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14/05/2019 | FRANCE | N°17DA00998

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3 (bis), 14 mai 2019, 17DA00998


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F...A...et M. G...B...ont demandé au tribunal administratif d'Amiens, à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Chauny à payer à chacun d'eux la somme de 50 000 euros au titre de leur préjudice moral résultant du décès de leur enfant, Lola A..., survenu le 23 octobre 2011, au cours de sa naissance et, à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier universitaire d'Amiens à payer à chacun d'eux la somme de 50 000 euros au titre de ce même préjudice.

Par un jugement n

° 1500789 du 23 mars 2017, le tribunal administratif d'Amiens, après avoir mis ho...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F...A...et M. G...B...ont demandé au tribunal administratif d'Amiens, à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Chauny à payer à chacun d'eux la somme de 50 000 euros au titre de leur préjudice moral résultant du décès de leur enfant, Lola A..., survenu le 23 octobre 2011, au cours de sa naissance et, à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier universitaire d'Amiens à payer à chacun d'eux la somme de 50 000 euros au titre de ce même préjudice.

Par un jugement n° 1500789 du 23 mars 2017, le tribunal administratif d'Amiens, après avoir mis hors de cause le centre hospitalier de Chauny, a condamné le centre hospitalier universitaire d'Amiens à verser à Mme A... et à M.B..., la somme de 5 000 euros chacun, mis à sa charge les frais d'expertise et rejeté le surplus des conclusions de leur requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 mai 2017, Mme A...et M.B..., représentés par Me D...J..., demandent à la cour :

1°) de réformer ce jugement en tant qu'il a mis hors de cause le centre hospitalier de Chauny et limité à 5 000 euros la somme que le centre hospitalier universitaire d'Amiens a été condamné à leur verser à chacun d'eux en indemnisation du préjudice moral subi ;

2°) à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Chauny à payer à chacun d'eux la somme de 50 000 euros au titre de leur préjudice moral résultant du décès de leur enfant et, à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier universitaire d'Amiens à payer à chacun d'eux la somme de 50 000 euros au titre de ce même préjudice ;

3°) à titre principal, de mettre à la charge du centre hospitalier de Chauny une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, à titre subsidiaire, de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire d'Amiens la même somme.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public,

- et les observations de Me D...J..., représentant Mme A...et M.B..., de Me H...E..., représentant le centre hospitalier de Chauny et de Me C...I..., représentant le centre hospitalier universitaire d'Amiens.

Une note en délibéré présentée par le centre hospitalier de Chauny a été enregistrée le 9 mai 2019.

Considérant ce qui suit :

1. MmeA..., alors âgée de trente ans, a été admise en urgence en consultation à la maternité du centre hospitalier de Chauny le 23 octobre 2011 à 18 heures 43 au terme de trente-huit semaines et demie d'aménorrhée après une rupture de la poche des eaux, après qu'une échographie réalisée lors d'une précédente visite le matin même ait révélé une présentation du foetus en siège complet. Mme A...a accouché par voie basse et a donné naissance, à 19 heures 13, à un enfant en état de mort apparente. A la suite du décès de leur enfant, dont l'autopsie a été réalisée le 27 octobre 2011 par le centre hospitalier universitaire d'Amiens, Mme A... et M. B...ont recherché, à titre principal, la responsabilité du centre hospitalier de Chauny à raison des fautes qui auraient été commises lors des manoeuvres d'extraction de l'enfant et, à titre subsidiaire, la responsabilité du centre hospitalier universitaire d'Amiens à raison des manquements commis lors de l'autopsie de l'enfant, celle-ci ne permettant pas de déterminer les causes du décès. Ils ont saisi, le 4 février 2014, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI), qui a rejeté leur demande, par une décision du 17 juin 2014. Mme A...et M. B...relèvent appel du jugement du 23 mars 2017 du tribunal administratif d'Amiens en tant qu'il a mis hors de cause le centre hospitalier de Chauny et limité à 5 000 euros la somme que le centre hospitalier universitaire d'Amiens a été condamné à verser à chacun d'eux en indemnisation de leur préjudice moral.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Chauny :

Sur le défaut d'information :

2. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel ".

3. La circonstance que l'accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas les médecins de l'obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu'il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du foetus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir. En particulier, en présence d'une pathologie de la mère ou de l'enfant à naître ou d'antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d'accouchement par voie basse, l'intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention.

4. Mme A...soutient qu'elle n'a pas eu d'information sur les risques de décès lors de l'accouchement par voie basse de son enfant qui se présentait par le siège. Il résulte cependant de l'instruction, tant du rapport de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens du 23 avril 2013 que de celui établi le 9 mai 2014 par l'expert désigné par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, que l'équipe médicale a donné à Mme A...le 23 octobre 2011 tous les éléments d'information nécessaires sur l'accouchement d'un enfant qui se présente par le siège et que celle-ci a donné son accord sur la proposition d'accouchement par voie naturelle, après l'évaluation qui a été faite de la situation. Par suite, aucun défaut d'information n'est imputable au centre hospitalier de Chauny.

Sur l'existence d'une faute dans la prise en charge de Mme A...:

5. Les requérants soutiennent que le centre hospitalier de Chauny a commis une faute dans sa prise en charge de nature à engager sa responsabilité dès lors que le décès de leur enfant est survenu à la suite des manoeuvres obstétricales pratiquées au moment de l'accouchement, qui ont entraîné des lésions médullaires ou bulbaires. Il résulte tout d'abord de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise du 23 avril 2013, qu'après la rupture des membranes, le travail a été rapide avec une dilation du col de l'utérus de neuf cm, qui laissait présager d'un accouchement imminent même en présentation de siège, de sorte qu'il était logique et raisonnable de poursuivre l'accouchement par voie basse. Il résulte de l'instruction que si le rythme cardiaque foetal était normal jusqu'à 19 heures 08 alors que le siège complet était engagé dans le bassin maternel, une bradycardie est apparue nécessitant l'accélération de l'accouchement par des manoeuvres spécifiques afin d'éviter une hypoxie anoxie foetale. Une manoeuvre de Lovset, consistant à résoudre le problème du relèvement des bras du foetus puis de Bracht-Moriceau permettant de dégager la tête foetale en la solidarisant avec le reste du corps ont ainsi été opérées. Si les experts précisent que ces manoeuvres doivent être réalisées avec beaucoup de douceur afin d'éviter toute traction ou rotation trop importante de la région cervicale pouvant entraîner des élongations importantes ou des ruptures au niveau du bulbe rachidien et ou de la moelle épinière pouvant expliquer une mort brutale et évoquent l'hypothèse d'une réalisation traumatique de ces manoeuvres réalisées en fin d'accouchement dans la mesure où le décès est survenu pendant celles-ci, ils précisent cependant que cette coïncidence n'est pas suffisante pour établir un lien de causalité entre ces manoeuvres et le décès et que cette hypothèse n'est étayée par aucun élément objectif. L'expert désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens souligne également qu'il lui " est impossible de se prononcer sur un éventuel traumatisme rachidien ou sur l'existence d'une pathologie de la moelle qui aurait éventuellement permis d'expliquer ce décès brutal ". Le second expert confirme cette analyse en précisant également qu'aucun élément dans l'analyse des dires des parties ne permet d'affirmer que l'accouchement a été brutal au point de provoquer un traumatisme du rachis. En conséquence, et alors que l'hypothèse de lésions médullaires ou bulbaires n'a pu être corroborée en l'absence d'autopsie approfondie, aucune faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Chauny ne peut être retenue. Par suite, les conclusions indemnitaires de Mme A... et de M. B...présentées à l'encontre de cet établissement ne peuvent qu'être rejetées.

Sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire d'Amiens :

6. Mme A...et M. B...ont accepté qu'une autopsie du corps de leur enfant soit pratiquée et celle-ci a été réalisée par le centre hospitalier universitaire d'Amiens. Toutefois, cette autopsie, effectuée par un interne en formation qui a été insuffisamment supervisé, n'a pas été pratiquée dans les règles de l'art et les résultats de celle-ci, incomplets et erronés selon les dires des experts, n'ont pas permis à ceux-ci de déterminer les causes de la mort de l'enfant et notamment de se prononcer sur l'existence d'un traumatisme rachidien ou d'une pathologie de la moelle épinière pouvant expliquer ce décès. Si les négligences du centre hospitalier universitaire d'Amiens n'ont pas été à l'origine du décès de l'enfant, elles ont cependant entraîné une impossibilité de déterminer les causes de la mort de ce dernier et ont occasionné un préjudice moral d'une particulière intensité pour les parents de celui-ci. Dans les circonstances très particulières de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à chacun une somme de 10 000 euros.

7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A...et M. B...sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a limité à 5 000 euros la somme que le centre hospitalier universitaire d'Amiens a été condamné à leur verser à chacun d'eux en indemnisation de leur préjudice moral subi.

Sur les frais liés à l'instance :

8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... et de M. B...la somme demandée par le centre hospitalier de Chauny au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire d'Amiens le versement à Mme A...et à M. B...d'une somme de 1 000 euros au titre de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 5 000 euros que le centre hospitalier universitaire d'Amiens a été condamné à verser à Mme A...et M.B..., chacun, est portée à 10 000 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1500789 du 23 mars 2017 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le centre hospitalier universitaire d'Amiens versera à Mme A...et à M. B... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A...et de M. B...et les conclusions présentées par le centre hospitalier de Chauny au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F...A..., à M. G...B..., au centre hospitalier de Chauny et au centre hospitalier universitaire d'Amiens.

Copie sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise.

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N°17DA00998


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre - formation à 3 (bis)
Numéro d'arrêt : 17DA00998
Date de la décision : 14/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. Absence de faute.


Composition du Tribunal
Président : Mme Courault
Rapporteur ?: Mme Muriel Milard
Rapporteur public ?: Mme Leguin
Avocat(s) : CABINET LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-05-14;17da00998 ?
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