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05/11/2019 | FRANCE | N°19DA01203

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 05 novembre 2019, 19DA01203


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 5 avril 2019 par lequel le préfet du Pas-de-Calais lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 1902966 du 12 avril 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 5 avril 2019 en

tant qu'il fixe le pays de destination et a rejeté le surplus des conclusions.

Proc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 5 avril 2019 par lequel le préfet du Pas-de-Calais lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 1902966 du 12 avril 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 5 avril 2019 en tant qu'il fixe le pays de destination et a rejeté le surplus des conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 mai 2019, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de destination ;

2°) de rejeter les conclusions de la demande dirigées contre l'arrêté du 5 avril 2019 en tant qu'il fixe le pays de destination.

Il soutient qu'il n'est pas établi que M. C... court un risque direct et personnel de subir des traitements contraires aux dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 août 2019, M. C..., représenté par Me D... E..., conclut au rejet de la requête et demande en outre à la cour, par la voie de l'appel incident :

1°) d'annuler le jugement en tant qu'il rejette ses conclusions dirigées contre les décisions l'obligeant à quitter le territoire français, lui refusant un délai de départ volontaire et lui interdisant de revenir sur le territoire français pour une durée d'un an ;

2°) d'annuler l'arrêté du 5 avril 2019 en tant qu'il l'oblige à quitter le territoire français, lui refuse un délai de départ volontaire et lui interdit de revenir sur le territoire français pour une durée d'un an ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Christian Boulanger, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant ghanéen né le 25 mars 1989, déclare être entré en France en mars 2019. Le 5 avril 2019, il a été interpellé par les services de la police aux frontières en possession d'une carte d'identité ne lui appartenant pas. Il n'a pas été en mesure de justifier de son identité ou de son droit à circuler ou à séjourner sur le territoire français. Le même jour, une mesure d'éloignement a été prise par le préfet du Pas-de-Calais puis notifiée à l'intéressé. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté préfectoral en tant qu'il fixe le pays de destination. Par la voie de l'appel incident, M. C... demande l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français, lui refusant un délai de départ volontaire et lui interdisant de revenir sur le territoire français pour une durée d'un an.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. (...) / (...) / L'enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrés après la présentation de la demande à l'autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation. (...) / (...) / Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. / La délivrance de cette attestation ne peut être refusée au motif que l'étranger est démuni des documents et visas mentionnés à l'article L. 211-1. Elle ne peut être refusée que dans les cas prévus aux 5° et 6° de l'article L. 743-2. / Cette attestation n'est pas délivrée à l'étranger qui demande l'asile à la frontière ou en rétention ". Aux termes de l'article L. 743-1 du même code : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'office, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la cour statuent ". L'article L. 743-2 du même code prévoit que : " (...) le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé lorsque : / (...) / 5° L'étranger présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif d'une première demande de réexamen ; / 6° L'étranger fait l'objet d'une décision définitive d'extradition vers un Etat autre que son pays d'origine ou d'une décision de remise sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen ou d'une demande de remise par une cour pénale internationale. / (...) ". Aux termes de l'article L. 743-4 du même code : " Sans préjudice des articles L. 556-1 et L. 571-4, lorsque l'étranger sollicitant l'enregistrement d'une demande d'asile a fait l'objet, préalablement à la présentation de sa demande, d'une mesure d'éloignement prise en application du livre V, celle-ci, qui n'est pas abrogée par la délivrance de l'attestation prévue à l'article L. 741-1, ne peut être mise à exécution tant que l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français dans les conditions prévues aux articles L. 743-1 et L. 743-2. / (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article R. 741-2 du même code : " Lorsque l'étranger présente sa demande auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, des services de police ou de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire, la personne est orientée vers l'autorité compétente. Il en est de même lorsque l'étranger a introduit directement sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sans que sa demande ait été préalablement enregistrée par le préfet compétent. Ces autorités fournissent à l'étranger les informations utiles en vue de l'enregistrement de sa demande d'asile (...) ".

4. Lors de son audition, au cours de laquelle il était assisté d'un interprète, M. C... a déclaré qu'il avait quitté son pays car il était persécuté en raison de son homosexualité, interdite par sa religion. Il a également indiqué ne pas vouloir retourner au Ghana par peur de se faire tuer. Toutefois, il a reconnu n'avoir effectué aucune démarche administrative dans le but de régulariser sa situation en France. En outre, à aucun moment il n'a exprimé le souhait de demander l'asile en France ou dans un autre pays. Dès lors, en s'abstenant de déduire de ces déclarations, peu circonstanciées, que l'intéressé souhaitait formuler une demande d'asile, en ne l'admettant pas provisoirement au séjour et en lui faisant obligation de quitter le territoire français, le préfet du Pas-de-Calais n'a pas entaché sa décision d'une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français est entachée d'illégalité.

Sur la décision portant refus de délai de départ volontaire :

6. Compte-tenu de ce qui a été dit au point 5, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an :

7. Compte-tenu de ce qui a été dit au point 5, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

8. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à la date des décisions contestées : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / (...) ".

9. La décision prononçant à l'encontre de M. C... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, qui mentionne les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code précité, indique notamment qu'il ne séjourne en France que depuis quelques jours, qu'il n'a aucun lien privé ou familial en France, qu'il n'a pas fait l'objet précédemment d'une mesure d'éloignement et qu'il ne représente pas une menace pour l'ordre public. Ainsi, cette décision comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle n'avait en outre pas à faire état expressément de l'absence de circonstances humanitaires susceptibles de faire obstacle en l'espèce au prononcé d'une interdiction de retour. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée doit être écarté comme manquant en fait.

10. M. C... soutient être entré sur le territoire français quelques jours avant son interpellation. Il ne se prévaut d'aucune d'attache familiale ou privée en France. La décision en litige ne fait pas obstacle à ce que le requérant présente, ainsi qu'il dit l'avoir fait lors de sa rétention administrative, une demande d'asile. Par suite, et alors même que M. C... n'a jamais fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et ne constitue pas une menace pour l'ordre public, le préfet du Pas-de-Calais n'a pas entaché sa décision d'interdiction de retour d'une erreur d'appréciation.

11. Il résulte de ce qui précède que les décisions portant obligation de quitter le territoire français, refus d'un délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ne sont pas entachées d'illégalité. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir, par la voie de l'appel incident que, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 avril 2019 en tant qu'il lui fait obligation de quitter le territoire français, lui refuse un délai de départ volontaire et lui interdit de revenir sur le territoire français pour une durée d'un an.

Sur la décision fixant le pays de destination :

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille :

12. M. C... soutient avoir quitté le Ghana pour fuir les persécutions qu'il subissait en raison de son orientation sexuelle. Cependant, à supposer établie celle-ci, la réalité de violences subies dans son pays d'origine ne ressort nullement des pièces du dossier, faute de tout élément probant en ce sens. Par ailleurs, l'intéressé n'apporte devant la juridiction aucun élément de nature à établir ou même à faire présumer comme suffisamment sérieux les risques le concernant pour les raisons invoquées en cas de retour dans son pays d'origine. Au demeurant, l'intéressé n'a pas déposé de demande d'asile lors de son séjour aux Pays-Bas ou en France avant son interpellation. Dans ces conditions, en dépit de la circonstance que l'homosexualité est passible de sanctions pénales au Ghana et que les homosexuels y seraient la cible d'agressions violentes et peu réprimées, l'intéressé ne démontre pas qu'il serait personnellement exposé à des risques directs de peines ou traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler la décision fixant le pays à destination duquel M. C... pourrait être éloigné en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement.

13. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés devant la juridiction administrative par M. C... à l'encontre de la décision fixant le pays de destination.

En ce qui concerne les autres moyens :

14. Compte-tenu de ce qui a été dit au point 5, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

15. Par un arrêté du 18 décembre 2017, publié le même jour au recueil spécial des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Pas-de-Calais a donné délégation à M. B... A..., chef du bureau de l'éloignement et adjoint au directeur des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer les décisions contestées. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée doit être écarté.

16. L'arrêté attaqué comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Il précise notamment que M. C... n'établit pas être exposé à des peines ou des traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il décide, en outre, qu'il est fait obligation à l'intéressé de quitter le territoire français à destination du pays dont il revendique la nationalité ou de tout autre pays où il établirait être légalement admissible. Le préfet doit ainsi être regardé comme ayant, par une décision distincte de l'obligation de quitter le territoire français, décidé que l'intéressé pourrait notamment être reconduit au Ghana. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 5 avril 2019 fixant le pays de destination.

Sur les frais liés au litige :

18. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme au conseil de M. C... au titre des frais exposés à l'occasion du litige.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement du 12 avril 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Lille et ses conclusions incidentes en appel, y compris celles tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. F... C... et à Me D... E....

N°19DA01203 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19DA01203
Date de la décision : 05/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Boulanger
Rapporteur ?: M. Christian Boulanger
Rapporteur public ?: M. Minet
Avocat(s) : MARSEILLE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-11-05;19da01203 ?
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