Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Rouen :
1°) de surseoir à statuer sur la recevabilité de sa demande dans l'attente de la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d'Etat au Conseil constitutionnel ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 18 octobre 2017 par lequel la préfète de la Seine-Maritime lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de huit jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard.
Par un jugement n° 1800026 du 12 janvier 2018, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen a jugé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité à la Constitution des dispositions du IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a sursis à statuer sur la requête de M.A... jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé ou, s'il a été saisi, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité soulevée.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 février 2018 et le 28 février 2018, la préfète de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement avant-dire droit du 12 janvier 2018 du tribunal administratif de Rouen ;
2°) de rejeter la demande de M. A...devant ce tribunal.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant tunisien entré irrégulièrement en France en 2004, a été condamné par un jugement du 16 juin 2016 du tribunal correctionnel de Rouen à quatre ans d'emprisonnement pour des faits de blanchiment douanier, transport non autorisé de stupéfiants, détention non autorisée de stupéfiants, acquisition non autorisée de stupéfiants, offre et cession non autorisée de stupéfiants et participation à une association de malfaiteurs. M.A..., a été incarcéré à.compter du 24 août 2016, puis placé en rétention administrative, du 1er janvier 2018 au 29 janvier 2018 Cette mesure prise par le juge des libertés et de la détention a été confirmée par une ordonnance du premier président de la cour d'appel d'Amiens. Un arrêté du 18 octobre 2017 de la préfète de la Seine-Maritime, notifié le 2 novembre 2017, a aussi fait obligation à M. A...de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. Par un jugement avant-dire droit du 18 janvier 2018, dont la préfète de la Seine-Maritime relève appel, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen a, d'une part, jugé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité à la Constitution des dispositions du IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au motif que la cour administrative d'appel de Douai avait déjà procédé à cette transmission par un arrêt du 13 décembre 2017 et, d'autre part, a sursis à statuer sur la requête de M. A...jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé ou, s'il a été saisi, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité soulevée.
2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Aux termes du second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...). ". Aux termes de l'article 23-3 de la même ordonnance : " Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. (...). / La juridiction peut également statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence. (...). Aux termes de l'article R. 771-6 du code de justice administrative : " La juridiction n'est pas tenue de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause, par les mêmes motifs, une disposition législative dont le Conseil d'Etat ou le Conseil constitutionnel est déjà saisi. En cas d'absence de transmission pour cette raison, elle diffère sa décision sur le fond, jusqu'à ce qu'elle soit informée de la décision du Conseil d'Etat ou, le cas échéant, du Conseil constitutionnel ".
3. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées de l'article R. 771-6 du code de justice administrative et du troisième alinéa de l'article 23-3 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, que si la juridiction est en principe tenue de différer sa décision sur le fond dans le cas où une question prioritaire de constitutionnalité a déjà été transmise au Conseil d'Etat ou au Conseil constitutionnel, la juridiction peut statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence. La requête présentée par M.A..., tendant à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français prononcée à son encontre sur le fondement du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est au nombre de celles qui doivent être jugées dans un délai déterminé, fixé à soixante-douze heures par les dispositions du III de l'article L. 512-1 du même code. Dès lors, eu égard à ce délai de jugement contraint et à la situation d'urgence qui s'y attache, le premier juge n'était pas tenu de surseoir à statuer. La préfète de la Seine-Maritime est, dès lors, fondée à soutenir que c'est à tort, qu'au motif que la mise à exécution de l'obligation de quitter le territoire serait rendue possible en cas de jugement de rejet notamment pour tardiveté de la requête, le magistrat désigné par le président de tribunal administratif de Rouen, par le jugement attaqué a sursis à statuer.
4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...devant la juridiction administrative.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la préfète de la Seine-Maritime :
5. En vertu du II de l'article L 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif à la situation des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai, si l'étranger est placé en rétention, il est statué selon la procédure et le délai prévu au III de cet article. En vertu de ce texte, en cas de placement en rétention, l'étranger peut demander l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision fixant le pays de destination, de la décision interdisant le retour sur le territoire français dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification.
6. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 18 octobre 2017 de la préfète de la Seine-Maritime, faisant obligation à M. A...de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans, lui a été notifié le 2 novembre 2017 à 10h 15 à la maison d'arrêt de Rouen. La demande de M. A...tendant à l'annulation de cet arrêté a été enregistrée le 2 janvier 2018 au greffe du tribunal administratif de Rouen. La décision n° 2018-709 QPC du 1er juin 2018 du Conseil constitutionnel a reconnu l'inconstitutionnalité des termes " et dans les délais " du IV de l'article L. 512-1 précité relatif aux délais de recours et de jugement pour les étrangers incarcérés. Il résulte de cette décision, éclairée de son commentaire, qu'il y a lieu, à la suite de cette censure, applicable à toutes les instances non jugées définitivement à la date de la publication de ladite décision, soit le 2 juin 2018, de faire application des délais de droit commun, c'est-à-dire du délai de quarante-huit heures suivant la notification de l'arrêté en litige, fixé par le III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile. Par suite, la fin de non-recevoir opposée devant le tribunal administratif par la préfète de la Seine-Maritime, tirée de la tardiveté de la demande de M.A..., doit être accueillie.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a sursis à statuer sur la requête de M. A...jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé ou, s'il a été saisi, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité soulevée. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction de M. A...et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 12 janvier 2018 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif et les conclusions d'appel de M. A...sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B...A.compter du 24 août 2016, puis placé en rétention administrative, du 1er janvier 2018 au 29 janvier 2018
Copie en sera adressée pour information à la préfète de la Seine-Maritime.
1
5
N°18DA00340