Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F...A...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 15 mai 2018 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer la carte de résident qu'implique la reconnaissance du statut de réfugié, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 1805105 du 5 juillet 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il a obligé Mme A...à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et qu'il a fixé le pays de destination.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 août 2018, le préfet du Nord demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement, en tant qu'il a annulé les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi ;
2°) de rejeter les conclusions de la demande dirigées contre l'arrêté du 15 mai 2018 en tant qu'il a obligé Mme A...à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et qu'il a fixé le pays de destination.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jimmy Robbe, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. MmeA..., ressortissante albanaise née le 16 juin 1971, déclare être entrée en France le 3 octobre 2016. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 28 février 2017, et par la Cour nationale du droit d'asile le 20 septembre 2017. Sa demande de réexamen a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 9 novembre 2017 et par la Cour nationale du droit d'asile le 16 avril 2018. Par un arrêté du 15 mai 2018, le préfet du Nord a refusé de délivrer à Mme A...la carte de résident qu'implique la reconnaissance du statut de réfugié, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 5 juillet 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi. Le préfet du Nord relève appel de ce jugement, en tant qu'il a annulé ces décisions. Par la voie de l'appel incident, Mme A...relève appel de ce même jugement en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour.
Sur la décision de refus de séjour :
2. Par un arrêté du 19 mars 2018, régulièrement publié au recueil spécial des actes du département du même jour, le préfet du Nord a donné délégation à Mme B...C..., attachée principale d'administration de l'Etat, directrice adjointe de l'immigration et de l'intégration, signataire de l'arrêté en litige, à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement de M. E..., directeur de l'immigration et de l'intégration, les décisions reprises à l'article 1er de cet arrêté, qui liste un certain nombre de décisions parmi lesquelles se trouvent notamment les décisions refusant un titre de séjour, celles portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas allégué, que M. E... n'aurait pas été absent ou empêché. Mme C... était ainsi compétente pour signer toutes les décisions contestées, en dépit des éventuelles incohérences qui entacheraient d'autres articles de l'arrêté. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige doit ainsi être écarté.
3. Aux termes de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'office, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la cour statuent. ". L'article L. 743-3 de ce code dispose que : " L'étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé ou qui ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2 et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre doit quitter le territoire français, sous peine de faire l'objet d''une mesure d'éloignement prévue au titre Ier du livre V et, le cas échéant, des pénalités prévues au chapitre Ier du titre II du livre VI. ". Aux termes du III de l'article R. 723-19 du même code : " La date de notification de la décision de l'office et, le cas échéant, de la Cour nationale du droit d'asile qui figure dans le système d'information de l'office et est communiquée au préfet compétent et au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration au moyen de traitements informatiques fait foi jusqu'à preuve du contraire ".
4. Le préfet du Nord a produit devant le tribunal administratif le relevé des informations figurant dans la base de données " Telemofpra ", tenue par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et relative à l'état des procédures de demandes d'asile, attestant que la décision de la Cour nationale du droit d'asile du 16 avril 2018 a été notifiée à Mme A...le 20 avril 2018. L'intéressée n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause l'exactitude des mentions portées dans cette application informatique, qui font foi jusqu'à preuve du contraire. Dès lors, le préfet justifie de la notification régulière de la décision de la Cour nationale du droit d'asile à MmeA..., antérieurement à la date de la décision contestée portant obligation de quitter le territoire français sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point précédent doit être écarté.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme A...n'est pas fondée à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision refusant de lui délivrer la carte de résident qu'implique la reconnaissance du statut de réfugié.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille :
6. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 2, le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a retenu le moyen tiré de l'incompétence de leur signataire pour annuler ses décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
7. Il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A...devant la juridiction administrative à l'encontre des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
En ce qui concerne les autres moyens :
8. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / (...) / 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / (...) ". MmeA..., à qui a été refusée la reconnaissance de la qualité de réfugiée et le bénéfice de la protection subsidiaire dans les conditions rappelées au point 1, n'était pas titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. Ainsi, elle entrait dans le cas prévu par le 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où le préfet peut obliger un étranger à quitter le territoire français.
9. Le droit d'être entendu, qui relève des droits de la défense figurant au nombre des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l'ordre juridique de l'Union européenne et consacrés par la Charte des droits fondamentaux, implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois, dans le cas prévu au 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du refus de titre de séjour. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, ni sur la décision fixant le pays de destination de son éloignement qui l'accompagne, dès lors qu'il a pu être entendu avant que n'intervienne la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour.
10. Lorsqu'il sollicite l'asile, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement, ainsi qu'il a été dit au point 9. A l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de titre de séjour, n'impose pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination qui sont prises concomitamment et en conséquence du refus de titre de séjour. Mme A... n'est dès lors pas fondée à soutenir, en tout état de cause, que l'arrêté en litige, en tant qu'il l'oblige à quitter le territoire français, est entaché d'un vice de procédure à ce titre.
11. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour doit être écarté.
12. Mme A...est entrée très récemment en France. Elle n'établit pas être dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine, où elle a vécu au moins jusqu'à l'âge de quarante-cinq ans. Elle n'apporte aucune précision sur l'intensité des liens personnels qu'elle aurait tissés sur le territoire français. Si ces trois enfants sont scolarisés en France, Mme A...n'établit pas que cette scolarisation ne pourrait se poursuivre en Albanie. Mme A...n'est ainsi pas fondée à soutenir que le préfet du Nord aurait, en l'obligeant à quitter le territoire français, porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni qu'il aurait méconnu l'intérêt supérieur de ses enfants, en méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Pour les mêmes raisons, elle n'est pas davantage fondée à soutenir que le préfet du Nord aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
13. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et 12 que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité des décisions portant refus de délivrance d'un titre de séjour et obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
14. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné a, par l'article 2 du jugement attaqué, annulé les décisions du 15 mai 2018 portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
15. Le présent arrêt, qui annule l'article 2 du jugement attaqué ayant annulé les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi, et qui rejette les conclusions dirigées contre la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour, n'implique aucune mesure d'exécution. Les conclusions d'appel incident présentées par MmeA..., tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, doivent dès lors être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme au conseil de Mme A...au titre des frais exposés à l'occasion du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement du 5 juillet 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : L'appel incident de Mme A...et sa demande présentée devant le tribunal administratif de Lille, tendant à l'annulation de la décision du préfet du Nord refusant de lui délivrer la carte de résident qu'implique la reconnaissance du statut de réfugié et à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêté sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme F...A...et à Me G...D....
Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.
N°18DA01668 6