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24/09/2019 | FRANCE | N°19DA00846

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 24 septembre 2019, 19DA00846


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 8 février 2019 de la préfète de la Seine-Maritime ordonnant son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1900680 du 15 mars 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 8 février 2019, a enjoint à l'Etat de statuer de nouveau sur le cas de M. D... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 800 euros

au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du co...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 8 février 2019 de la préfète de la Seine-Maritime ordonnant son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1900680 du 15 mars 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 8 février 2019, a enjoint à l'Etat de statuer de nouveau sur le cas de M. D... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 800 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 avril 2019 et le 5 septembre 2019, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Rouen.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet de la Seine-Maritime interjette appel du jugement du 15 mars 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a, à la demande de M. D..., ressortissant de la République de Guinée né le 1er avril 1993, annulé son arrêté du 8 février 2019 ordonnant le transfert de l'intéressé aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Sur la fin de non-recevoir opposée par M. D... :

2. Contrairement à ce que fait valoir M. D..., la requête du préfet de la Seine-Maritime critique les motifs du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen. La fin de non-recevoir opposée par l'intimé ne peut, dès lors, qu'être écartée.

Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen :

3. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ".

4. M. D... a déclaré, lors de son entretien individuel dans les locaux de la préfecture, que son épouse et leur fille avaient présenté une demande d'asile en France. Il ressort toutefois des pièces du dossier, et notamment du courrier adressé le 22 janvier 2019 par l'intéressé lui-même à la préfecture, que celui-ci a déclaré que son épouse avait quitté Evreux avec l'enfant, qu'elle avait " disparu " et qu'il " ne sait pas ce qu'elle est devenue ". S'il fait valoir en appel, au demeurant sans l'établir, que son épouse a été prise en charge en tant que " mère isolée ", et qu'il " envisage " de saisir le juge aux affaires familiales concernant sa fille, ces éléments ne suffisent pas à établir qu'à la date de la décision, sa situation familiale rendait nécessaire l'usage de ses pouvoirs discrétionnaires par la préfète de la Seine-Maritime. Dans ces circonstances, en l'absence d'éléments matériels susceptibles de corroborer ses allégations relatives au statut de demandeur d'asile de son épouse, il n'est pas établi que la décision en litige serait susceptible de porter atteinte à l'unité familiale de M. D.... Le moyen tiré de ce que la préfète de la Seine-Maritime aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage du pouvoir discrétionnaire qu'elle tient de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 doit, dès lors, être écarté.

5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a retenu ce moyen pour annuler l'arrêté du 8 février 2019.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de Rouen.

Sur les autres moyens soulevés en première instance par M. D... :

7. Eu égard au caractère réglementaire des arrêtés de délégation de signature, soumis à la formalité de publication, le juge peut, sans méconnaître le principe du caractère contradictoire de la procédure, se fonder sur l'existence de ces arrêtés alors même que ceux-ci ne sont pas versés au dossier. L'arrêté en litige a été signé par Mme C... B..., adjointe au chef du pôle régional " Dublin ", qui a reçu délégation, par arrêté n° 19-05 du 18 janvier 2019, publié le jour même au recueil spécial n° 11 des actes administratifs de la préfecture, pour signer notamment les arrêtés de transfert. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté du 8 février 2019 ne peut qu'être écarté.

8. L'arrêté contesté fait état des éléments de fait relatifs à la situation personnelle de l'intéressé, et vise notamment le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il relève qu'il résulte de l'examen du relevé des empreintes digitales de M. D... que ce dernier a sollicité l'asile en Italie et que les autorités italiennes, saisies sur le fondement de l'article 18-1 b) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont implicitement donné leur accord pour la reprise en charge de M. D... le 2 février 2019. L'arrêté en litige comporte ainsi l'énoncé des considérations de fait et de droit sur lesquelles il se fonde, sans que la préfète de la Seine-Maritime ait été tenue de citer intégralement les dispositions appliquées, la mention des articles du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 suffisant à comprendre le raisonnement suivi par la préfète. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté en litige ne peut qu'être écarté.

9. Aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".

10. Il ressort du résumé de l'entretien qui s'est déroulé le 14 janvier 2019 dans les locaux de la préfecture de la Seine-Maritime, que M. D... a été personnellement reçu par un " agent qualifié de la préfecture ". Il ressort du même document que l'entretien s'est déroulé en langue française, que l'intéressé avait déclaré comprendre et parler, et que les informations écrites lui ont été lues dans cette langue, après qu'il a déclaré ne pas savoir lire, et que ce résumé lui a été remis en main propre le jour de l'entretien. Par suite, le moyen tiré de ce que l'entretien individuel n'aurait pas été conforme aux dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.

11. L'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dispose : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères (...) c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ".

12. Il ressort des pièces versées au dossier par la préfète de la Seine-Maritime que M. D... s'est vu remettre, lors de l'entretien individuel qui s'est tenu le 14 janvier 2019, les brochures " A " et " B ", contenant les informations sur la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen des demandes d'asile prévues par l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 précité ainsi que le guide du demandeur d'asile, en langue française que l'intéressé a déclaré parler et que tous ces documents lui ont été lus dans cette langue. Le moyen tiré du défaut d'information doit, par suite, être écarté.

13. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

14. L'Italie étant membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de la Seine-Maritime aurait à tort considéré que cette présomption était irréfragable. M. D... ne produit, en outre, aucun élément propre à sa situation particulière, dont il résulterait que son dossier ne serait pas traité par les autorités italiennes dans les conditions répondant à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que l'intéressé serait effectivement et personnellement exposé à un risque de non-respect de ses droits fondamentaux en cas de transfert aux autorités italiennes. Par suite, en décidant de prononcer le transfert de M. D... vers l'Italie, la préfète de la Seine-Maritime n'a méconnu ni les dispositions de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

15. Il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de Rouen ou devant la cour n'est fondé. Par voie de conséquence, le préfet de la Seine-Maritime est fondée à demander l'annulation du jugement du 15 mars 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen ainsi que le rejet de la demande de première instance de M. D.... Les conclusions présentées en appel par M. D... au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1900680 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen du 15 mars 2019 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Rouen et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... D....

Copie sera transmise au préfet de la Seine-Maritime.

2

N°19DA00846


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA00846
Date de la décision : 24/09/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: M. Julien Sorin
Rapporteur public ?: Mme Leguin
Avocat(s) : MATRAND

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-09-24;19da00846 ?
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