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18/06/2020 | FRANCE | N°18DA01163

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 18 juin 2020, 18DA01163


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Etablissements Jean Nicolas Ducatillon a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la restitution des retenues à la source mises à sa charge sur les rémunérations qu'elle a versées à la société privée à responsabilité limitée (SPRL) Ducagest, au titre des années 2010 à 2012, ainsi que des pénalités correspondantes, pour un montant total de 199 197 euros.

Par un jugement n° 1510535 du 20 avril 2018, le tribunal administratif de Lille a

fait droit à sa demande de restitution et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Etablissements Jean Nicolas Ducatillon a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la restitution des retenues à la source mises à sa charge sur les rémunérations qu'elle a versées à la société privée à responsabilité limitée (SPRL) Ducagest, au titre des années 2010 à 2012, ainsi que des pénalités correspondantes, pour un montant total de 199 197 euros.

Par un jugement n° 1510535 du 20 avril 2018, le tribunal administratif de Lille a fait droit à sa demande de restitution et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 juin 2018 et le 28 février 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par la SAS Etablissements Jean Nicolas Ducatillon devant le tribunal administratif de Lille ;

3°) de remettre à la charge de la SAS Etablissements Jean Nicolas Ducatillon les retenues à la source ainsi que les pénalités correspondantes dont elle a été déchargée par le tribunal administratif de Lille ;

4°) d'ordonner le remboursement de la somme de 1 200 euros mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le Traité de fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code de commerce ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience publique.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Binand, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société privée à responsabilité limitée (SPRL) Ducagest, société de droit belge, est associée unique et, depuis le 1er juillet 2010, présidente, de la société par actions simplifiée (SAS) Etablissements Jean Nicolas Ducatillon, dont le siège est situé dans le département du Nord. A l'issue de la vérification de comptabilité de la société Etablissements Jean Nicolas Ducatillon, l'administration a estimé que les sommes versées au cours des années 2010 à 2012 par cette société à la société Ducagest, en rémunération de ce mandat social, étaient imposables au nom de M. A... B..., dans la catégorie des traitements et salaires, en application des dispositions du II de l'article 155 A du code général des impôts, au motif que M. B..., résident fiscal belge contrôlant la société Ducagest, devait être regardé comme ayant réalisé les services ayant donné lieu au versement de ces rémunérations. En conséquence, l'administration a mis à la charge de la société Etablissements Jean Nicolas Ducatillon des rappels de retenue à la source, sur le fondement de l'article 182 A du code général des impôts, qu'elle a assortis de la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue à l'article 1729 de ce code. Le ministre de l'action et des comptes public relève appel du jugement du 20 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Lille a déchargé la société Etablissements Jean Nicolas Ducatillon de ces impositions et pénalités et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur le motif de décharge retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article 155 A du code général des impôts : " I. Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : / - soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ; / - soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ; / - soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l'article 238 A. / II. Les règles prévues au I ci-dessus sont également applicables aux personnes domiciliées hors de France pour les services rendus en France (...) ".

3. Les prestations dont la rémunération est ainsi susceptible d'être imposée entre les mains de la personne qui les a effectuées correspondent à un service rendu pour l'essentiel par elle et pour lequel la facturation par une autre personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte. Lorsque l'administration apporte, dans l'hypothèse où le contribuable est domicilié hors de France et relève, à ce titre, des dispositions du II de l'article 155 A du code général des impôts, des éléments suffisants permettant de penser que la prestation a été rendue, c'est-à-dire réalisée, en France, il appartient alors au contribuable d'apporter, le cas échéant, toutes justifications utiles sur le lieu d'exercice de ses activités professionnelles.

4. Pour décharger la SAS Etablissements Jean Nicolas Ducatillon du rappel de retenue à la source et des pénalités qui lui ont été assignés, le tribunal administratif de Lille a jugé que l'administration, en se bornant à relever que le mandat de président de la SAS, confié à la SPRL Ducagest le 1er juillet 2010, était auparavant assumé par M. B... et que l'intéressé a continué à exercer les mêmes fonctions, après sa démission, ne produisait pas des éléments suffisants permettant d'admettre que ces services, immatériels par nature, avaient été rendus en France durant les années vérifiées. Toutefois, le ministre de l'action et des comptes publics justifie, en cause d'appel, que M. B..., durant les exercices de la SAS Etablissements Jean Nicolas Ducatillon clos de 2010 à 2012, a engagé en France, au moyen des instruments de paiement mis à disposition par cette société, des dépenses de déplacement et de restauration qui ont été comptabilisées par elle en charges de représentation. En retour, la SAS Etablissements Jean Nicolas Ducatillon, qui ne conteste pas que ces dépenses se rapportent à l'exercice du mandat social détenu par la SPRL Ducagest, n'apporte aucun justificatif de nature à établir la réalité et l'étendue des services attachés à la présidence qui auraient été réalisées depuis la Belgique. Elle ne saurait davantage déduire de la présence en France de M. B... durant une quarantaine de jours seulement au titre de chacun des exercices, comparable, d'ailleurs, à celle constatée lorsqu'il détenait personnellement ce mandat social, que l'intéressé réalisait nécessairement les autres jours en Belgique les services à raison desquels ont été assignées les impositions contestées. Dès lors, l'administration établit que ces services ont été rendus en France. Par suite, c'est à tort que, pour prononcer la décharge demandée, le tribunal administratif de Lille s'est fondé sur ce que les prestations facturées par la SPRL Ducagest ne peuvent être regardées, faute d'être rendues en France, comme relevant du II de l'article 155 A du code général des impôts.

5. Toutefois, il incombe à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens soulevés par la SAS Etablissements Jean Nicolas Ducatillon et le ministre de l'action et des comptes publics devant le tribunal administratif de Lille et devant elle.

Sur l'application de la loi fiscale :

6. En premier lieu, les dispositions de l'article 155 A du code général des impôts visent uniquement l'imposition des services ne trouvant aucune contrepartie réelle dans une intervention propre d'une personne tierce établie ou domiciliée hors de France. En l'absence d'une telle contrepartie permettant de regarder les services concernés comme rendus pour le compte de cette personne, les dispositions de cet article ne sauraient porter atteinte, contrairement à ce que soutient la société redressée, au principe de liberté de prestation de services et de libre établissement garantis par le Traité de fonctionnement de l'Union européenne.

7. En deuxième lieu, d'une part, il résulte de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que M. B... est domicilié en Belgique et qu'il contrôle la SPRL Ducagest, dont il est l'associé unique et le gérant. D'autre part, au regard des dispositions de l'article L. 227-6 du code de commerce selon lesquelles la société par actions simplifiée " est représentée à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts. Le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l'objet social " et de celles de l'article L. 227-7 de ce code dont il résulte que " Lorsqu'une personne morale est nommée président ou dirigeant d'une société par actions simplifiée, les dirigeants de ladite personne morale sont soumis aux mêmes conditions et obligations et encourent les mêmes responsabilités civile et pénale que s'ils étaient président ou dirigeant en leur nom propre, sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne morale qu'ils dirigent ", les prestations facturées par la société Ducagest en seule contrepartie de la présidence de la société Etablissements Jean Nicolas Ducatillon qui, ainsi qu'il a été dit, ont été rendues en France, correspondent à un service rendu pour l'essentiel par son représentant légal, M. B..., et pour lequel la facturation par une autre personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte. Par suite, en application des dispositions de l'article 155 A du code général des impôts, les sommes mises à disposition de la SPRL Ducagest par l'inscription, non contestée, à son compte courant d'associé de la SAS Etablissements Jean Nicolas Ducatillon et dès lors perçues par elle, sont imposables en France entre les mains de M. B....

8. En troisième et dernier lieu, d'une part, il résulte de l'article 80 ter du code général des impôts que les rémunérations versées aux présidents des sociétés anonymes, auxquelles les sociétés par actions simplifiées sont assimilées par l'article 1655 quinquies du même code, sont soumises à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires. D'autre part, aux termes du I de l'article 182 A du même code : " " (...) les traitements, salaires, pensions et rentes viagères, de source française, servis à des personnes qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France donnent lieu à l'application d'une retenue à la source. ". Par suite, c'est à bon droit que l'administration a soumis ces sommes, servies par une société française à M. B..., domicilié fiscalement en Belgique, à la retenue à la source prévue par les dispositions de l'article 182 A du code général des impôts.

Sur l'interprétation administrative de la loi fiscale :

9. En premier lieu, la société Etablissements Jean Nicolas Ducatillon demande le bénéfice de la mesure de tempérament, prévue par une instruction du 1er août 2001 publiée dans la documentation administrative de base 5 B-641 n° 13, reprise au n° 140 de l'instruction référencée BOI-IR-DOMIC-30 publiée le 12 septembre 2012, selon laquelle " Par mesure de tempérament, il n'y a pas lieu non plus, en principe, d'appliquer l'article 155 A du code général des impôts lorsque la réalité des services rendus par une personne morale étrangère est établie de façon indiscutable, notamment dans le cadre d'une activité de cabinet ". Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 7 que les services ont été rendus pour l'essentiel par M. B... et que la facturation par la société belge Ducagest ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière. Dès lors, la société Etablissements Jean Nicolas Ducatillon ne peut revendiquer le bénéfice de cette instruction.

10. En second lieu, la société Etablissements Jean Nicolas Ducatillon n'est pas fondée à se prévaloir du point n° 160 de l'instruction référencée BOI-IR-DOMIC-30 qui, en tout état de cause, de la lettre même de la subdivision dans laquelle il s'insère, ne trouve à s'appliquer que lorsque le prestataire de services est domicilié ou a son siège en France, ce qui n'est pas le cas de M. B....

Sur les pénalités pour manquement délibéré :

11. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".

12. L'administration s'est fondée, pour appliquer les pénalités prévues, en cas de manquement délibéré, par l'article 1729 du code général des impôts, sur l'existence d'un montage juridique qui s'est traduit par la création de la société belge Ducagest et a eu pour conséquence de soustraire à l'application de l'impôt en France, durant plusieurs années, les rémunérations versées par la société Etablissements Jean Nicolas Ducatillon en contrepartie des prestations rendues matériellement par M. B..., résident fiscal belge, sans intervention propre de la société bénéficiaire de ces versements. Elle fait aussi valoir que M. B... avait le contrôle des deux sociétés, directement puis indirectement à partir du 1er juillet 2010 en ce qui concerne la société Etablissements Jean Nicolas Ducatillon. En invoquant ces différentes circonstances, l'administration justifie du bien-fondé de la pénalité pour manquement délibéré qu'elle a appliquée.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander l'annulation du jugement du 20 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Lille a déchargé la SAS Etablissements Jean Nicolas Ducatillon des rappels de retenue à la source, au titre des années 2010 à 2012, ainsi que des pénalités correspondantes, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le ministre est également fondé à demander la remise à la charge de la SAS Etablissements Jean Nicolas Ducatillon de ces impositions et pénalités, ainsi que le rejet de la demande présentée devant le tribunal par cette société, y compris en ce que cette demande comportait des conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, le ministre de l'action et des comptes publics, qui tient de l'article 11 du décret du 7 novembre 2012, le pouvoir d'émettre, le cas échéant, un ordre de recouvrement à l'effet d'obtenir le reversement de sommes dont une personne est redevable envers l'Etat, n'est pas recevable à demander que la cour ordonne la restitution de la somme versée à la société Etablissements Jean Nicolas Ducatillon, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en exécution du jugement dont il relève appel.

14. Enfin les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés en cause d'appel par la société Etablissements Jean Nicolas Ducatillon.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 20 avril 2018 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La retenue à la source qui a été réclamée à la SAS Etablissements Jean Nicolas Ducatillon au titre des années 2010, 2011 et 2012, ainsi que les pénalités correspondantes, sont remises à sa charge.

Article 3 : La demande présentée par la SAS Etablissements Jean Nicolas Ducatillon devant le tribunal administratif de Lille et ses conclusions présentées devant la cour sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions du ministre de l'action et des comptes publics aux fins de reversement de la somme versée à la SAS Etablissements Jean Nicolas Ducatillon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en exécution du jugement du 20 avril 2018 du tribunal administratif de Lille, sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à la SAS Etablissements Jean Nicolas Ducatillon.

Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

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N°18DA01163


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18DA01163
Date de la décision : 18/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Règles de procédure contentieuse spéciales - Questions communes - Divers.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Questions communes - Personnes imposables.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôt sur le revenu - Cotisations d`IR mises à la charge de personnes morales ou de tiers - Retenues à la source.


Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Christophe Binand
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS HEPTA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-06-18;18da01163 ?
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