La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/12/2019 | FRANCE | N°17DA01699,17DA01700,17DA1701

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 12 décembre 2019, 17DA01699,17DA01700,17DA1701


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Dfds Seaways a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 2 avril 2015 par lesquelles l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser les licenciements G... E... D... et de MM. F... B... et C... A... ainsi que les décisions implicites de rejet de son recours hiérarchique contre ces décisions.

Par trois jugements nos 1503896, 1503898 et 1503899 du 29 juin 2017, le tribunal administratif de Rouen a annulé les déci

sions du 2 avril 2015 de l'inspecteur du travail autorisant les licenciements re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Dfds Seaways a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 2 avril 2015 par lesquelles l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser les licenciements G... E... D... et de MM. F... B... et C... A... ainsi que les décisions implicites de rejet de son recours hiérarchique contre ces décisions.

Par trois jugements nos 1503896, 1503898 et 1503899 du 29 juin 2017, le tribunal administratif de Rouen a annulé les décisions du 2 avril 2015 de l'inspecteur du travail autorisant les licenciements respectivement de MM. B... et A... et G... D..., ainsi que les décisions du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 30 septembre 2015 rejetant les recours hiérarchiques dont il a été saisi contre ces décisions.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée sous le n° 1701699, le 22 août 2017, la ministre du travail, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1503896 du 29 juin 2017 ;

2°) de rejeter les demandes de la SAS Dfds Seaways concernant le licenciement de M. B... devant le tribunal administratif de Rouen.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------

II. Par une requête, enregistrée sous le n° 1701700, le 22 août 2017, la ministre du travail, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1503898 du 29 juin 2017 ;

2°) de rejeter les demandes de la SAS Dfds Seaways concernant le licenciement de M. A... devant le tribunal administratif de Rouen.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------

III. Par une requête, enregistrée sous le n° 1701701, le 22 août 2017, la ministre du travail, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1503899 du 29 juin 2017 ;

2°) de rejeter les demandes de la SAS Dfds Seaways devant le tribunal administratif de Rouen.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Cassara, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes susvisées nos 17DA01699, 17DA01700 et 17DA01701, présentées par la ministre du travail, présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. Mme D... exerçait les fonctions de délégué du personnel titulaire au sein de la SAS Dfds Seaways. M. B... y était délégué syndical et M. A... délégué du personnel suppléant. Cette société a établi un plan de sauvegarde de l'emploi, validé par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Haute-Normandie qui supprimait vingt-sept postes, dont ceux G... D... et de MM. B... et A..., à la suite de la fermeture de la liaison maritime entre Le Havre et Portsmouth. Le SAS Dfds Seaways a sollicité alors l'autorisation de licencier ces trois salariés protégés pour motif économique, ce que l'inspectrice du travail territorialement compétente a refusé par trois décisions du 2 avril 2015. La SAS Dfds Seaways a formé un recours hiérarchique contre ces décisions par courriers en date du 28 mai 2015, reçus le 29 mai 2015. Faute de réponse, des décisions implicites de rejet de ces recours hiérarchiques sont nées le 30 septembre 2015. La ministre du travail relève appel du jugement du 29 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé les décisions de l'inspectrice du travail du 2 avril 2015 ainsi que les rejets implicites par le ministre du travail des recours hiérarchiques contre ces décisions.

Sur l'exception d'incompétence de la juridiction administrative :

3. Les décisions dont la SAS Dfds Seaways a demandé l'annulation en première instance sont des refus d'autorisations administratives de licenciement de salariés protégés. Elles ressortent bien, en conséquence, de la compétence de la juridiction administrative, contrairement à ce que soutient la SAS Dfds Seaways en défense. La circonstance que Mme D..., comme MM. B... et A..., ne soient plus salariés de cette société, et par suite n'y assurent plus les fonctions de délégué du personnel ou de délégué syndical, est sans incidence sur la compétence de la présente cour, qui statue en prenant en considération la situation en fait et en droit à la date de chacune des décisions administratives contestées devant elle. L'exception d'incompétence de la juridiction administrative est, par suite, écartée.

Sur l'exception de non-lieu :

4. Si le refus d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé se borne, vis-à-vis de l'employeur, à rejeter la demande qu'il a adressée à l'administration et n'est, par suite, pas créateur de droits à son égard, il revêt en revanche le caractère d'une décision créatrice de droits au profit du salarié intéressé, y compris, dans certains cas, après l'expiration de sa période de protection. Ainsi, le litige par lequel l'employeur demande au juge administratif l'annulation de ce refus pour excès de pouvoir ne saurait être privé d'objet en raison de ce que ce refus aurait cessé, en cours d'instance, de faire obstacle au licenciement, soit parce que l'administration l'aurait abrogé pour l'avenir en accordant l'autorisation sollicitée, soit en raison de la fin de la période de protection du salarié. Un tel litige n'est en effet susceptible de perdre son objet que si, en cours d'instance, le refus d'autorisation a été rétroactivement retiré par l'autorité compétente et que ce retrait a acquis un caractère définitif. La circonstance que Mme D... comme MM. B... et A... aient fait l'objet, postérieurement, à l'introduction de leurs requêtes, d'une décision de licenciement non soumise à autorisation, car intervenue après l'expiration de leur période de protection, n'a donc pas pour effet de rendre sans objet les requêtes d'appel, qui statuent sur la légalité des autorisations administratives de licenciement de salariés protégés à la date de ces décisions, qui sont antérieures à la fin de la période de protection de ces trois salariés. Par suite, la SAS Dfds Seaways n'est pas fondée à demander que soit prononcé le non-lieu.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Rouen :

5. Pour apprécier la réalité des motifs économiques allégués à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative ne peut se borner à prendre en considération la seule situation de l'entreprise demanderesse, mais était tenue, en l'état des règles en vigueur à la date des décisions contestées, dans le cas où la société intéressée relève d'un groupe dont la société mère a son siège à l'étranger, de faire porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe oeuvrant dans le même secteur d'activité que la société en cause sans qu'il y ait lieu de borner cet examen à celles d'entre elles ayant leur siège social en France ni aux établissements de ce groupe situés en France.

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la SAS Dfds Seaways fait partie du groupe Dfds qui a son siège au Danemark et exerce une activité de transport maritime, qui constitue un des deux secteurs d'activité de ce groupe avec la logistique. L'inspectrice du travail s'est fondée, dans ses décisions contestées du 2 avril 2015, sur le rapport de l'expert-comptable mandaté par le comité d'entreprise qui notait que tous les indicateurs sont au vert pour l'activité " transport maritime " du groupe. Il ressort également des pièces du dossier, sans que cela soit sérieusement contesté, que la SAS Dfds Seaways ne représente que moins de 8 % de l'activité transport maritime du groupe. La SAS Dfds Seaways ne vient apporter, en cause d'appel comme en première instance, aucun élément sur l'activité " transport maritime " du groupe, alors qu'il n'est pas sérieusement contesté que d'autres sociétés du groupe interviennent dans le même secteur d'activité, notamment dans les secteurs de la mer du Nord, de la Manche, de la mer Baltique ou de la Méditerranée. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que les seules pertes de la SAS Dfds Seaways sur le marché de la Manche Ouest, qui comprend la ligne Le Havre-Portsmouth, compromettraient la compétitivité au niveau de l'activité " transport maritime " du groupe. Dans ces conditions, l'inspectrice du travail ne s'est pas livrée à une appréciation erronée des faits de l'espèce pour considérer, en faisant porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe oeuvrant dans le même secteur d'activité, que la réalité du motif économique n'était pas établie. Par suite, la ministre du travail est fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements contestés du 29 juin 2017, le tribunal administratif de Rouen s'est fondé, pour annuler les décisions de l'inspectrice du travail du 2 avril 2015 ainsi que les rejets implicites des recours hiérarchiques contre ces décisions, sur ce que ces décisions seraient entachées d'une erreur d'appréciation de la réalité du motif économique.

7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SAS Dfds Seaways tant en première instance qu'en appel.

8. D'une part, aux termes de l'article R. 2421-11 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. ". D'autre part, il résulte des articles L. 121-1, L. 122-1 et L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA) qu'il appartient à l'autorité administrative compétente pour adopter une décision individuelle entrant dans le champ de ces dispositions, ce qui est le cas en l'espèce, de mettre elle-même la personne intéressée en mesure de présenter des observations préalablement à sa décision. Il en va de même, à l'égard du bénéficiaire d'une décision, lorsque l'administration est saisie par un tiers d'un recours gracieux ou hiérarchique contre cette décision. Ainsi, le ministre chargé du travail, saisi d'un recours contre une décision autorisant ou refusant d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé, doit mettre le tiers au profit duquel la décision contestée a créé des droits - à savoir, respectivement, l'employeur ou le salarié protégé - à même de présenter des observations, notamment par la communication de l'ensemble des éléments sur lesquels le ministre entend fonder sa décision.

9. En l'espèce, l'inspectrice du travail territorialement compétente a entendu individuellement la société et les salariés le 10 mars 2015. Si elle a fondé ses décisions en partie sur le rapport de l'expert-comptable mandaté par le comité d'entreprise, cet élément était parfaitement connu de la SAS Dfds Seaways. Cette société était donc à même de faire valoir, préalablement à la décision contestée, tous éléments utiles à l'appui de sa demande. En outre, elle n'établit pas qu'elle aurait transmis à l'inspectrice du travail des éléments sur l'activité de transport maritime du groupe venant contrecarrer les constats de l'expert-comptable et que l'inspectrice du travail ne les aurait pas pris en compte. La note établie par la société pour justifier des suppressions d'emploi, que citent également les décisions contestées, ne comprenaient aucun élément sur l'impact des pertes de la ligne Le Havre-Portsmouth, à laquelle étaient affectés les salariés en cause, sur la situation de l'ensemble de ce secteur d'activité du groupe. Par ailleurs, il n'est pas non plus contesté que les services du ministre du travail ont entendu individuellement tant la SAS Dfds Seaways que les salariés, le 16 juillet 2015. Chacune des parties a donc, à nouveau, pu faire valoir, préalablement à la décision ministérielle, tous éléments, notamment par rapport à la motivation de la décision de l'inspecteur du travail. Le fait que seule une décision implicite ait été prise à l'issue de cette audition ne saurait démontrer que le principe du contradictoire aurait été méconnu, alors que les parties avaient pu faire valoir leurs observations. Le moyen tiré du défaut du contradictoire est donc écarté dans toutes ses branches.

10. Les décisions de l'inspectrice du travail visent les articles du code du travail dont elles font application et considèrent, après avoir cité le rapport de l'expert-comptable établi à la demande du comité d'entreprise, que la SAS Dfds Seaways ne démontre pas la réalité du motif économique, apprécié au niveau de l'activité de transport maritime du groupe dont fait partie cette société. La SAS Dfds Seaways n'établit pas, ainsi qu'il a été dit, qu'elle aurait fourni des éléments allant à l'encontre de ces constats dont l'inspectrice du travail n'aurait pas tenu compte. Dans ces conditions, la décision contestée comprend les considérations de fait qui la fondent. La décision du ministre pour sa part, était implicite. La SAS Dfds Seaways ne démontre pas qu'elle aurait demandé communication des motifs de cette dernière décision. Elle ne peut donc se prévaloir du défaut de motivation de la décision du ministre. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre du travail est fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Rouen a annulé les décisions de l'inspecteur du travail du 2 avril 2015 autorisant les licenciements G... D... et de MM. B... et A... ainsi que les rejets implicites par la ministre du travail des recours hiérarchiques contre ces décisions.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur ce fondement par la SAS Dfds Seaways contre l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Les jugements nos1503896, 1503898 et 1503899 du tribunal administratif de Rouen du 29 juin 2017 sont annulés.

Article 2 : Les demandes présentées par la SAS Dfds Seaways devant le tribunal administratif de Rouen sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de la SAS Dfds Seaways au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre du travail, à la SAS Dfds Seaways, à Mme E... D..., à M. F... B... et à M. C... A....

2

N°17DA01699, 17DA01700, 17DA01701


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17DA01699,17DA01700,17DA1701
Date de la décision : 12/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour motif économique.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : CABINET ACTANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 24/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-12-12;17da01699.17da01700.17da1701 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award