Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL Agapi a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune du Trait a rejeté sa demande de retrait de la décision du 1er juillet 2014 prononçant la résiliation du marché conclu le 24 décembre 2013, ensemble la décision du 1er juillet 2014 et de condamner la commune du Trait à lui verser la somme de 385 124,65 euros à titre de dommages-intérêts.
Par un jugement n° 1404043 du 10 mai 2016, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2016, et un mémoire en réplique, enregistré le 1er juin 2018, la SARL Agapi, représentée par Me A...de la Brosse, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la commune du Trait à lui verser la somme de 382 724,68 euros toutes taxes comprises, en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation qu'elle estime injustifiée du marché public de réservation de quinze places dans une structure multi-accueil de la petite enfance ;
3°) de mettre à la charge de la commune du Trait la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice ;
4°) de mettre les entiers dépens à la charge de la commune du Trait.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- l'arrêté du 19 janvier 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue d'une consultation lancée par la commune du Trait en septembre 2013 pour la réservation de quinze places dans une structure multi-accueil de la petite enfance, le marché correspondant a été attribué à la société Agapi le 24 décembre 2013. Une première réunion du comité de pilotage du projet s'est tenue le 28 janvier 2014 et, par une délibération du 25 février 2014, le conseil municipal de la commune a autorisé le maire à procéder à l'acquisition d'un terrain pour permettre l'implantation de la structure ainsi qu'une voie de circulation et un parc de stationnement. Toutefois, par une délibération du 1er juillet 2014, le conseil municipal du Trait a autorisé le maire à résilier le marché pour motif d'intérêt général, au motif que la commune n'était plus en mesure de financer le projet. Par une décision du 3 juillet 2014, le maire de la commune du Trait a ensuite notifié à la société Agapi la résiliation du marché. Le 15 juillet 2014, la société Agapi a présenté au maire une demande d'indemnisation à hauteur de 476 878,85 euros en raison du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la résiliation du marché. En retour, la commune du Trait a adressé le 18 septembre 2014 à la société Agapi le décompte de résiliation conduisant au paiement d'une indemnité globale de 91 750,20 euros à la société Agapi composée, d'une part, d'une indemnité de résiliation du marché à hauteur de 5% du montant total hors taxes du marché, soit 35 700 euros et, d'autre part, d'une somme de 56 054,20 euros correspondant aux dépenses engagées et justifiées par la société Agapi. La société Agapi relève appel du jugement du 10 mai 2016 en tant que le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune du Trait à lui verser la somme de 385 124,65 euros à titre de dommages-intérêts, qu'elle ramène à la somme de 382 724,68 euros toutes taxes comprises en cause d'appel.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Si la SARL Agapi soutient que le jugement attaqué est entaché d'un défaut de motivation, dès lors que le tribunal administratif de Rouen a omis de se prononcer sur son argumentation contestant la réalité du motif d'intérêt général invoqué par la commune du Trait pour justifier la résiliation du marché, il résulte toutefois des termes mêmes du jugement attaqué, en particulier de son point 6, que le tribunal a expressément jugé qu'en tout état de cause, les difficultés budgétaires mises en avant par la commune, dont il a rappelé les éléments essentiels, suffisent à établir la réalité du motif d'intérêt général invoqué. En outre, au vu de l'argumentation de la SARL Agapi, peu détaillée sur ce point en première instance, le tribunal administratif de Rouen, qui n'était au demeurant pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a pu, sans entacher son jugement d'irrégularité, relever que ces difficultés budgétaires n'étaient pas non plus sérieusement contestées par la SARL Agapi, après avoir relevé que cette dernière ne formulait, à l'appui de ses conclusions indemnitaires, aucun moyen permettant de remettre en cause le bien-fondé de la mesure de résiliation pour motif d'intérêt général. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Tout d'abord, contrairement à ce que soutient la SARL Agapi, les difficultés financières rencontrées par une personne publique peuvent constituer un motif d'intérêt général de nature à justifier la résiliation d'un contrat administratif. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.
4. Ensuite, pour établir la réalité des difficultés financières qu'elle rencontre, la commune du Trait justifie de la baisse de la dotation globale de fonctionnement, constante depuis 2010 mais substantiellement plus importante pour les années 2014 et 2015, de la baisse des bases fiscales entre 2013 et 2014 résultant notamment de la fermeture d'une entreprise sur le territoire de la commune, de l'absence de remboursement d'une avance d'un montant de 1,5 millions d'euros qu'elle a consentie pour la réalisation de la zone d'aménagement concerté de la Haute ville, qui n'a été portée à la connaissance du conseil municipal de la commune qu'en mai 2014, de la situation précaire des finances de la commune révélée notamment par les conclusions d'un audit financier réalisé à sa demande par un cabinet extérieur en novembre 2014, ainsi que du fait qu'elle a été contrainte, pour les mêmes motifs, d'abandonner un projet de construction de logements sociaux par une délibération du 19 décembre 2014, entraînant la résiliation de la convention qu'elle avait conclue à cette fin avec l'office public de l'habitat du département de la Seine-Maritime. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la commune doit être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme justifiant de la réalité des difficultés financières constituant le motif d'intérêt général qu'elle invoque au soutien de la résiliation du marché qu'elle a conclu avec la SARL Agapi, nonobstant la double circonstance, dont la SARL Agapi fait état, tirée de ce que ces difficultés financières existaient déjà partiellement lors de la conclusion du marché et du changement de municipalité à la suite des élections du mois de mars 2014. Par suite, le moyen tiré de l'absence de motif d'intérêt général justifiant la résiliation du marché doit être écarté.
5. En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique peut toujours, pour un motif d'intérêt général, résilier un contrat, sous réserve des droits à indemnité du cocontractant. L'étendue et les modalités de cette indemnisation peuvent être déterminées par les stipulations du contrat, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment d'une personne publique, une disproportion manifeste entre l'indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le cocontractant, des dépenses qu'il a exposées et du gain dont il a été privé. Ce principe, découlant de l'interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités, ne s'appliquant pas aux personnes privées, rien ne s'oppose en revanche à ce que ces stipulations prévoient une indemnisation inférieure au montant du préjudice subi par le cocontractant privé de l'administration.
6. L'article 11 du cahier des clauses administratives particulières du marché en litige prévoit qu'en cas de résiliation pour motif d'intérêt général, l'indemnisation du titulaire est obtenue en appliquant au montage initial hors taxes du marché, diminué du montant hors taxes non révisé des prestations reçues, un pourcentage fixé à 5%. L'article 2 du même cahier renvoie au cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et services, dans sa version résultant de l'arrêté du 19 janvier 2009 visé ci-dessus, et dont l'article 29 prévoit que le pouvoir adjudicateur peut mettre fin, à tout moment, à l'exécution des prestations pour un motif d'intérêt général. En vertu de l'article 33 du cahier des clauses administratives générales précité, le titulaire a droit, outre l'indemnité de résiliation précitée, à être indemnisé de la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n'aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées, à charge pour le titulaire d'apporter toutes les justifications nécessaires à la fixation de cette partie de l'indemnité dans un délai de quinze jours après la notification de la résiliation du marché. Ce même article précise aussi que ces indemnités sont portées au décompte de résiliation, sans que le titulaire ait à présenter une demande particulière à ce titre. Dans ces conditions, la SARL Agapi est seulement fondée à demander le bénéfice des stipulations de l'article 11 du cahier des clauses administratives particulières et de l'article 33 du cahier des clauses administratives générales qui déterminent l'étendue de ses droits à indemnisation compte tenu de la résiliation du marché en litige pour motif d'intérêt général. Dès lors, la demande de la SARL Agapi tendant à être indemnisée du manque à gagner résultant des pertes d'exploitation sur la durée du marché, qu'elle évalue à la somme de 378 854 euros, dont l'indemnisation n'est pas prévue par les stipulations mentionnées ci-dessus, ne peut être accueillie.
7. Le décompte de résiliation du marché, établi par la commune du Trait, fixe à 35 700 euros le montant de l'indemnité de résiliation due à la SARL Agapi en application des stipulations de l'article 11 du cahier des clauses administratives particulières, et à 56 054,20 euros le montant de l'indemnité correspondant aux frais et investissements que celle-ci a engagés pour le marché et qui sont strictement nécessaires à son exécution, en application des stipulations mentionnées ci-dessus de l'article 33 du cahier des clauses administratives générales. La SARL Agapi fait valoir que cette dernière somme ne tient pas compte, à tort, de certains frais qu'elle a exposés au titre du marché en litige. Toutefois, d'une part, à défaut de produire, encore en cause d'appel, la preuve du paiement effectif du montant de 18 753,28 euros toutes taxes comprises que lui a réclamé la société XXM architectures au titre de l'indemnité de résiliation du contrat d'architecture conclu avec cette dernière dans le cadre de l'exécution du marché en litige, la société Agapi n'établit pas la réalité de son préjudice et n'est, ainsi, pas fondée à demander que cette somme soit mise à la charge de la commune du Trait. D'autre part, la SARL Agapi n'établit pas que les frais d'essence et de péage qu'elle a exposés pour des déplacements vers d'autres communes que celle du Trait, à hauteur de 369,40 euros, auraient été nécessaires à l'exécution des missions qui lui étaient assignées par le marché résilié. Enfin, elle ne démontre pas davantage que les deux factures correspondant aux journées de travail de ses dirigeants, pour un montant respectif de 11 808 euros et 8 640 euros, n'auraient pas déjà été réglées par la commune avec l'ensemble des prestations exécutées avant la résiliation du marché. Par suite, compte tenu des pièces justificatives qu'elle produit, il ne résulte pas de l'instruction que la SARL Agapi n'aurait pas été indemnisée par la commune du Trait de l'ensemble des frais et investissements qu'elle a engagés pour le marché et qui sont strictement nécessaires à son exécution.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Agapi n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Sur les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune du Trait, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que réclame la société Agapi au titre des frais non compris dans les dépens exposés par celle-ci. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Agapi la somme de 1 500 euros à verser à la commune du Trait au titre des frais non compris dans les dépens exposés par celle-ci. Enfin, la présente instance n'ayant généré aucuns dépens, les conclusions de la SARL Agapi tendant à ce que les entiers dépens soient mis à la charge de la commune du Trait ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Agapi est rejetée.
Article 2 : La SARL Agapi versera à la commune du Trait la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Agapi et à la commune du Trait.
N°16DA01280 2