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20/06/2019 | FRANCE | N°18DA02215

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre - formation à 3, 20 juin 2019, 18DA02215


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B...a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 29 mai 2018 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a ordonné son transfert aux autorités italiennes.

Par un jugement n° 1801991 du 28 juin 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 novembre 2018, Mme B..., représentée par Me C..., demande à la cour : <

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1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;

3°) d'enjoindre à l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B...a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 29 mai 2018 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a ordonné son transfert aux autorités italiennes.

Par un jugement n° 1801991 du 28 juin 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 novembre 2018, Mme B..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour en qualité de demandeur d'asile dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de cent euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Michel Richard, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A...B..., ressortissante arménienne, née le 8 avril 1978, a déposé en France une demande d'asile le 20 mars 2018. La consultation d'Eurodac a fait apparaître l'existence d'un visa valable du 4 février 2018 au 5 mars 2018, délivré par les autorités italiennes. L'Italie, consultée par la France, a accepté de prendre en charge l'intéressée. Par un arrêté du 29 mai 2018, la préfète de la Seine-Maritime a ordonné son transfert vers l'Italie. Mme B... relève appel du jugement du 28 juin 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... avait soulevé, devant le tribunal administratif de Rouen, un moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté en litige. Les visas du jugement attaqué font d'ailleurs mention de ce moyen. Le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen n'a toutefois pas expressément écarté ce moyen, qui n'était pas inopérant, dans les motifs de son jugement. Il suit de là que Mme B... est fondée à soutenir que ce jugement est irrégulier et à en demander, pour ce motif, l'annulation.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Rouen.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de transfert :

4. Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ". Il résulte de ces dispositions que la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

5. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

6. Il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée vise le règlement du 26 juin 2013. Elle énonce que les contrôles effectués en application des dispositions de l'article 9 du règlement (UE) n° 603/2013 ont révélé que Mme B... avait obtenu un visa des autorités italiennes. Elle précise également que ces dernières ont été saisies sur le fondement du 4 de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013. Elle indique enfin que l'Italie a accepté de la prendre en charge et doit être regardée comme responsable de l'examen de sa demande d'asile. Dès lors, cet arrêté énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde avec une précision suffisante pour permettre à Mme B... de comprendre les motifs de la décision et, le cas échéant, d'exercer utilement son recours. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation manque en fait et doit être écarté.

7. Aux termes de l'article 4 - Droit à l'information - du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n°603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement ".

8. Il ressort des pièces du dossier, et notamment d'une attestation du 20 mars 2018 signée par Mme B..., qu'elle s'est vue remettre le guide du demandeur d'asile ainsi que l'information sur les règlements communautaires, à savoir les brochures A " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " en langue arménienne, qu'elle a déclaré comprendre lors de son entretien du 20 mars 2018. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

9. Il ressort des pièces du dossier et notamment du résumé de l'entretien individuel que Mme B... a été informée par le biais de son interprète en langue arménienne qu'elle a déclaré comprendre, de la possibilité de fournir dans un délai de huit jours tout document qu'elle jugerait nécessaire. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure faute d'avoir été invitée à présenter ses observations dans une langue comprise doit être écarté.

10. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur (...) / (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. (...) / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

11. Il ressort des pièces du dossier, notamment des mentions portées sur le compte-rendu signé par la requérante, que l'entretien prévu par les dispositions précitées s'est déroulé le 20 mars 2018 dans les locaux de la préfecture de Rouen, dans une pièce fermée, qu'il a été mené par un agent qualifié et que la requérante a bénéficié de l'assistance d'une interprète. L'intéressé ne remet pas sérieusement en cause ces éléments. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

12. Aux termes de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines et traitements inhumains et dégradants ".

13. L'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

14. Mme B... fait valoir qu'elle souffre d'obésité morbide, de diabète, de dyslipidémie, d'hypothyroïdie, pour lesquels elle est médicalement suivie en France. Elle ne produit toutefois aucun document de nature à établir que la situation générale en Italie ne permettrait pas d'y assurer un niveau de protection suffisant aux demandeurs d'asile et que son transfert vers ce pays l'exposerait à un risque personnel de traitement inhumain ou dégradant, en raison de son état de santé. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision en litige aurait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de celles de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.

15. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

16. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est célibataire et sans enfant à charge en France. Elle ne démontre pas y avoir d'attache particulière. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, elle n'établit pas la réalité des risques qu'elle dit encourir en cas de transfert en Italie, notamment en raison de son état de santé. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la préfète de la Seine-Maritime aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

17. Pour les motifs cités au point précèdent, le moyen tiré de l'erreur manifeste qu'aurait commise l'autorité préfectorale dans l'appréciation des conséquences de sa mesure sur la situation personnelle de l'intéressée doit être écarté.

18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 29 mai 2018 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a ordonné son transfert aux autorités italiennes. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées à fin d'injonction et au titre des frais liés au litige doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 28 juin 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Rouen et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B..., au ministre de l'intérieur et à Me C....

N°18DA02215 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18DA02215
Date de la décision : 20/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335 Étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. Boulanger
Rapporteur ?: M. Michel Richard
Rapporteur public ?: Mme Fort-Besnard
Avocat(s) : ELATRASSI-DIOME

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-06-20;18da02215 ?
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