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18/07/2019 | FRANCE | N°19DA00541

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 18 juillet 2019, 19DA00541


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 décembre 2018 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a ordonné son transfert aux autorités espagnoles.

Par un jugement n° 1900151 du 1er février 2019, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 mars 2019, la préfète de la Seine-Maritime demande à l

a cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. A....

Elle soutient qu'à la d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 décembre 2018 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a ordonné son transfert aux autorités espagnoles.

Par un jugement n° 1900151 du 1er février 2019, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 mars 2019, la préfète de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. A....

Elle soutient qu'à la date de l'arrêté en litige, les autorités espagnoles avaient accepté de reprendre en charge M. A... sur leur territoire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juin 2019, M. C... A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour en qualité de demandeur d'asile, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Charles-Edouard Minet, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant de la République du Congo, est entré irrégulièrement en France et a présenté une demande d'asile le 4 octobre 2018. A l'occasion de l'examen de cette demande, la consultation du fichier " Eurodac " a fait apparaître que les empreintes digitales de l'intéressé avaient été relevées en Espagne le 11 septembre 2018, à l'occasion du franchissement de la frontière de ce pays. Par un arrêté du 19 décembre 2018, la préfète de la Seine-Maritime a ordonné son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile. M. A... a formé un recours pour excès de pouvoir contre cet arrêté. La préfète de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 1er février 2019 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 19 décembre 2018.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. D'une part, les articles 20 et suivants du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride fixent les règles selon lesquelles sont organisées les procédures de prise en charge ou de reprise en charge d'un demandeur d'asile par l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile. Ces articles déterminent notamment les conditions dans lesquelles l'Etat sur le territoire duquel se trouve le demandeur d'asile requiert de l'Etat qu'il estime responsable de l'examen de la demande de prendre ou de reprendre en charge le demandeur d'asile. Dans ce cadre, le paragraphe 1 de l'article 26 du règlement précise : " Lorsque l'État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale ". Le paragraphe 1 de l'article 27 du règlement prévoit, pour sa part, que le demandeur " dispose d'un droit de recours effectif, sous la forme d'un recours contre la décision de transfert ou d'une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction ".

3. Pour pouvoir procéder au transfert d'un demandeur d'asile vers un autre Etat membre en mettant en oeuvre ces dispositions du règlement, et en l'absence de dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile organisant une procédure différente, l'autorité administrative doit obtenir l'accord de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile avant de pouvoir prendre une décision de transfert du demandeur d'asile vers cet Etat. Une telle décision de transfert ne peut donc être prise, et a fortiori être notifiée à l'intéressé, qu'après l'acceptation de la prise en charge par l'Etat requis. Le juge administratif, statuant sur des conclusions dirigées contre la décision de transfert et saisi d'un moyen en ce sens, prononce l'annulation de la décision de transfert si elle a été prise sans qu'ait été obtenue, au préalable, l'acceptation par l'Etat requis de la prise ou de la reprise en charge de l'intéressé.

4. D'autre part, aux termes du premier paragraphe de l'article 21 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur (...) ". Aux termes de l'article 22 du même règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête. / (...) 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 (...) équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ".

5. Il ressort des pièces du dossier que la préfète de la Seine-Maritime a adressé une demande de prise en charge de M. A... aux autorités espagnoles le 8 octobre 2018, à laquelle était jointe un formulaire-type comportant les informations utiles. La seule circonstance que l'exemplaire de ce formulaire versé aux débats par la préfecture de la Seine-Maritime ne comporte pas de signature électronique n'est pas de nature à établir, en l'absence de tout autre élément en ce sens, que ce document ne correspond pas à la pièce qui était jointe à la demande de prise en charge adressée par la préfecture aux autorités espagnoles. En application des dispositions du paragraphe 7 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, citées au point précédent, en l'absence de réponse des autorités espagnoles à l'expiration d'un délai de deux mois, cette demande a fait naître un accord implicite de prise en charge de M. A... le 8 décembre 2018. Si celui-ci fait valoir que l'accusé de réception émis par le point national d'accès français à l'application " Dublinet " ne suffit pas à établir que la demande de reprise en charge a effectivement été adressée aux autorités espagnoles, il ressort des pièces du dossier, en tout état de cause, que les autorités espagnoles, saisies par la France d'un " constat d'accord implicite " le 18 décembre 2018, ont confirmé, le 26 décembre 2018, la réalité de cet accord implicite, admettant ainsi qu'elles avaient bien reçu la demande de reprise en charge qui leur avait été adressée par les autorités françaises. Enfin, dès lors que cet accord implicite était antérieur à l'arrêté en litige, celui-ci n'est pas intervenu en méconnaissance des règles rappelées aux points 2 et 3, nonobstant la circonstance que les autorités espagnoles n'ont confirmé cet accord implicite que postérieurement à la décision de transfert.

6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 5 que la préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen s'est fondée sur ce motif pour annuler l'arrêté en litige. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant la juridiction administrative.

Sur les autres moyens soulevés par M. A... :

7. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

8. L'arrêté en litige, qui énonce précisément les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivé au regard de ces exigences.

9. Aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...) ". / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article ".

10. Il ressort des pièces versées au dossier par l'administration que M. A... a reçu communication, le 4 octobre 2018, de plusieurs brochures et documents contenant les informations requises par les dispositions citées au point précédent. En l'absence de toute contestation précise de la teneur de ces documents, il n'est pas fondé à soutenir que ces dispositions auraient été méconnues.

11. Aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

12. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié, le 4 octobre 2018, d'un entretien mené par un agent de la préfecture de la Seine-Maritime, dans les locaux de celle-ci. L'intéressé n'apporte aucune précision à l'appui du moyen selon lequel cet agent n'était pas qualifié pour mener cet entretien, ni aucun élément quant aux conséquences de cette prétendue absence de qualification, alors qu'il résulte du résumé de l'entretien qu'il a pu apporter les précisions utiles sur sa situation personnelle. Si, par ailleurs, M. A... fait valoir que, contrairement à ce que soutient la préfète de la Seine-Maritime, il n'a pas reçu de copie du résumé de l'entretien, il n'allègue pas, en tout état de cause, en avoir fait la demande. Il n'est dès lors pas fondé à soutenir que les dispositions citées au point précédent ont été méconnues.

13. Aux termes du premier paragraphe de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté ainsi laissée à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

14. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en ne faisant pas usage de cette faculté, la préfète de la Seine-Maritime ait commis une erreur manifeste d'appréciation de la situation de M. A..., qui au demeurant n'assortit ce moyen d'aucune précision.

15. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 14 que M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision de la préfète de la Seine-Maritime de le transférer aux autorités espagnoles est entachée d'illégalité.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 19 décembre 2018. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... doivent être rejetées, de même que la demande présentée par son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen du 1er février 2019 est annulé.

Article 2 : La demande de M. A... et ses conclusions présentées devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., au ministre de l'intérieur et à Me B....

N°19DA00541


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19DA00541
Date de la décision : 18/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335 Étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. Richard
Rapporteur ?: M. Charles-Edouard Minet
Rapporteur public ?: Mme Fort-Besnard
Avocat(s) : ELATRASSI-DIOME

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-07-18;19da00541 ?
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