Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser une somme globale de 457 100 euros, assorties des intérêts moratoires à compter de sa demande préalable, en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision de refus de protection fonctionnelle, de celle du 7 juin 2010 par laquelle il a été mis fin à ses fonctions de délégué du préfet et celle du 3 septembre 2010 par laquelle il a été réintégré dans son administration d'origine.
Par un jugement n°1502790 du 17 juillet 2018, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 3 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2015, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 septembre 2018 et 12 décembre 2019, M. A..., représenté par la SCP Gros et Hicter, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à sa demande ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 457 000 euros ;
3°) de rejeter les conclusions incidentes du ministre de l'intérieur ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 ;
- l'ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président-rapporteur,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- les observations de Me C... D..., représentant M. A....
Une note en délibéré présentée par la SCP Gros et Hicter pour M. A... a été enregistrée le 12 juin 2020.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., attaché d'administration de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur au rectorat de l'académie de Lille, a été mis à disposition par arrêté du ministre de l'éducation nationale du 18 décembre 2009 du ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, auprès du préfet du Nord, en qualité de délégué du préfet, pour la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011. Cette mise à disposition a donné lieu à une convention entre le ministre du logement et de la ville, représenté par le préfet du Nord, et le ministre de l'éducation nationale, représenté par le recteur de l'académie de Lille. Par un avenant du 7 juin 2010 à cette convention, il a été mis fin aux fonctions de M. A... en qualité de délégué du préfet. Par un arrêté du 3 septembre 2010 du recteur de l'académie de Lille, il a été réintégré dans son administration d'origine. Par un courrier du 28 mars 2013, M. A... a présenté, auprès du recteur de l'académie de Lille, une demande de protection fonctionnelle pour des faits le concernant survenus en 2010. Le recteur a ensuite transmis cette demande au préfet du Nord, qui l'a implicitement rejetée. Après avoir adressé au préfet du Nord une demande indemnitaire préalable, qui a été également été implicitement rejetée, M. A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 457 100 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité du refus de protection fonctionnelle, de l'illégalité des décisions des 7 juin et 3 septembre 2010 et aussi en raison de la faute commise dans l'organisation des services de la préfecture du Nord. M. A... relève appel du jugement du 17 juillet 2018 en tant que le tribunal administratif de Lille a limité la condamnation de l'Etat à la somme de 3 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2015. Le ministre de l'intérieur fait également appel de ce jugement par la voie de l'appel incident.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Lorsqu'il donne satisfaction au demandeur, le juge n'est tenu de se prononcer que sur le seul moyen qui justifie la solution qu'il adopte. Dans le cadre d'un recours en responsabilité, le défaut de réponse à l'une des fautes alléguées ou à l'un des cas d'ouverture de la responsabilité invoqué entache le jugement d'irrégularité si le moyen sur lequel il n'a pas été statué aurait conduit, s'il avait été fondé, à une indemnisation du préjudice plus importante que celle résultant du ou des moyens sur lesquels il a été statué.
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance et des visas du jugement attaqué, que le tribunal administratif a expressément pris en compte au point 4 l'argument tiré du défaut de convention de prêt permettant de comprendre les conditions d'utilisation du matériel informatique remis. S'il est vrai, comme le soutient M. A..., qu'il ne l'a pas expressément écarté, il ne s'agissait toutefois que d'un argument au soutien de la démonstration de la même faute, commise par l'Etat dans l'organisation de ses services, invoquée dans le cadre des conclusions tendant à ce que la responsabilité de l'Etat soit engagée à raison de cette faute. Ainsi, il ne s'agissait pas d'une faute distincte. Le premier juge n'était pas tenu de répondre à tous les arguments invoqués au soutien d'un même moyen, tiré des manquements dans l'organisation du service. Le tribunal administratif ayant répondu, par suite, à la faute alléguée, tenant à un défaut d'organisation du service, le moyen soulevé par M. A... tiré de ce que le jugement serait entaché d'une omission à statuer ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'illégalité fautive de la décision implicite de refus de protection fonctionnelle :
4. Par un jugement du 21 mars 2017, devenu définitif et revêtu de l'autorité absolue de la chose jugée, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision implicite de refus de protection fonctionnelle du préfet du Nord au motif qu'il s'était estimé à tort incompétent pour se prononcer sur cette demande de protection fonctionnelle. Les premiers juges n'ont pas, en revanche, statué sur le bien-fondé de ce refus de protection fonctionnelle.
5. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative entachée d'une incompétence négative, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente. Dans le cas où il juge qu'une même décision aurait été prise par l'autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice d'incompétence négative qui entachait la décision administrative illégale.
6. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 applicable en l'espèce : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire. / Lorsqu'un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d'attribution n'a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions n'est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui. / La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. / La collectivité publique est tenue d'accorder sa protection au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle ". Les dispositions de l'alinéa 3 de cet article établissent à la charge de la collectivité publique et au profit des fonctionnaires, lorsqu'ils ont été victimes d'attaques à l'occasion de leurs fonctions, sans qu'une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général.
7. Il résulte de l'instruction, et notamment de sa demande datée du 28 mars 2013 que M. A... a sollicité la protection fonctionnelle en raison des affirmations diffamatoires contenues, d'après lui, dans un courrier électronique que lui a adressé le secrétaire général de la préfecture du Nord le 21 mai 2010, qui l'accuserait d'avoir navigué sur un site à caractère pédophile et/ou pédopornographique. Il soutient également avoir ainsi subi une attaque violente. Il ressort toutefois des termes exacts de ce courrier électronique que le secrétaire général lui a demandé " de fournir par écrit et par retour les motifs qui l'ont conduit à naviguer sur un site relevant de la nomenclature de sécurité : site pédophile, pornographique et autres dont l'accès est totalement prohibé, s'agissant du site Beaucharm. ". Le secrétaire général de la préfecture, dont le courrier ne comportait aucune mention diffamatoire, faisait ainsi référence à une nomenclature de sécurité qui prohibe l'accès à des sites pédophiles ou pédopornographique, comme à des sites pornographiques, tels que le site dénommé en réalité " Boncharme ", qui ne sont pas de même nature, mais relèvent aussi clairement de cette nomenclature. Pour justifier le refus de protection fonctionnelle, le ministre de l'intérieur soutient que les faits reprochés à M. A..., à savoir s'être connecté avec son ordinateur professionnel sur un site pornographique, constituent une faute personnelle de nature à faire obstacle à l'octroi de la protection fonctionnelle. Il résulte aussi de l'instruction et notamment du relevé d'incident établi le 9 mars 2010 par le centre national de gestion et d'expertise de la sécurité des systèmes d'information, qu'une machine du réseau de la préfecture du Nord tentait des connexions non autorisées sur une adresse IP externe, correspondant à un site d'éditeur d'antivirus McAfee. Les recherches effectuées par le service informatique de la préfecture ont révélé que la machine en question correspondait à l'ordinateur portable de M. A..., qui contenait un logiciel espion installé lors d'une connexion internet et que l'adresse IP conduisait à ce site interdit aux mineurs, intitulé Boncharme. Si le rapport d'examen technique du 30 mai 2014 des services de police, établi dans le cadre de l'enquête sur une suspicion de téléchargement et de détention de fichiers pédopornographiques, fait d'ailleurs état de ce qu'aucun élément de l'ordinateur analysé n'est susceptible d'intéresser cette enquête, il ne permet pas toutefois de remettre en cause le fait que l'ordinateur de M. A... s'est connecté à un site de nature pornographique, dont l'accès est prohibé. Compte tenu de ces éléments, mettant en cause l'utilisation par M. A... de son ordinateur professionnel pour des fins autres que professionnelles, les faits qu'il dénonce comme constituant une diffamation et une attaque à son encontre résultent exclusivement de cette faute personnelle, qui lui est imputable. Ainsi, au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, la même décision de refus de protection fonctionnelle aurait pu légalement intervenir et aurait été prise par l'autorité compétente, le préfet du Nord, pour ce motif. Dès lors, les préjudices allégués ne peuvent alors être regardés comme la conséquence directe du vice d'incompétence négative qui entachait la décision administrative illégale de refus de protection fonctionnelle. Par suite, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 3 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision implicite de refus de protection fonctionnelle.
En ce qui concerne l'illégalité fautive des décisions du 7 juin et 3 septembre 2010 :
8. Il résulte de l'instruction que M. A... a demandé, par un courrier du 31 mai 2010, qu'il soit mis fin à sa mise à disposition en tant que délégué du préfet à compter du 1er septembre 2010. Le 7 juin 2010, un avenant a été signé entre le préfet du Nord et le recteur de l'académie de Lille pour mettre fin à cette mise à disposition conformément à l'article 6 de la convention de mise à disposition. M. A... soutient que cette fin anticipée de sa mise à disposition révèle une sanction disciplinaire déguisée et qu'il a été contraint par le corps préfectoral de présenter une demande de fin de mise à disposition. Toutefois, en dépit des circonstances dans lesquelles cette fin de mise à disposition anticipée a été réalisée, M. A... n'établit pas de manière probante que la décision de mettre fin à cette disposition n'aurait pas résulté de sa volonté, conformément à sa demande en ce sens formulée par courrier du 31 mai 2010 mais uniquement de celle de sa hiérarchie comme il le soutient. Par suite, la décision du 7 juin 2010 mettant fin de manière anticipée à sa mise à disposition n'est entachée d'aucune illégalité fautive. Les conclusions indemnitaires présentées sur ce fondement ne peuvent qu'être rejetées.
9. M. A... soutient également que l'arrêté du 3 septembre 2010 du recteur de Lille le réintégrant et l'affectant à l'inspection académique du Nord et non au rectorat, où il était précédemment affecté avant sa mise à disposition, révèlerait également une sanction disciplinaire déguisée. Toutefois, son administration d'origine, qui n'était pas tenue de réintégrer dans ses précédentes fonctions, n'a fait que le réaffecter dans un emploi que son grade lui donne vocation à occuper. Par suite, ses conclusions indemnitaires présentées sur ce fondement doivent aussi être rejetées.
En ce qui concerne la faute dans l'organisation du service :
10. M. A... soutient qu'il est vu remettre, lors de sa prise de fonctions début 2009, un ordinateur portable sans convention de prêt indiquant précisément la programmation de son ordinateur, ni de charte informatique. Il fait valoir que les services de la préfecture ont d'ailleurs tenté de régulariser a posteriori la situation en lui demandant de signer le 7 juin 2010 une convention de prêt. La configuration de l'appareil ainsi que le manque d'information l'ont ainsi, selon lui, exposé à un risque considérable en matière de virus. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que les éléments avancés par le requérant seraient à l'origine de l'intrusion du logiciel espion retrouvé dans son ordinateur, lequel a causé de sérieuses difficultés dans le fonctionnement du réseau informatique de la préfecture, ni de l'antivirus grand public installé sur son ordinateur. Si le courriel du centre national de gestion et d'expertise de la sécurité des systèmes d'information relatant l'incident de flux volumineux de connexion vers une adresse externe indique que la cause probable résiderait dans un mauvais paramétrage de l'antivirus, il résulte des recherches opérées que ce mauvais paramétrage est lié au fait qu'un autre antivirus de type grand public était installé sur l'ordinateur de M. A..., rendant inopérant l'antivirus officiel du ministère de l'intérieur. L'agent des services informatiques ayant suivi l'incident en question indique aussi que l'adresse IP externe amène sur un site non professionnel, Boncharme, proposant un lien pour sécuriser sa machine avec un antivirus grand public. Il en déduit qu'un simple clic sur le lien vers l'antivirus proposé sur ce site non professionnel a ainsi pu aboutir à l'installation de ce logiciel non agréé par le ministère. La circonstance qu'aucune convention de prêt n'a été signée dès l'origine, et que la charte informatique concernant l'utilisation de l'ordinateur portable confié à M. A... ne lui pas été personnellement notifiée ne présente pas en soi un caractère fautif de nature à engager la responsabilité de l'Etat, dès lors qu'aucun texte, ou recommandation n'impose cette pratique. Par ailleurs, il appartenait aussi à M. A... de se rapprocher du service informatique de la préfecture en cas de difficultés techniques ou d'installation, notamment avant d'installer sur sa seule initiative, à des fins personnelles, une connexion wifi sur son ordinateur professionnel. Par suite, les conclusions indemnitaires présentées sur le fondement de la responsabilité pour faute dans l'organisation du service doivent être rejetées.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté le surplus de sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Le ministre de l'intérieur est en revanche fondé, par la voie de l'appel incident, à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 3 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2015.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Lille du 17 juillet 2018 est annulé.
Article 2 : La demande indemnitaire fondée sur l'illégalité fautive de la décision de refus de protection fonctionnelle présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille et les conclusions de sa requête d'appel devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
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