ;

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public ;

- et les observations de Me C... D..., représentant la société Dupont Restauration, et de Me A... B..., représentant la commune d'Hénin-Beaumont.

Considérant ce qui suit :

1. La commune d'Hénin-Beaumont a initié la passation, en procédure adaptée, d'un marché public de services portant sur la fourniture et la livraison de repas en liaison froide ainsi que sur des prestations diverses destinées aux restaurants scolaires municipaux, a l'accueil collectif de mineurs sans hébergement, au centre communal d'action sociale, ainsi qu'aux foyers et services de portage à domicile de la ville par un avis d'appel public à la concurrence publié le 3 août 2016 au bulletin officiel des annonces des marchés publics. Par un courrier du 16 novembre 2016, la commune d'Hénin-Beaumont a notifié à la société Dupont Restauration, qui s'était portée candidate, le rejet de son offre, classée deuxième, en l'informant également de ce que le marché avait été attribué à la société Elior. Par un courrier du 17 novembre 2016, la société Dupont Restauration a demandé la communication des motifs du rejet de son offre ainsi que divers documents, parmi lesquels le rapport de présentation des offres, le procès-verbal d'analyse des offres ainsi que les offres de prix des autres candidats. La commune d'Hénin-Beaumont a conclu le marché, le 5 décembre 2016, avec la société Elior. La société Dupont Restauration a alors saisi le 18 janvier 2017 le tribunal administratif de Lille d'une demande tendant à l'annulation ou, à défaut, à la résiliation, de ce marché ainsi qu'à la condamnation de la commune d'Hénin-Beaumont à lui verser la somme de 79 647,45 euros hors taxes au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de son éviction irrégulière. Par un jugement du 18 juin 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de la société Dupont Restauration tendant à l'annulation de ce marché et à la condamnation de la commune d'Hénin-Beaumont à l'indemniser du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière. La société Dupont Restauration relève appel de ce jugement.

Sur la validité du contrat :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Dans ce cadre, le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

3. Il appartient au juge du contrat, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

4. Tout d'abord, aux termes du I de l'article 99 alors en vigueur, du décret du 25 mars 2016 susvisé : " Pour les marchés publics passés selon une procédure adaptée, l'acheteur, dès qu'il décide de rejeter une candidature ou une offre, notifie à chaque candidat ou soumissionnaire concerné le rejet de sa candidature ou de son offre. / Il communique aux candidats et aux soumissionnaires qui en font la demande écrite les motifs du rejet de leur candidature ou de leur offre dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette demande. Si le soumissionnaire a vu son offre écartée alors qu'elle n'était ni inappropriée ni irrégulière ni inacceptable l'acheteur lui communique, en outre, les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ainsi que le nom de l'attributaire du marché public ". L'obligation pour le pouvoir adjudicateur de respecter un délai de suspension entre la notification du rejet de l'offre d'un candidat et la signature du marché vise uniquement à permettre aux candidats évincés de saisir utilement le juge du référé précontractuel. Par suite, les vices tenant à au non-respect de ce délai de suspension, qui ne sont au demeurant pas en rapport direct avec l'éviction de l'appelante, n'affectent pas la validité du contrat et ne sauraient, en conséquence, justifier son annulation ou sa résiliation.

5. Ensuite, la société Dupont Restauration fait valoir qu'au regard de son montant, la passation du marché public en litige aurait dû être organisée suivant une procédure formalisée, et non suivant une procédure adaptée avec négociation, et être ainsi initiée par la publication d'un avis au journal officiel de l'Union européenne. Il convient à cet égard de ne pas confondre, d'une part, le recours à la procédure adaptée, qui est autorisé en vertu en application de l'article 28 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 alors en vigueur, quelle que soit la valeur estimée du besoin, pour les marchés publics ayant pour objet des services sociaux et autres services spécifiques, comme c'est le cas du marché en cause, d'autre part, les formalités de publicité auxquelles la passation de ce marché est soumise, ce second point étant régi par les dispositions de l'article 35 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 alors en vigueur qui prévoient que : " I. - Pour les marchés publics de services sociaux et autres services spécifiques mentionnés à l'article 28 : / 1° Lorsque la valeur estimée du besoin est inférieure au seuil européen applicable à ces marchés publics publié au Journal officiel de la République française, l'acheteur définit librement les mesures de publicité adaptées en fonction des caractéristiques du marché public, notamment le montant et la nature des services en cause ; 2° Lorsque la valeur estimée du besoin est égale ou supérieure au seuil européen applicable à ces marchés publics publié au Journal officiel de la République française, l'acheteur publie un avis de marché, un avis de pré-information, un avis périodique indicatif ou un avis sur l'existence d'un système de qualification conforme au modèle fixé par le règlement de la Commission européenne établissant les formulaires standard pour la publication d'avis dans le cadre de la passation de marchés publics. (...) ".

6. Ainsi, lorsque la valeur estimée du marché public est supérieure ou égale au seuil européen mentionné, les avis d'appel à la concurrence doivent être publiés au journal officiel de l'Union européenne. L'avis du 27 mars 2016 relatif aux contrats de la commande publique, ayant pour objet des services sociaux et autres services spécifiques, fixe ce seuil à 750 000 euros hors taxes pour les pouvoirs adjudicateurs. L'invocation du seuil n'est donc ici pertinente que pour déterminer les formalités de publicité devant être accomplies et non pour la détermination de la procédure adaptée ou formalisée à suivre, puisque, compte tenu de la nature du marché, le pouvoir adjudicateur pouvait choisir de recourir à la procédure adaptée quelle que soit la valeur estimée du besoin. Le moyen est donc en tout état de cause inopérant.

7. En outre, l'absence de publication au journal officiel de l'Union européenne des avis de marché n'a aucun lien avec l'éviction de la société Dupont Restauration, de sorte que le moyen soulevé est à ce titre inopérant. En tout état de cause, le détail estimatif et quantitatif de ses besoins établi par la commune, qui procède d'une évaluation sincère et raisonnable de ses besoins quand bien même l'offre finalement retenue était d'un montant supérieur à ce seuil, le montant global estimé d'élevait alors à la somme de 730 671 euros hors taxes, soit à un montant inférieur au seuil de 750 000 hors taxes dont le dépassement aurait conduit à la nécessité d'une publicité européenne, de sorte que le moyen manque également en fait.

8. Enfin, si l'absence d'allotissement a pu avoir une influence sur le contenu des offres et leur sélection, comme le fait valoir la société Dupont Restauration, elle se borne encore en cause d'appel à soutenir qu'elle aurait nécessairement obtenu au moins un lot, si le marché public en litige avait été alloti. Elle précise que la note de 0 qu'elle a obtenue sur la question de la formation des agents a dévalorisé son offre, sans démontrer pour autant que la formation des agents aurait justifié, à elle seule, un lot distinct des prestations de confection des repas et qu'elle aurait été défavorisée par rapport à ses concurrents, précisément à cause de l'absence d'allotissement, alors qu'aucune des questions qu'elle a posées au pouvoir adjudicateur au moment de la constitution des offres n'a porté sur cette absence. Dans ces conditions, en se bornant à soutenir qu'elle aurait nécessairement obtenu au moins un lot si le marché public en litige avait été alloti, la société requérante n'apporte aucun élément suffisamment précis et circonstancié de nature à établir que le défaut d'allotissement du contrat serait en rapport direct avec son éviction, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Lille.

Sur les conclusions indemnitaires :

9. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et les préjudices dont le candidat demande l'indemnisation. Il s'ensuit que lorsque l'irrégularité ayant affecté la procédure de passation n'a pas été la cause directe de l'éviction du candidat, il n'y a pas de lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à raison de son éviction. Sa demande de réparation des préjudices allégués ne peut alors qu'être rejetée.

10. Compte tenu de de ce qui a été dit précédemment, la société Dupont Restauration, n'a établi aucune irrégularité dans la procédure de passation du marché et aucune des irrégularités invoquées n'est la cause directe de son éviction. Il ne saurait donc y avoir de lien direct de causalité entre les fautes qui résulteraient de ces irrégularités supposées et les préjudices invoqués par la société appelante à raison de son éviction. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la commune d'Hénin-Beaumont, sa demande de réparation des préjudices allégués ne peut qu'être rejetée.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Dupont Restauration n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 18 juin 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune d'Hénin-Beaumont, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Dupont Restauration le versement à la commune d'Hénin-Beaumont d'une somme de 1 500 euros au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Dupont Restauration est rejetée.

Article 2 : La société Dupont Restauration versera à la commune d'Hénin Beaumont une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Dupont Restauration, à la commune d'Hénin Beaumont et à la société Elior.

6

N° 19DA01970


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA01970
Date de la décision : 25/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02 Marchés et contrats administratifs. - Formation des contrats et marchés.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : SELARL REDLINK

Origine de la décision
Date de l'import : 18/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-06-25;19da01970 ?
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