Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Nexans France, la société Nexans wires et la société de Coulée continue de cuivre ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 3 mars 2015 par lequel le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a inscrit le site dit " Nexans " à Chauny sur la liste des établissements de fabrication, flocage, calorifugeage à l'amiante, susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.
Par un jugement n° 1501201 du 3 octobre 2017, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cet arrêté.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 décembre 2017, la ministre du travail demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande des sociétés Nexans France, Nexans wires et Coulée continue de cuivre devant le tribunal administratif d'Amiens.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et notamment son article 41 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 3 mars 2015, l'établissement de Chauny, aujourd'hui exploité par la société Nexans France, la société Nexans wires et la société de Coulée continue de cuivre, a été inscrit sur la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante. A la demande des trois sociétés en charge de l'établissement, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cet arrêté par un jugement du 3 octobre 2017. La ministre du travail relève appel de ce jugement.
Sur l'intervention :
2. L'association Recon " Nexans " E-Essex-amiante, qui, d'après son titre et ses statuts, est composée d'anciens travailleurs de l'établissement de Chauny et a pour objet social notamment de regrouper les victimes de l'amiante en vue de les conseiller, de les défendre et de regrouper les personnes exposées aux risques d'amiante en vue de " défendre leurs intérêts face aux diverses institutions ", justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation du jugement du tribunal administratif d'Amiens en litige du 3 octobre 2017 et à la confirmation de l'arrêté du 3 mars 2015 annulé par ce jugement. Elle est en outre représentée par son président, qui d'après l'avenant aux statuts du 30 avril 2015, est habilité à agir en justice pour l'association. Son intervention au soutien de la requête d'appel de la ministre du travail est, dès lors, recevable.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, les salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales peuvent bénéficier d'une allocation de cessation anticipée d'activité. La liste des établissements donnant droit à une telle allocation est fixée par arrêté interministériel. Peuvent seuls être légalement inscrits sur cette liste les établissements dans lesquels les opérations de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de calorifugeage ou de flocage à l'amiante ont, compte tenu notamment de leur fréquence et de la proportion de salariés qui y ont été affectés, représenté sur la période en cause une part significative de l'activité de ces établissements.
4.Tout d'abord, la ministre du travail soutient que l'établissement de Chauny a fabriqué des câbles amiantés. Toutefois, la brochure, produite en cause d'appel par la ministre à l'appui de cette allégation, si elle mentionne sur sa dernière page la production de câbles spéciaux contenant de l'amiante, concerne les sites de Chauny mais également de Reims comme l'indique sa première page. L'association intervenante produit la seule page de cette même brochure faisant état de la production de câbles amiantés, qui ne mentionne pas que ces câbles sont fabriqués à Chauny. L'association produit également, en cause d'appel, une autre brochure, datée du 1er janvier 1958, spécifique au site de Chauny. Cette pièce fait état parmi les spécialités de cette usine, de la fabrication de câbles spéciaux utilisant des isolants inertes, comme l'amiante, mais dont la fabrication a été transférée à Reims. Le plan du site, inclus dans ce document, comprend un bâtiment " amiante " jouxtant les vestiaires. Ces indications ne suffisent pas non plus à établir la production de matériaux contenant de l'amiante, sur la période retenue par l'arrêté de 1934 à 1996. En première instance, le ministre du travail avait produit une troisième brochure, différente des brochures mentionnées précédemment et spécifique à l'usine de Chauny qui indiquait, dans sa dernière page, la production de câbles amiantés. Toutefois, un constat d'huissier établi le 20 novembre 2015, à la demande des sociétés propriétaires de l'établissement de Chauny, atteste que les trois dernières pages de cette brochure telle que produite en première instance par le ministre du travail, n'étaient pas conformes à l'original de cette brochure, tel qu'il lui a été remis par le conseil de ces sociétés. L'ensemble de ces documents ne permet donc pas d'établir la production de câbles amiantés sur la totalité de la période retenue par l'arrêté contesté. Par ailleurs, s'il ne peut être exclu qu'avant 1958, le site de Chauny ait produit des câbles contenant de l'amiante, aucun élément du dossier ne permet d'établir que cette production constituait une part significative de l'activité du site. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il n'est pas établi que l'établissement de Chauny ait, au sens de la loi du 23 décembre 1998, fabriqué des matériaux contenant de l'amiante sur la période allant de 1934 à 1996, retenue par l'arrêté en litige du 3 mars 2015.
5. En second lieu, la ministre du travail soutient qu'une part significative de l'activité de l'établissement de Chauny a été consacrée à des activités de calorifugeage de l'amiante. Le calorifugeage consiste à appliquer de l'amiante ou à incorporer de l'amiante à un élément pour assurer son isolation thermique. L'utilisation de l'amiante tant dans les bâtiments du site que pour des vêtements de protection des salariés ou dans des joints de machines utilisées au laminage ou dans des freins de machines servant au tréfilage, utilisations qui ont été recensées lors de l'enquête effectuée par le ministère du travail préalablement à l'élaboration de l'arrêté contesté, ne constituent en aucun cas des activités de fabrication de l'amiante, de flocage ou de calorifugeage au sens de la loi du 23 décembre 1998. Il ressort, par ailleurs, des pièces du dossier et n'est pas contesté que la plupart des fours utilisés sur le site pour la fusion du cuivre et pour l'émaillage des fils de cuivre comprenaient des plaques d'amiante et étaient conçus et détruits sur place. Toutefois, il ressort de la synthèse des réponses apportées à l'inspecteur du travail, au cours de son enquête préalable à l'édiction de l'arrêté du 3 mars 2015 contesté, que les fours étaient conçus dans un atelier dédié et que l'entretien et la maintenance des fours étaient assurés par une équipe affectée à cette tâche, les salariés chargées de la conduite des fours n'assurant que la maintenance légère et de manière ponctuelle. Les sociétés intimées confirment que les opérations de maintenance ne concernaient avant 1978 que 10 à 12 personnes et après 1978, une vingtaine de salariés. Le rapport de la médecine du travail du 9 février 2011, produit en cause d'appel par la ministre du travail, confirme que tous les salariés de la société de Coulée continue de cuivre n'ont été concernés par une exposition à l'amiante lors d'activités de calorifugeage que ponctuellement, lors des interventions de maintenance légère. Les témoignages d'anciens salariés ne viennent pas davantage contredire ces pièces, faisant état seulement d'interventions ponctuelles sur les fours, lors de pannes, même s'ils indiquent qu'ils ont dû à cette occasion manipuler de l'amiante isolant les fours. Il résulte donc de l'ensemble de ces éléments que, compte tenu de leur fréquence et de la proportion des salariés qui y étaient affectés, les opérations de calorifugeage ne représentaient pas une part significative de l'activité du site. La ministre du travail s'appuie également sur le nombre de salariés exposés à l'amiante, estimé à 117 d'après les attestations délivrées par le médecin du travail, sur un effectif total de 630 puis de 800 salariés, selon les périodes. Toutefois, il n'est pas établi ainsi qu'une part significative de l'activité du site de Chauny relevait du champ d'application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, alors qu'il ressort des pièces du dossier que cette exposition résultait essentiellement, outre la présence d'amiante dans les matériaux de construction des bâtiments, des freins amiantés des machines de tréfilage, de la présence de joints amiantés ou de l'utilisation de vêtements de protection comportant de l'amiante, cette exposition pouvant constituer le fondement d'une action des salariés, s'ils s'y croient fondés et s'ils remplissent les conditions pour qu'il y soit fait droit, pour faire reconnaître le préjudice qui en résulte. Il résulte de ces éléments que la ministre du travail ne démontre pas non plus qu'une part significative de l'activité de l'établissement de Chauny consistait en des activités de calorifugeage de l'amiante.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre du travail n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a annulé l'arrêté ministériel du 3 mars 2015 inscrivant l'établissement de Chauny sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante. Sa requête est donc rejetée, ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative de l'association Recon " Nexans " E-Essex-amiante, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros à verser aux sociétés Nexans France, Nexans wires et Coulée continue de cuivre, chacune, sur le même fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de l'association Recon " Nexans " E-Essex-amiante est admise.
Article 2 : La requête de la ministre du travail est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 500 euros aux sociétés Nexans France, Nexans wires et Coulée continue de cuivre, chacune, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de l'association Recon " Nexans " E-Essex-amiante présentées au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre du travail , aux sociétés Nexans France, Nexans wires et Coulée continue de cuivre et à l'association Recon " Nexans " E-Essex- amiante.
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N°17DA02328