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18/06/2020 | FRANCE | N°18DA00631,18DA00632

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3 (ter), 18 juin 2020, 18DA00631,18DA00632


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Générale de manutention portuaire a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, de condamner le Grand port maritime du Havre (GPMH) à lui verser la somme de 42 307 935,70 euros hors taxes à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal eux-mêmes capitalisés à compter du 15 septembre 2014, à titre subsidiaire, de condamner le Grand port maritime à lui verser la somme de 41 492 767,70 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal eux-m

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Générale de manutention portuaire a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, de condamner le Grand port maritime du Havre (GPMH) à lui verser la somme de 42 307 935,70 euros hors taxes à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal eux-mêmes capitalisés à compter du 15 septembre 2014, à titre subsidiaire, de condamner le Grand port maritime à lui verser la somme de 41 492 767,70 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal eux-mêmes capitalisés à compter du 15 septembre 2014, à titre infiniment subsidiaire, de condamner le Grand port maritime à lui verser la somme de 5 780 000 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal eux-mêmes capitalisés à compter du 15 septembre 2014, dans l'hypothèse où il serait fait droit à l'appel en garantie, de condamner en tout état de cause le Grand port maritime au paiement solidaire de tous les dommages-intérêts imposés à la société Terminal Porte Océane (TPO) et d'ordonner l'exécution du jugement à intervenir dans un délai de deux mois à compter de sa notification au GPMH, sous astreinte de 250 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1403058 du 23 janvier 2018, le tribunal administratif de Rouen a condamné le Grand port maritime du Havre à verser à la société Générale de manutention portuaire la somme de 1 920 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 septembre 2014, les intérêts échus à la date du 15 septembre 2015 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date étant capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts, et condamné la société Terminal Porte Océane à garantir le Grand port maritime du Havre à hauteur de 70 % de cette condamnation.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête, enregistrée le 23 mars 2018 sous le n° 18DA00631, et des mémoires, enregistrés le 28 novembre 2018 et 18 décembre 2019, la société Générale de manutention portuaire, représentée par le cabinet Hogan Lovells Paris LLP, demande à la cour :

1°) de réformer l'article 1er de ce jugement ;

2°) à titre principal, de condamner le Grand port maritime du Havre (GPMH) à lui verser la somme de 42 307 935,70 euros hors taxes, à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal eux-mêmes capitalisés à compter du 15 septembre 2014 ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner le Grand port maritime à lui verser la somme de 41 492 767,70 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal eux-mêmes capitalisés à compter du 15 septembre 2014 ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner le Grand port maritime à lui verser la somme de 5 780 000 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal eux-mêmes capitalisés à compter du 15 septembre 2014 ;

5°) en tout état de cause, dans l'hypothèse où il serait fait droit à l'appel en garantie du Grand port maritime contre la société Terminal Porte Océane, de condamner le Grand port maritime au paiement solidaire de tous les dommages-intérêts imposés à cette société ;

6°) d'ordonner l'exécution de l'arrêt à intervenir dans un délai de deux mois à compter de sa notification au Grand port maritime, sous astreinte de 250 euros par jour de retard ;

7°) de mettre à la charge du Grand port maritime du Havre la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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II - Par une requête, enregistrée le 26 mars 2018 sous le n° 18DA00632, et des mémoires enregistrés les 24 octobre, 21 novembre et 27 décembre 2018 et le 8 janvier 2020, la société Terminal Porte Océane, représentée par Me G... C..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 23 janvier 2018 ;

2°) de rejeter les conclusions d'appel en garantie présentées par le Grand port maritime du Havre à son encontre ;

3°) à titre subsidiaire, de rejeter les conclusions indemnitaires présentées par la société Générale de manutention portuaire ;

4°) de mettre à la charge du Grand port maritime du Havre la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code des transports ;

- le décret n° 2008-1037 du 9 octobre 2008 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif modifiée par les ordonnances n° 2020-405 du 8 avril 2020, n° 2020-427 du 15 avril 2020 et n° 2020-558 du 13 mai 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. G... Bouchut, premier conseiller,

- les conclusions de M. Charles-Edouard Minet, rapporteur public,

- et les observations de Me A... E..., représentant la Société Générale de manutention portuaire, de Me D... H... représentant le Grand Port Maritime du Havre, et de Me B... F..., représentant la Société Terminal Porte Océane.

Considérant ce qui suit :

1. La requête de la société Générale de manutention portuaire, enregistrée sous le n° 18DA00631, et celle de la société Terminal Porte Océane, enregistrée sous le n° 18DA00632, sont dirigées contre un même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y être statué par un seul arrêt.

2. Le port autonome du Havre, devenu le Grand port maritime du Havre par l'effet du décret du 9 octobre 2008, a concédé à la société Générale de manutention portuaire, par une convention d'exploitation de terminal du 28 octobre 2004, la réalisation et l'exploitation portuaire des postes à quai n° 3 et 4 et, dans une seconde phase, du poste à quai n° 5 de Port 2000 tandis qu'il a concédé à la société Terminal Porte Océane, par une convention d'exploitation de terminal du 11 mai 2006, la réalisation et l'exploitation portuaire des postes à quai n° 1 et 2 et, dans une seconde phase, du poste à quai n° 6, ce dernier poste étant situé à l'ouest du poste n° 1. Un avenant à la convention d'exploitation de terminal a été conclu le 12 septembre 2007 avec la société Générale de manutention portuaire aux termes duquel l'objectif d'extension du terminal vers l'ouest après libération du poste à quai n° 2 par la société Terminal Porte Océane était prévu pour octobre 2010. Le 11 mars 2014, la société Générale de manutention portuaire a été mise en mesure de déplacer ses installations sur le poste n° 2, après la libération de ce quai par la société Terminal Porte Océan qui avait déplacé ses installations portuaires vers l'ouest sur le poste à quai n° 6. Sous le n° 18DA00631, la société Générale de manutention portuaire relève appel de l'article 1er du jugement du 23 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Rouen a partiellement fait droit à sa demande tendant à la réparation du préjudice résultant du retard de la mise à sa disposition du poste à quai n° 2 par le Grand port maritime du Havre. Sous le n° 18DA00632, la société Terminal Porte Océane relève appel du même jugement la condamnant à garantir le Grand port maritime du Havre à hauteur de 70 % de la condamnation prononcée à son encontre et, à titre subsidiaire, conclut au rejet de la demande indemnitaire de la société Générale de manutention portuaire. Par la voie de l'appel incident dans ces deux instances, le Grand port maritime du Havre relève appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamné à verser à la société Générale de manutention portuaire la somme de 1 920 000 euros.

Sur la régularité du jugement :

3. Le Grand port maritime du Havre ainsi que la société Générale de manutention portuaire soutiennent que l'atténuation de responsabilité est fondée sur deux motifs contradictoires entachant ainsi d'irrégularité le jugement attaqué. Toutefois, et alors que cette atténuation est bien fixée à 50 % dans les motifs et dans le dispositif du jugement, cette contradiction de motifs affecte le bien-fondé du jugement et non sa régularité. Dès lors, ces moyens doivent être écartés.

4. Il soutient également que la motivation relative au préjudice indemnisé est insuffisante. Il ressort toutefois du jugement que le tribunal administratif a décidé de condamner le GPMH à verser une somme au titre des " troubles dans les conditions d'exploitation consécutifs à un moindre espace d'accueil des porte-conteneurs ", " eu égard aux contretemps et surcoûts engendrés par la situation " motivant ainsi suffisamment la nature de l'indemnité. Le tribunal a fixé le montant du préjudice sur la base " d'un retard global de vingt-quatre mois et à raison de troubles d'exploitation évalués à un montant mensuel de 160 000 euros ". Le mode de calcul de l'indemnité est ainsi suffisamment motivé. Dès lors, ce moyen doit être écarté.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

5. La société Générale de manutention portuaire, qui est liée au Grand port maritime du Havre par une convention d'exploitation de terminal modifiée par avenants, ne peut exercer, à l'encontre du Grand port maritime en raison des préjudices dont elle demande réparation, d'autre action que celle procédant de cette convention. Dès lors, le moyen tiré de l'abstention du Grand port maritime du Havre d'user de tous les moyens mis à sa disposition pour obtenir la libération du poste n° 2 par la société Terminal Poste Océane, et notamment de ses prérogatives de puissance publique à cet effet, à la supposer même établie, est sans influence sur le sort du litige.

6. Aux termes de l'article 1er de la convention d'exploitation de terminal du 28 octobre 2004 conclue entre le port autonome du Havre, devenu le Grand port maritime du Havre, et la société Générale de manutention portuaire : " (.../...) ce terminal fera l'objet d'une mise en exploitation en deux phases successives : / - une première phase correspondant aux postes à quai situés entre les pm 3150 et 3850, / - une deuxième phase correspondant au poste à quai à construire, situé entre les pm 3850 et 4200. Sa date de mise à disposition, postérieure au 1er janvier 2009, sera fixée par accord entre le port et l'entreprise dans un délai de 36 mois après que l'entreprise en aura fait la demande et sous réserve des dispositions de la présente convention... ". Il résulte de ces stipulations que la convention a attribué à la société l'exploitation des postes à quai n° 3 et n° 4, situés entre les points métriques (pm) 3150 et 3850, et que la mise à disposition du poste à quai n° 5, situé entre les pm 3850 et 4200, en vue de son exploitation devait intervenir avec un délai différé.

7. Afin de développer son activité, la société Générale de manutention portuaire, par le biais de sa société mère, la société CMA-CGM, a fait connaître, par un courrier du 25 septembre 2006, son souhait d'étendre son terminal vers l'ouest sur une longueur de 350 mètres, soit le poste à quai n°2 allant du pm 2800 au pm 3150, après libération de cette emprise, dont le port avait concédé l'exploitation à la société Terminal Porte Océane. A cet effet, a été conclu avec la société Générale de manutention portuaire un avenant du 12 septembre 2007 à la convention d'exploitation de terminal aux termes duquel : " L'article 1er est modifié comme suit... : a) une deuxième phase correspondant au prolongement Est du quai entre le pm 3850 et le pm 4200, dont l'objectif de mise à disposition est juillet 2009. / b) l'objectif d'extension du terminal vers l'Ouest après libération de 350 m de quai entre le pm 2800 et le pm 3150 - poste 2 - par l'opérateur précédent est octobre 2010 et se fera dans les conditions prévues par le cahier des prescriptions techniques de premier établissement. (...) L'entreprise, sollicitant le ripage, négociera, si nécessaire, avec l'opérateur voisin concerné, les conditions économiques de transfert de propriété des aménagements qu'il a réalisés et de prise en charge éventuelle des coûts directs, matériels et certains, qu'il aurait effectivement supportés en raison de ce ripage et ce, sur présentation des factures y afférentes, le tout à l'exception des conséquences qui étaient prévisibles lors de la signature de la convention d'exploitation de terminal et de ses avenants. / 1 - dans l'hypothèse d'un accord entre l'entreprise sollicitant le ripage et l'opérateur voisin, les deux parties établiront un projet de transaction directe qu'elles porteront à la connaissance du port. Un projet d'avenant à la présente convention d'exploitation de terminal sera alors établi.(...) / 2 - dans l'hypothèse où aucun accord n'aurait été trouvé dans un délai de 60 jours entre l'entreprise sollicitant le ripage et l'opérateur voisin concerné (ou un tiers investisseur précédemment désigné), le port et l'opérateur voisin concerné saisiront dans les 30 jours suivant un collège d'experts composé de trois membres, l'opérateur voisin et le Port désignant chacun un expert, les deux experts ainsi désignés choisissant le troisième membre du collège. (...) Ce collège déterminera le montant que devra acquitter l'entreprise pour le transfert de propriété des aménagements que l'opérateur voisin a réalisés et pour un remboursement éventuel et sur présentation de justificatifs des charges non prévisibles qui s'imposeraient à lui en raison de ce ripage. A défaut de désignation d'un expert par l'opérateur voisin dans un délai de 30 jours, les montants seront fixés par l'expert désigné par le port. Les montants ainsi déterminés s'imposeront aux parties concernées. / En cas de désaccord de l'entreprise, sollicitant le ripage, sa demande sera alors rejetée et le dossier sera clos. / En cas d'accord de l'opérateur voisin, l'entreprise sollicitant le ripage et cet opérateur établiront, sur ces bases, un projet de transaction directe qu'ils porteront à la connaissance du port. Un projet d'avenant à la présente convention d'exploitation de terminal sera alors établi. (...) L'entreprise et le Port procéderont à la signature conjointe de l'avenant dans un délai qui ne pourra excéder un mois. ".

En ce qui concerne le dépassement du délai de mise à disposition du poste n° 2 à la date du 30 octobre 2010 :

8. La société Générale de manutention portuaire soutient que l'autorité portuaire était tenue, aux termes des stipulations précitées de l'avenant du 12 septembre 2017, de mettre à sa disposition le poste à quai n° 2 au plus tard en octobre 2010. Compte tenu des étapes intermédiaires prévues par cet avenant qui faisait intervenir un tiers au contrat, de l'absence de fixation du point de départ du délai de soixante jours laissé aux deux sociétés pour trouver un accord amiable et de la possibilité de clore le dossier sans extension vers l'Ouest, il résulte de ces stipulations que la commune intention des parties ne faisait pas supporter à l'autorité portuaire un engagement ferme sur la date prévue pour la mise à disposition du poste à quai n° 2 mais que cette prévision de date relevait d'un objectif à atteindre. Dès lors, la société Générale de manutention portuaire n'est pas fondée à soutenir que le Grand port maritime du Havre a manqué à son obligation contractuelle en ne mettant pas à sa disposition le poste à quai n° 2 à la date du 30 octobre 2010.

En ce qui concerne la mise à disposition du poste n° 2 dans un délai raisonnable :

9. La société Générale de manutention portuaire soutient que le Grand port maritime du Havre a mis à sa disposition le poste à quai n° 2 dans un délai déraisonnable, à l'origine des préjudices dont elle demande réparation.

10. Elle reproche, tout d'abord, au Grand port maritime de n'avoir pas mis en oeuvre, dans un premier temps, ses prérogatives de puissance publique à l'encontre de la société Terminal Porte Océane, qu'elle accuse d'avoir fait preuve de mauvaise volonté pour retarder la libération du poste à quai n° 2, en faisant valoir que l'autorité portuaire aurait pu résilier partiellement, pour un motif d'intérêt général, la convention de terminal conclue avec la société Terminal Porte Océane, en tant qu'elle portait sur le poste à quai n° 2. Toutefois, aucune disposition contractuelle avec la société appelante ne prévoyait l'usage de ce moyen de contrainte. Dès lors, en l'absence d'un tel engagement contractuel, ainsi qu'il a été dit au point 3, une telle abstention est sans incidence.

11. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 18 septembre 2008, le Grand port maritime du Havre a demandé aux deux sociétés de rechercher un accord sur le prix de cession des installations du poste n° 2 dans un délai de 60 jours. Même si, entre septembre 2007 et octobre 2008, aucune négociation ne semble s'être tenue entre la société Générale de manutention portuaire et la société Terminal Porte Océane en vue de la libération du poste n° 2 par cette dernière, le Grand port maritime du Havre n'a pas méconnu les stipulations de l'avenant n° 2 du 12 septembre 2007 en laissant à ces deux sociétés un temps suffisant pour négocier entre elles le montant dû par l'une à l'autre.

12. La société Générale de manutention portuaire fait également grief au Grand port maritime de ne pas avoir désigné un expert dans les conditions prévues par l'avenant du 12 septembre 2007, retardant ainsi la mise à disposition du poste à quai n° 2. Il ressort des négociations conduites durant le mois de novembre 2008 que les deux sociétés sont parvenues à un accord sur la quasi-totalité des postes de coûts liés à l'opération de " ripage ", à l'exception d'une somme d'environ 2,1 millions d'euros qui devait, selon elles, être supportée par l'autorité concédante. En l'absence d'accord des deux sociétés dans le délai imparti et de désignation des membres du collège d'experts devant déterminer le montant dû à la société Terminal Porte Océane par la société Générale de manutention portuaire, le Grand port maritime du Havre n'a pas désigné, comme il devait le faire aux termes de l'avenant du 12 septembre 2007, dans le délai de trente jours suivant le défaut de désignation d'un expert du collège par la société Terminal Porte Océane, l'expert chargé de déterminer ce montant qui devait s'imposer aux deux sociétés. Si la mission du collège d'experts, comme de l'expert désigné par le Grand port maritime, portait sur la détermination du montant que devait verser la société Générale de manutention portuaire à la société Terminal Porte Océane pour le transfert de propriété des droits réels portant sur les aménagements réalisés par cette dernière et pour le remboursement de charges non prévisibles qui s'imposeraient à la société Terminal Porte Océane en raison de cette opération, elle n'avait pas pour objet de fixer la somme que l'autorité concédante devait prendre à sa charge. Il ressort au surplus de l'instruction, et notamment d'un courrier du 27 mai 2009, que la société appelante souhaitait " continuer à s'inscrire dans le cadre d'une démarche amiable afin d'éviter la saisine du collège d'experts ". L'abstention du Grand port maritime dans cette désignation n'a, dès lors, pas pu être de nature à retarder la mise à la disposition du poste à quai n°2 auprès de la société appelante. Par suite, en ne procédant à aucune désignation d'expert, le Grand port maritime du Havre n'a pas commis une faute contractuelle de nature à engager sa responsabilité à raison du retard qui lui est reproché par la société Générale de manutention portuaire.

13. Par une délibération du conseil de surveillance du 24 septembre 2010, le Grand port maritime du Havre a retiré l'ensemble des offres faites aux deux sociétés, à savoir la prise en charge d'une partie des coûts demandés par les deux sociétés, et a décidé que le transfert des installations de la société Terminal Porte Océane vers le poste à quai n° 6 intervenait à sa demande pour un motif d'intérêt général, qu'il prenait à sa charge l'indemnisation du préjudice direct, matériel et certain de cette société ou de son tiers investisseur, estimée à 2 millions d'euros, résultant de cette opération et, enfin, qu'il se rendait temporairement propriétaire des aménagements effectués par la société Terminal Porte Océane sur le poste à quai n° 2, sous réserve de l'engagement irrévocable de la société Générale de manutention portuaire de lui racheter au même prix les droits réels attachés à ces aménagements. Après avoir été informée, par un courrier du 29 septembre 2010, des décisions prises par le Grand port maritime, la société Générale de manutention portuaire faisait part, par un courrier du 20 octobre 2011, de son engagement ferme et définitif sur l'acquisition des aménagements effectués sur le poste à quai n° 2 et sur son montant. Par un courrier du 13 juillet 2012, elle donnait son accord au montant du prix de cession finalement rehaussé par suite de l'avis rendu le 14 juin 2012 par la direction départementale des finances publiques de la Seine-Maritime. Après une promesse synallagmatique de vente du 3 août 2013, la réitération de l'acquisition effective, par la société Générale de manutention portuaire, des droits réels sur les aménagements du poste à quai n° 2, qui étaient entre-temps devenus la propriété du Grand port maritime du Havre, intervenait par un acte notarié du 20 décembre 2013. Par ce même acte, était également conclu l'avenant n° 5 à la convention de terminal qui se substituait avec effet au 20 décembre 2013, en mettant en oeuvre le dispositif prévu par la délibération du Grand port maritime du Havre mentionnée ci-dessus, aux stipulations de l'avenant du 12 septembre 2007. C'est à la date du 11 mars 2014 que le poste à quai n° 2 et ses aménagements étaient mis à la disposition de la société Générale de manutention portuaire par le Grand port maritime. Il résulte de l'instruction, et notamment de la délibération du 24 septembre 2010 et des échanges postérieurs de courriers entre les parties, que le Grand port maritime du Havre ne s'était engagé sur aucun délai de mise à disposition du poste à quai n° 2 après le 24 septembre 2010.

14. Il résulte du point précédent que les parties ont alors entendu regarder comme caducs les engagements fixés par l'avenant du 12 septembre 2007. Aucune autre disposition de la convention d'exploitation de terminal conclue avec la société Générale de manutention portuaire ne régissait le cas du transfert, notamment à la demande d'un tiers, des installations d'un poste à un autre en dehors de la résiliation pour un motif d'intérêt général ou par un commun accord. Or les stipulations encadrant la résiliation de la convention ne prévoient aucun délai d'exécution engageant l'autorité concédante.

15. Il ne résulte pas de l'instruction que le Grand port maritime ait manqué à l'une de ses obligations contractuelles de mise à disposition du poste à quai n °2 après le 24 septembre 2010, malgré la circonstance qu'il ait tardé à solliciter l'avis du service chargé des domaines sur le prix de cession des aménagements de ce poste à quai. Dès lors, la société Générale de manutention portuaire n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité du Grand port maritime du Havre est engagée à son égard en raison d'une faute contractuelle durant la période postérieure à la délibération de son conseil de surveillance du 24 septembre 2010.

16. Il ne résulte pas de l'instruction, et notamment des circonstances exposées ci-dessus, que le Grand port maritime du Havre, qui avait intérêt au développement de l'activité portuaire locale, notamment par l'extension de l'emprise sollicitée par la société Générale de manutention portuaire, et qui a en réalité supporté une partie notable du coût de l'opération dont il envisageait à l'origine qu'elle soit prise en charge par cette société, n'aurait pas exécuté de bonne foi ses engagements ou aurait exécuté avec un mauvais vouloir l'avenant du 12 septembre 2007, malgré la circonstance que la stratégie sous-tendant cet avenant, signé en toute connaissance de cause par les parties et notamment par la société appelante qui ne l'a jamais contesté, se soit révélée inadaptée à une opération d'une telle ampleur entre deux sociétés d'exploitation portuaire, chacune filiale de sociétés-mères concurrentes sur un même marché.

17. Il en résulte que le Grand port maritime du Havre n'a pas commis de faute contractuelle de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la société Générale de manutention portuaire. Par suite, cette dernière n'est pas fondée à demander réparation au Grand port maritime du Havre des préjudices qu'elle aurait subis en raison du délai de mise à sa disposition du poste à quai n° 2 par le Grand port maritime du Havre.

18. Il résulte tout de ce qui précède que la demande indemnitaire de la société Générale de manutention portuaire et ses conclusions d'appel tendant aux mêmes fins doivent être rejetées et que le Grand port maritime du Havre et la société Terminal Porte Océane, par la voie de l'appel incident, sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par les articles 1er et 5 de ce jugement, le tribunal administratif de Rouen a condamné le Grand port maritime du Havre à verser à la société Générale de manutention portuaire la somme de 1 920 000 euros, assortie des intérêts capitalisés et rejeté leurs conclusions relatives au rejet de cette demande.

19. Par voie de conséquence, il y a lieu de faire droit aux conclusions de la société Terminal Porte Océane tendant à l'annulation de l'article 2 de ce jugement la condamnant à garantir le Grand port maritime du Havre à hauteur de 70 % du montant de sa condamnation, ainsi qu'aux conclusions de la requête n° 18DA00632 de cette société tendant aux mêmes fins, sans qu'il soit besoin d'examiner les irrégularités du jugement qu'elle invoque ni la fin de non-recevoir dirigée contre cet appel en garantie, et de rejeter les conclusions d'appel en garantie du Grand port maritime du Havre à l'encontre de la société Terminal Porte Océane qui deviennent dépourvues d'objet.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

20. La présente décision qui se borne à rejeter la demande de réparation d'un préjudice n'appelle aucune mesure d'exécution. Dès lors, les conclusions présentées par la société Générale de manutention portuaire tendant à ordonner l'exécution de l'arrêt à intervenir, sous astreinte, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mises à la charge du Grand port maritime du Havre et de la société Terminal Porte Océane, qui ne sont pas les parties perdantes dans l'instance, les sommes réclamées par la société Générale de manutention portuaire au titre des frais liés au litige. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Générale de manutention portuaire une somme de 2 000 euros à verser au Grand port maritime du Havre, et de rejeter les demandes présentées à ce titre par la société Terminal Porte Océane.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er à 4 du jugement du 23 janvier 2018 du tribunal administratif de Rouen sont annulés.

Article 2 : La demande de la société Générale de manutention portuaire ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : La société Générale de manutention portuaire versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 2 000 euros au Grand port maritime du Havre.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : L'article 5 du jugement du 23 janvier 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Générale de manutention portuaire, au Grand port maritime du Havre, à la société Terminal Porte Océane et à la ministre de la transition écologique et solidaire.

Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine Maritime.

Nos18DA00631,18DA00632 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 3 (ter)
Numéro d'arrêt : 18DA00631,18DA00632
Date de la décision : 18/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Domaine - Domaine public - Régime - Occupation - Utilisations privatives du domaine - Contrats et concessions.

Domaine - Domaine public - Régime - Contentieux de la responsabilité.

Marchés et contrats administratifs - Notion de contrat administratif - Existence d'un contrat.

Ports - Utilisation des ports - Utilisation des quais.


Composition du Tribunal
Président : M. Boulanger
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre Bouchut
Rapporteur public ?: M. Minet
Avocat(s) : CABINET HOGAN LOVELLS (PARIS) LLP ; CABINET HOGAN LOVELLS (PARIS) LLP ; ADAMAS AFFAIRES PUBLIQUES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-06-18;18da00631.18da00632 ?
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