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09/03/2020 | FRANCE | N°19DA02149

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 09 mars 2020, 19DA02149


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 décembre 2018 par lequel le préfet de la Sarthe lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par une ordonnance du 28 mars 2019, le président du tribunal administratif de Nantes a transmis sa demande au tribunal administratif de Rouen.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 décembre 2018 par lequel le préfet de la Sarthe lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par une ordonnance du 28 mars 2019, le président du tribunal administratif de Nantes a transmis sa demande au tribunal administratif de Rouen.

Par un jugement n° 1901121 du 16 juillet 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 septembre 2019, M. D..., représenté par Me B... C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Sarthe de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Christian Boulanger, président de chambre,

- et les observations de Me B... C..., représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant ivoirien né le 17 octobre 1996, déclare être entré en France en 2001 et y résider régulièrement depuis cette date. Le 5 février 2018, il a été condamné par le tribunal correctionnel du Mans à une peine d'emprisonnement pour violence commise en réunion et a ensuite été incarcéré à .... Le 12 décembre 2018, le préfet de la Sarthe a pris à son encontre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et lui interdisant de revenir sur le territoire français pour une durée de trois ans. Par un arrêté du 20 mars 2019, le requérant a été placé en rétention au centre de Oissel. M. D... relève appel du jugement du 16 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 décembre 2018.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. Par un arrêté du 11 décembre 2017, régulièrement publié, M. Thierry Baron, secrétaire général de la préfecture de la Sarthe, a reçu délégation à l'effet de signer tous arrêtés, décisions, circulaires et avis relevant des attributions de l'Etat dans le département. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée manque en fait et doit être écarté.

3. L'arrêté attaqué comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Le préfet, qui n'avait pas à viser toutes les circonstances de fait de la situation de M. D..., a cité les éléments pertinents qui fondent sa décision. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

4. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal du 16 novembre 2018, que le requérant, alors incarcéré à la maison d'arrêt du Mans, a indiqué aux surveillants pénitentiaires qu'il refusait d'être entendu par les officiers de police venus l'auditionner à la demande du préfet de la Sarthe. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'il a été privé du droit d'être entendu tel qu'il est consacré notamment par le droit de l'Union européenne.

5. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) / 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; / (...) ".

6. M. D... est entré en France en 2001 à l'âge de cinq ans. Il établit y avoir été scolarisé entre septembre 2002 et juillet 2005, puis entre septembre 2006 et juillet 2007. Il verse au débat un certificat de scolarité du 5 novembre 2009, indiquant qu'il était inscrit en classe de cinquième pour l'année 2009-2010, une attestation du principal du collège Alain Fournier du Mans précisant qu'il a été scolarisé dans l'établissement au cours de l'année 2010-2011 et une facture de la maison familiale rurale d'éducation et d'orientation de Laillé pour des frais de pension-scolarité pour l'année 2011-2012. Il a été convoqué par le juge des enfants le 22 octobre 2012 pour des faits commis en juin 2010, puis une nouvelle fois le 31 juillet 2013. En 2014, sa présence en France n'est attestée que par un courrier de la mission locale pour l'emploi du 17 février et deux certificats médicaux des 12 août et 24 novembre. Au vu de ces pièces au caractère très circonscrit, la présence de M. D... n'est pas attestée en France entre novembre 2009 et juin 2010, entre novembre 2012 et juillet 2013 et pendant plusieurs mois de l'année 2014 au moins. Dès lors, l'appelant ne justifie pas avoir maintenu sa résidence habituelle en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet de la Sarthe a méconnu les dispositions du 2° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. M. D... soutient également être de nationalité française. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la délivrance d'un certificat de nationalité française lui a été refusé le 5 novembre 2009 et il ne justifie pas avoir entrepris de nouvelles démarches pour se voir délivrer ce certificat au vu des éléments obtenus auprès des autorités de la Côte d'Ivoire et qu'il verse au débat. Il soutient être le père d'un enfant français mais n'apporte aucun élément probant à l'appui de ses déclarations. Il ne démontre pas l'ancienneté et la stabilité de sa relation avec une ressortissante française. S'il fait état de la présence en France de nombreux membres de sa famille, il n'est pas établi qu'il serait isolé en cas de retour en Côte d'Ivoire. Dès lors, compte tenu des conditions et de la durée du séjour en France de l'intéressé, le préfet de la Sarthe n'a pas porté à son droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes raisons, celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commis le préfet quant aux conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé doit également être écarté.

8. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français est entachée d'illégalité.

Sur la décision refusant un délai de départ volontaire :

9. Compte tenu de ce qui a été dit au point 8, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

10. L'arrêté attaqué cite les dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et précise que M. D... s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire et qu'il n'a jamais sollicité de titre de séjour, sans en justifier par des circonstances particulières. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

11. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment de la motivation de l'arrêté attaqué, que le préfet de la Sarthe se serait estimé lié par la peine d'emprisonnement prononcée à l'encontre du requérant par le tribunal correctionnel du Mans visée au point 1.

12. Le moyen peu développé tiré de la circonstance que l'élargissement de M. D... était prévu plusieurs semaines après la décision attaquée n'entache pas celle-ci d'une erreur manifeste d'appréciation.

Sur la décision fixant le pays de destination :

13. Compte tenu de ce qui a été dit au point 8, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

14. Les motivations en fait de la décision fixant le pays de destination et de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne se confondent pas nécessairement. En revanche, la motivation en droit de ces deux décisions est identique et résulte des termes mêmes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'arrêté attaqué précise la nationalité de M. D... et énonce que l'intéressé n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Ainsi, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision contestée fixant le pays de destination de l'éloignement manque en fait et doit être écarté.

15. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

16. Si M. D... affirme que sa vie serait en danger en Côte d'Ivoire, il ne produit aucun élément probant de nature à appuyer ses déclarations, au demeurant peu circonstanciées, ou à étayer le caractère réel et actuel des mauvais traitements auxquels il serait susceptible d'être exposé en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le préfet n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

17. Pour les motifs exposés au point 7, le moyen tiré de l'erreur manifeste qu'aurait commise l'autorité préfectorale dans l'appréciation des conséquences de sa mesure sur la situation personnelle de l'intéressé doit être écarté.

Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans :

18. Il ressort des termes de l'arrêté attaqué que, pour prononcer la mesure d'interdiction de retour pour une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, le préfet de la Sarthe a relevé que M. D... se maintenait irrégulièrement en France, qu'il ne justifiait pas de liens intenses et stables en France, qu'il ne respectait pas les valeurs de la République et qu'il avait été condamné pour violence commise en réunion. Toutefois, il n'a pas pris en considération la durée du séjour en France de l'intéressé. Il n'a donc pas motivé sa décision en prenant en compte, au vu de la situation de l'étranger, l'ensemble des critères prévus par la loi. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens tendant à l'annulation de la mesure, et alors même que le préfet n'avait pas à motiver de manière distincte la durée de l'interdiction, M. D... est fondé à soutenir que la mesure d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée maximale de trois ans est insuffisamment motivée et doit être annulée.

19. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande en tant qu'elle tendait à l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

20. L'annulation prononcée par le présent arrêt n'implique pas la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour.

21. Les conclusions de M. D..., partie principalement perdante dans la présente instance, présentées au titre des frais liés au litige doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté du préfet de la Sarthe du 12 décembre 2018 est annulé en tant qu'il prononce à l'encontre de M. D... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.

Article 2 : Le jugement du 16 juillet 2019 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus de la requête de M. D... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., au ministre de l'intérieur et à Me B... C....

Copie en sera transmise pour information au préfet de la Sarthe.

N°19DA02149 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19DA02149
Date de la décision : 09/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Boulanger
Rapporteur ?: M. Christian Boulanger
Rapporteur public ?: M. Minet
Avocat(s) : SELARL MADELINE-LEPRINCE-MAHIEU

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-03-09;19da02149 ?
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