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23/06/2020 | FRANCE | N°17DA00840

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation à 3 (ter), 23 juin 2020, 17DA00840


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Rouen de déclarer l'État responsable de l'accident dont il a été victime le 10 septembre 2012 sur l'autoroute A 131, d'ordonner une expertise à fin d'apprécier le préjudice subi et de condamner l'État à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 15 000 euros.

Par un jugement avant dire droit n° 1300612 du 8 juillet 2014, le tribunal administratif de Rouen a déclaré l'État responsable de l'accident et ordonné la réalisation d'une expert

ise médicale.

Au vu de l'expertise rendue le 14 octobre 2014 et complétée le 27 avri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Rouen de déclarer l'État responsable de l'accident dont il a été victime le 10 septembre 2012 sur l'autoroute A 131, d'ordonner une expertise à fin d'apprécier le préjudice subi et de condamner l'État à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 15 000 euros.

Par un jugement avant dire droit n° 1300612 du 8 juillet 2014, le tribunal administratif de Rouen a déclaré l'État responsable de l'accident et ordonné la réalisation d'une expertise médicale.

Au vu de l'expertise rendue le 14 octobre 2014 et complétée le 27 avril 2016, M. D... a finalement demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'État à lui verser une indemnité de 284 976,20 euros en indemnisation de ses préjudices corporel et matériel ainsi qu'à lui verser, en qualité de représentant légal de ses trois enfants mineurs, une somme de 5 000 euros par enfant au titre du préjudice moral de ceux-ci. En outre, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure a demandé au tribunal de condamner l'État à lui payer une somme de 421 818, 56 euros au titre de ses débours ainsi que l'indemnité forfaitaire maximale prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Par un jugement n° 1300612 du 9 mars 2017, le tribunal administratif de Rouen a condamné l'État à verser à M. D... une somme de 104 437,50 euros et, en tant que représentant légal de ses trois enfants mineurs, une somme de 3 000 euros par enfant. Il a également condamné l'État à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure une somme de 171 962,93 euros, assortie de l'intérêt au taux légal à compter du 4 juillet 2016 et de la capitalisation annuelle de cet intérêt. Il a en outre condamné l'État à payer à la caisse les échéances de la rente d'accident du travail versée à M. D... entre le 1er juillet 2016 et le 9 mars 2017 ainsi que les arrérages futurs de cette rente fixée à 10 170,56 euros annuels et devant être actualisée chaque année en application de l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, dans la limite de la somme de 265 379,40 euros. L'État a enfin été condamné à verser une indemnité forfaitaire de 1 055 euros en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 200 euros ont été mis à la charge de l'État.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 mai 2017, 26 septembre 2017, 8 janvier 2018 et 9 avril 2018, la ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement avant-dire-droit du tribunal administratif de Rouen du 8 juillet 2014 ainsi que le jugement au fond du même tribunal du 9 mars 2017 ;

2°) à titre subsidiaire, de réduire les prétentions indemnitaires des requérants à de plus justes proportions.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- l'instruction interministérielle sur la signalisation routière du 22 octobre 1963, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 6 décembre 2011 modifiant l'arrêté du 24 novembre 1967 relatif à la signalisation des routes et des autoroutes ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Aurélien Gloux-Saliou, premier conseiller,

- les conclusions de Mme F... B..., rapporteuse publique,

- et les observations de Me E... A..., représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. Le 10 septembre 2012 vers 9h20, M. C... D..., roulant à motocyclette sur l'autoroute A 131 entre Tancarville et Le Havre, a été victime d'un accident provoqué par la présence sur la chaussée d'un socle de balise verticale de signalisation routière. Par un jugement avant dire droit du 8 juillet 2014, le tribunal administratif de Rouen a admis la responsabilité de l'État dans cet accident survenu sur son domaine public routier et a ordonné la réalisation d'une expertise médicale afin d'apprécier le préjudice subi par M. D.... Par un jugement au fond du 9 mars 2017, le tribunal administratif de Rouen a condamné l'État à verser à M. D... une somme de 104 437,50 euros et, en tant que représentant légal de ses trois enfants mineurs, une somme de 3 000 euros par enfant. Il a également condamné l'État à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure une somme de 171 962,93 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2016 et de la capitalisation annuelle de ces intérêts. Il a en outre condamné l'État à payer à la caisse les échéances de la rente d'accident du travail versée à M. D... entre le 1er juillet 2016 et le 9 mars 2017 ainsi que les arrérages futurs de cette rente fixée à 10 170,56 euros annuels, le montant devant être actualisé chaque année, en application de l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, dans la limite de la somme de 265 379,40 euros. L'État a enfin été condamné à verser une indemnité forfaitaire de 1 055 euros en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 200 euros ont été mis à la charge de l'État. La ministre de la transition écologique et solidaire interjette appel des jugements du tribunal administratif de Rouen des 8 juillet 2014 et 9 mars 2017. Par la voie de l'appel incident, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure demande que les frais exposés au profit de M. D... au titre de la rente d'accident du travail soient remboursés par l'État à la hauteur d'un capital de 250 855,63 euros. M. D... interjette appel incident du jugement attaqué en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes indemnitaires.

Sur la responsabilité :

2. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il impute à cet ouvrage de prouver le lien de causalité entre l'ouvrage et le préjudice. Cette preuve apportée, le maître de l'ouvrage ne peut s'exonérer de sa responsabilité et de l'obligation d'indemniser la victime qu'en prouvant à son tour soit que l'ouvrage était normalement entretenu, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, lors de son accident, M. D..., qui roulait à motocyclette sur l'autoroute A 131, a heurté un socle de balise de signalisation routière temporairement incorporée à la voie publique afin de signaler l'impact d'un précédent accident sur la glissière de sécurité du terre-plein central. Il avait donc, contrairement à ce que soutient la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure, la qualité d'usager de la voie publique.

4. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que deux balises verticales d'alignement, du modèle " K5C " prévu à l'article 122 de l'instruction interministérielle sur la signalisation routière du 22 octobre 1963, avaient été installées, près du point de repère kilométrique 18+100 de l'autoroute A 131 en direction du Havre, par des agents de la direction interdépartementale des routes Nord-Ouest, gestionnaire de la voie. Il est constant que ces deux balises, montées sur socle en plastique dur et placées au-delà de la ligne blanche de rive sur la partie en herbe du terre-plein central en dehors de la chaussée, avaient pour objet de signaler un danger temporaire, constitué par la déformation de la glissière de sécurité le long de ce terre-plein au cours d'un précédent accident, et d'inciter les usagers de l'autoroute à adapter leur conduite au risque ainsi mis en évidence. Une patrouille, dont la ministre démontre la réalisation en produisant, pour la première fois en appel, son compte rendu, a été effectuée par deux agents de la direction interdépartementale des routes Nord-Ouest le jour de l'accident entre 8h55 et 9h15, sans qu'ait été relevée une anomalie dans la position des balises. Pour une raison que n'a pu élucider l'enquête de gendarmerie diligentée après l'accident de M. D..., les socles des deux balises se trouvaient sur la partie gauche de la chaussée lors du passage de la victime, qui les a percutées vers 9h20. Il résulte donc de l'instruction que seules quelques minutes se sont écoulées entre la vérification du bon état de la chaussée par la patrouille de la direction interdépartementale des routes Nord-Ouest et l'accident de M. D.... En raison de ce délai très bref, la présence sur la chaussée des socles de balises à l'origine de l'accident ne saurait être regardée comme résultant d'un défaut d'entretien normal du domaine public de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard de M. D....

5. Si M. D..., pour établir l'existence d'une faute commise par l'État, soutient par ailleurs que le défaut de réparation de la glissière à la suite d'un précédent accident et l'utilisation de balises " K5C " pour signaler son enfoncement ont aggravé le danger temporaire constitué par cette déformation et rendu possible son propre accident, il ne résulte pas de l'instruction, d'une part, que l'État ait outrepassé un délai raisonnable pour effectuer les réparations nécessaires ni, d'autre part, qu'en implantant les balises litigieuses en dehors de la chaussée, il ait pris des mesures de sécurité inadaptées à la configuration des lieux. En outre, alors que l'article 124 de l'instruction interministérielle sur la signalisation routière prévoyait, à son point A, que " toute signalisation de chantier et de danger temporaire comporte une signalisation d'approche, à l'exception des dangers de faible importance n'empiétant pas sur la chaussée (...) " et, à son point B, que " l'existence de la signalisation de position constitue la règle générale. / Cette signalisation est fonction du danger, du genre des travaux effectués, de l'encombrement de la chaussée et de l'intensité de la circulation (débit, vitesse) (...) ", le dispositif mis en place par la direction interdépartementale des routes Nord-Ouest n'était ni excessif ni insuffisant au regard de ces prescriptions, contrairement à ce que soutiennent respectivement M. D... et la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité des jugements attaqués, que la ministre est fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Rouen a admis la responsabilité de l'État dans l'accident dont a été victime M. D.... Par voie de conséquence, c'est également à tort que, par son jugement au fond du 9 mars 2017, le tribunal administratif de Rouen a condamné l'État à indemniser M. D... ainsi qu'à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure les débours au profit de son assuré. Les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par M. D... et par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.

Sur les frais de l'expertise ordonnée en première instance :

7. En application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge définitive de M. D... les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 200 euros par ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Rouen du 5 février 2015.

Sur les frais de l'instance :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes que demandent M. D... et la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement avant dire droit n° 1300612 du tribunal administratif de Rouen du 8 juillet 2014 et le jugement n° 1300612 du même tribunal du 9 mars 2017 sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Rouen est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure devant le tribunal administratif de Rouen sont rejetées.

Article 4 : Les frais de l'expertise ordonnée par le jugement avant dire droit n° 1300612 du tribunal administratif de Rouen du 8 juillet 2014, taxés et liquidés à la somme de 1 200 euros par une ordonnance de la présidente du même tribunal du 5 février 2015, sont mis à la charge définitive de M. D....

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la transition écologique et solidaire, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure et à M. C... D....

Copie sera adressée pour information au préfet de la Seine-Maritime (direction interdépartementale des routes Nord-Ouest).

N°17DA00840 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation à 3 (ter)
Numéro d'arrêt : 17DA00840
Date de la décision : 23/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-01-01 Travaux publics. Différentes catégories de dommages. Dommages sur les voies publiques terrestres. Entretien normal.


Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: M. Aurélien Gloux-Saliou
Rapporteur public ?: Mme Leguin
Avocat(s) : PIRET

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-06-23;17da00840 ?
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