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21/03/2019 | FRANCE | N°17DA00294

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 21 mars 2019, 17DA00294


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H...D...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 28 mai 2015 par laquelle le maire de la commune de Tilloy-lez-Cambrai l'a suspendu de ses fonctions de secrétaire de mairie à titre provisoire et de condamner la commune de Tilloy-lez-Cambrai à lui verser une indemnité de 25 983,97 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement n° 1505966 du 13 décembre 2016, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure deva

nt la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 février 2017, M. H...D..., représent...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H...D...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 28 mai 2015 par laquelle le maire de la commune de Tilloy-lez-Cambrai l'a suspendu de ses fonctions de secrétaire de mairie à titre provisoire et de condamner la commune de Tilloy-lez-Cambrai à lui verser une indemnité de 25 983,97 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement n° 1505966 du 13 décembre 2016, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 février 2017, M. H...D..., représenté par Me H...B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 28 mai 2015 par laquelle le maire de la commune de Tilloy-lez-Cambrai l'a suspendu de ses fonctions de secrétaire de mairie à titre provisoire ;

3°) de condamner la commune de Tilloy-lez-Cambrai à lui verser une indemnité de 25 983,97 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Tilloy-lez-Cambrai la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Hervé Cassara, premier conseiller,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- et les observations de Me H...B..., représentant M. H...D....

Considérant ce qui suit :

1. M.D..., rédacteur principal du 2ème grade, a été nommé, le 1er mars 2014, par voie de mutation au sein de la commune de Tilloy-lez-Cambrai afin d'exercer les fonctions de secrétaire de mairie. Par un arrêté du 28 mai 2015, le maire de la commune de Tilloy-lez-Cambrai l'a suspendu de ses fonctions. M. D...relève appel du jugement du 13 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et à la condamnation de la commune de Tilloy-lez-Cambrai à lui verser une indemnité de 25 983,97 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Sur la recevabilité des conclusions aux fins d'indemnisation fondées sur l'illégalité de la décision de prolongation de la mesure de suspension :

2. Il résulte de l'instruction qu'après avoir suspendu M. D... de ses fonctions par un arrêté du 28 mai 2015, le maire de la commune de Tilloy-lez-Cambrai a décidé de prolonger cette suspension par arrêté du 28 septembre 2015. Il résulte également de l'instruction que M. D...n'a pas contesté la légalité de ce dernier arrêté, et que sa demande indemnitaire présentée en première instance ne se rattachait qu'au fait générateur tiré de l'illégalité de la décision de suspension initiale du 28 mai 2015. Dès lors, M. D...ne peut, pour la première fois en appel, demander réparation de préjudices se rattachant au fait générateur tiré de l'illégalité de la prolongation de la mesure suspension, qui diffère du fait générateur tiré de l'illégalité de la décision de suspension du 28 mai 2015 seul invoqué dans la demande de première instance. Il s'ensuit que ses conclusions indemnitaires se rattachant à l'illégalité de la prolongation de la mesure suspension sont nouvelles en appel et, dès lors, irrecevables. Elles doivent, par suite, être rejetées.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Si M. D...soutient que le tribunal administratif de Lille a omis de répondre au moyen tiré de l'illégalité de la décision de prolongation de la suspension de fonctions dont il a été l'objet, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait soulevé un tel moyen en première instance. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation de la décision du 28 mai 2015 :

4. Aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dans sa rédaction applicable au présent litige : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions. / Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions peut subir une retenue qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée à l'alinéa précédent. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille ".

5. En premier lieu, les dispositions citées au point 4, qui ont imparti à l'administration un délai de quatre mois pour statuer sur le cas d'un fonctionnaire ayant fait l'objet d'une mesure de suspension, ont pour objet de limiter les effets dans le temps de cette mesure sans qu'aucun texte, en vigueur à la date de la décision attaquée, n'enferme dans un délai déterminé l'exercice de l'action disciplinaire ni même fasse obligation à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'engager une procédure disciplinaire. Ainsi, le délai dans lequel l'instance disciplinaire est saisie est sans incidence sur la légalité d'une première mesure de suspension, qui s'apprécie au seul vu des circonstances de fait et de droit existant à la date de son édiction. M. D... n'est donc pas fondé à soutenir que, faute d'avoir immédiatement engagé la procédure disciplinaire à son encontre, l'autorité disciplinaire aurait entaché d'illégalité la décision par laquelle il a prononcé sa suspension.

6. En deuxième lieu, la mesure de suspension en litige ne constitue pas une sanction disciplinaire mais une mesure à caractère conservatoire, prise dans le souci de préserver l'intérêt du service, qui n'exige pas que le fonctionnaire qui en fait l'objet soit mis à même de présenter au préalable sa défense. Par suite, le moyen tiré de ce que le maire l'aurait suspendu de ses fonctions sans l'entendre préalablement et l'avoir mis à même de se défendre ne peut qu'être écarté.

7. En troisième lieu, la suspension prise sur le fondement des dispositions citées au point 4 peut être prononcée lorsque les faits imputés à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité. Eu égard à la nature de l'acte de suspension prévu par ces mêmes dispositions et à la nécessité d'apprécier, à la date à laquelle cet acte a été pris, la condition de légalité tenant au caractère vraisemblable de certains faits, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de statuer au vu des informations dont disposait effectivement l'autorité administrative au jour de sa décision. Les éléments nouveaux qui seraient, le cas échéant, portés à la connaissance de l'administration postérieurement à sa décision, ne peuvent ainsi, alors même qu'ils seraient relatifs à la situation de fait prévalant à la date de l'acte litigieux, être utilement invoqués au soutien d'un recours en excès de pouvoir contre cet acte.

8. Il ressort des pièces du dossier que pour prendre la décision en litige, le maire a statué au vu de la plainte de Mme G...déposée le 27 mai 2015 dénonçant des faits de harcèlement dont elle aurait été victime de la part de M.D.... Elle y indique notamment que " depuis six mois environ, son comportement vis-à-vis [d'elle] est oppressant, ce dernier se rapproche [d'elle], essayant parfois de [la] bloquer contre des placards ou à la photocopieuse ". Elle précise : " ce ne sont pas forcément des avances verbales mais il me parle de près, se rapproche souvent de moi, me sollicite constamment dans le travail sur des choses où j'estime qu'il est compétent, de manière à avoir toujours une bonne raison de se rapprocher de moi ". Elle relate ensuite un incident, s'étant déroulé la veille du dépôt de plainte, à la médiathèque " alors qu'en tant que secrétaire de mairie il aurait dû être à la mairie ". Elle dénonce " une attitude encore plus étrange " de M. D...à son égard, " que voyant un cahier de suggestions, il lui dit " qu'il aurait bien une suggestion à faire, puis voyant un livre s'intitulant " la liste de mes envies ", qu'il le lirait bien ". Il lui aurait dit " vouloir passer l'après-midi avec [elle] " et qu' " il s'agit vraiment d'allusions tordues de sa part ". Elle relate ensuite un autre fait à la fin de cette même journée alors qu'elle regagnait son domicile en voiture : " j'ai remarqué que M. D...m'avait attendu et me suivait avec son véhicule de marque Volkswagen Tiguan, j'ai dû détourner ma route de mon trajet de domicile, et ce n'est qu'à ce moment qu'il a arrêté de me suivre ". Enfin, en réponse à une question du gardien de la paix qui a pris sa déposition, elle précise : " oui je l'ai déjà repoussé et lui ai demandé qu'il arrête ses sollicitations dans le travail qui n'ont de but que de se rapprocher de moi ". Le maire a également pris sa décision au regard d'un rapport d'incident daté du 26 mai 2015 établi par un employé de mairie, M. C...E..., qui témoigne avoir été appelé par Mme G..." en état de choc ", laquelle lui a indiqué avoir été suivie en voiture par M. D...alors qu'elle rentrait chez elle et également que M. D..." aurait essayé de la bloquer contre un placard " l'après-midi de cette même journée et que " ce n'était pas la première fois ". Le maire disposait enfin d'une attestation datée du 26 mai 2015 de Mme A...F..., conseillère municipale, responsable de la médiathèque et déléguée à la culture, au terme de laquelle elle relate des faits que lui a confiés Mme G... sur l'incident de la médiathèque (" Il essaye de s'approcher de plus en plus dès qu'elle se déplace sur la photocopieuse ou l'armoire ", " il se tient toujours derrière elle, il lui fait des insinuations et lorsqu'elle ne répond pas, il va jusqu'à la provoquer, lui faisant comprendre qu'elle n'est qu'en contrat ") et elle témoigne aussi de ce que " Mme G...s'était confiée à elle il y a plusieurs mois " et que Mme G...n'a pas donné suite à ses conseils " pensant qu'avec le temps il se fatiguerait et laisserait tomber " et aussi " par peur des représailles ". Dès lors, au vu des informations ainsi portées à sa connaissance, dont il disposait effectivement au jour de sa décision, le maire de la commune de Tilloy-lez-Cambrai a pu estimer que les faits imputés à M. D... revêtaient, à la date de cette décision, un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et n'a, par suite, pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires en prenant la mesure de suspension en litige. En outre, pour les motifs exposés au point 7, il n'y a pas lieu de tenir compte des circonstances postérieures à la décision attaquée dont se prévaut M. D...tirées de ce que l'autorité disciplinaire n'a pas pris de sanction à son égard, de ce que la plainte pénale a été classée sans suite, ou encore des attestations de son entourage professionnel en sa faveur.

9. En quatrième lieu, si M. D...fait valoir que la décision en litige est entachée d'une erreur de droit au motif que, dans une lettre du 3 décembre 2015, le maire de la commune de Tilloy-lez-Cambrai lui a indiqué qu'il a été suspendu " au titre de l'article L. 4121-3 du code du travail et de l'article 2-1 du décret 85-603 du 10 juin 1985 modifié créé par décret n° 2000-542 du 16 juin 2000 - art. 2 ", cette circonstance est sans influence sur la légalité de la décision de suspension du 28 mai 2015 en litige, laquelle est fondée, ainsi que le montrent notamment ses visas, sur les dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 mentionnées au point 4. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.

10. En cinquième lieu, le moyen tiré de l'illégalité de la prolongation de la suspension de fonctions est inopérant à l'encontre de la décision de suspension initiale du 28 mai 2015 dont la légalité s'apprécie à cette date et ne peut, par suite, qu'être écarté.

11. En dernier lieu, si M. D...fait valoir que la décision contestée a eu pour seul objet de l'évincer du service dès lors qu'il existait une inimitié notoire entre le maire et lui et qu'il régnait un climat délétère au sein de la mairie, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision de suspension en litige, motivée par le comportement de l'appelant, aurait été décidée pour de tels motifs, étrangers à l'intérêt du service, malgré la circonstance que le maire aurait pu, il est vrai, s'abstenir d'afficher la décision attaquée sur la porte d'entrée de la mairie. Dès lors, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi et le moyen doit, par suite, être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 28 mai 2015 doivent être rejetées.

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'indemnisation fondées sur l'illégalité de la décision de suspension du 28 mai 2015 :

13. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 12 que la décision du 28 mai 2015 par laquelle le maire de la commune de Tilloy-lez-Cambrai a suspendu M. D...de ses fonctions n'est pas entachée d'illégalité. Il s'ensuit que M. D...n'est pas fondé à soutenir que la commune de Tilloy-lez-Cambrai a commis une faute résultant de cette illégalité, et ses conclusions aux fins d'indemnisation qui se rattachent à ce fait générateur doivent, par suite, être rejetées.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. H...D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Tilloy-lez-Cambrai, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M.D..., au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D... la somme demandée par la commune de Tilloy-lez-Cambrai au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Tilloy-lez-Cambrai présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. H...D...et la commune de Tilloy-lez-Cambrai.

Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17DA00294
Date de la décision : 21/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-09-01 Fonctionnaires et agents publics. Discipline. Suspension.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Hervé Cassara
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : MEYER VERVA DUPONT LEZAN GUERIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-03-21;17da00294 ?
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