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20/12/2018 | FRANCE | N°15DA01375

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 20 décembre 2018, 15DA01375


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société SMA, subrogée dans les droits de la société Eure aménagement développement (EAD), a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner solidairement les sociétés l'Atelier Penneron, Socotec, Ligne Be, Charpente menuiserie Leduc et Cruchon à lui verser une somme de 155 639,69 euros toutes taxes comprises (TTC) en remboursement des indemnités contractuelles versées au titre de désordres affectant le Château Keller, à Bourghteroulde-Infreville.

Par un jugement n° 1301656 du 16

juin 2015, le tribunal administratif de Rouen a donné acte du désistement de la socié...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société SMA, subrogée dans les droits de la société Eure aménagement développement (EAD), a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner solidairement les sociétés l'Atelier Penneron, Socotec, Ligne Be, Charpente menuiserie Leduc et Cruchon à lui verser une somme de 155 639,69 euros toutes taxes comprises (TTC) en remboursement des indemnités contractuelles versées au titre de désordres affectant le Château Keller, à Bourghteroulde-Infreville.

Par un jugement n° 1301656 du 16 juin 2015, le tribunal administratif de Rouen a donné acte du désistement de la société SMA de ses conclusions dirigées contre la société Ligne Be. Il a condamné solidairement les sociétés l'Atelier Penneron, Socotec, Charpente menuiserie Leduc et Cruchon à verser à la société SMA la somme de 137 700 euros et a fait partiellement droit aux appels en garantie en fixant les parts de responsabilité respectives à 15 % pour la société Socotec, 10 % pour la société Charpente menuiserie Leduc, 10 % pour la société Cruchon, représentée par MeC..., son mandataire-liquidateur et 65 % pour la société Penneron.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 août 2015, la société Socotec France, anciennement dénommée Socotec, représentée par Me A...B..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Rouen du 16 juin 2015 en tant qu'il a prononcé une condamnation à son encontre ;

2°) de rejeter les conclusions de la société SMA dirigées contre elle ;

3°) subsidiairement, de condamner la société l'Atelier Penneron, la société Cruchon et la société Charpente Leduc à la garantir entièrement des condamnations prononcées contre elle ;

4°) de mettre à la charge solidaire des parties perdantes le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

-le rapport de Mme Valérie Petit, président-assesseur,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Eure aménagement développement (EAD) est intervenue en qualité de maître d'ouvrage délégué pour le compte de la commune de Bourghteroulde-Infreville dans le cadre des travaux de restructuration d'un immeuble appartenant à cette commune, le " château Keller ", afin de le transformer en école de musique. La maîtrise d'oeuvre du projet a été confiée à la société l'Atelier Penneron, architecte, et à la société Ligne Be, bureau d'études technique. La société Socotec a été choisie comme bureau de contrôle technique. Les sociétés Charpente menuiserie Leduc et Cruchon ont respectivement été désignées attributaires des lots " charpente bois " et " doublage " (isolation phonique) du marché. Les travaux ont été interrompus entre février et septembre 2009, en raison du placement en liquidation judiciaire de la société Cruchon. Lors de la reprise des travaux, la présence de mérule, champignon lignivore, a été observée, en avril 2010, dans deux pièces. La société SMA, en sa qualité d'assureur de la société EAD, agissant en tant que mandataire de la commune, a demandé et obtenu du président du tribunal administratif de Rouen la désignation d'un expert chargé de constater la nature des désordres et d'en vérifier l'origine. L'expert a rendu son rapport d'expertise le 18 novembre 2013. La société SMA, invoquant sa qualité de subrogée dans les droits de la société EAD, a ensuite demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner solidairement, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, les sociétés l'Atelier Penneron, Socotec, Ligne Be, Charpente menuiserie Leduc et Cruchon à réparer les préjudices causés à l'immeuble. Par un jugement du 16 juin 2015, le tribunal administratif de Rouen a donné acte du désistement de la société SMA de ses conclusions dirigées contre la société Ligne B, a condamné solidairement les sociétés l'Atelier Penneron, Socotec, Charpente menuiserie Leduc et Cruchon à verser à la société SMA la somme de 137 700 euros et a fait droit aux appels en garantie en fixant les parts de responsabilité respectives à 15 % pour la société Socotec, 10 % pour la société Charpente menuiserie Leduc, 10% pour la société Cruchon, représentée par MeC..., son mandataire-liquidateur et 65 % pour la société l'Atelier Penneron. La société Socotec relève appel du jugement. Des conclusions d'appel incident et d'appel provoqué sont présentées par la société SMA et par la société Atelier Penneron.

Sur la régularité du jugement :

2. La société Socotec soutient que le tribunal administratif n'a pas répondu à l'ensemble des moyens qu'elle avait soulevés pour contester le principe de sa responsabilité. Toutefois, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à chacun des arguments de la société, n'a pas omis de répondre aux moyens soulevés en défense. Par suite, le jugement n'est pas irrégulier.

Sur la responsabilité contractuelle des parties :

3. La société Socotec et la société l'Atelier Penneron soutiennent qu'il n'existe aucun lien entre les prestations qui leur ont été confiées et l'apparition de la mérule, le développement de ce champignon résultant selon elles d'une cause extérieure.

4. L'expert a, certes, relevé dans son rapport que la présence de mérules dans la partie centrale du château avait pour origine la forte humidité de la zone concernée, laquelle résultait, principalement, de la fuite d'une descente d'eaux pluviales, survenue à une date indéterminée et à laquelle il n'a été mis fin que début 2011. Il n'est donc pas exclu que le champignon soit apparu pendant la phase d'interruption des travaux, en 2009. Toutefois, l'expert a indiqué que l'état de la façade du bâtiment ancien révélait qu'il avait subi, par le passé, des infiltrations d'eau, de sorte que le risque d'apparition de champignons devait être regardé comme connu " avant et pendant " le chantier. Le rapport indique aussi que la société Charpente menuiserie Leduc avait remplacé, en 2008, des pieds de ferme atteints d'une pourriture cubique et qu'elle avait réalisé un traitement fongicide et insecticide de ces parties de charpente, ce qui attestait de la fragilité du bâtiment en termes d'humidité et de développement de champignons ou d'insectes. L'expert a, encore, relevé que le développement du champignon lignivore avait été favorisé par le confinement des cloisons, effectué en juillet 2008.

5. Or, la société Socotec était investie, en sa qualité de bureau de contrôle technique, d'une mission " LE ", qui vise à garantir la solidité des constructions existantes dans le cadre des opérations de rénovation, réhabilitation ou transformation. Elle n'avait certes pas à réaliser elle-même un diagnostic des ouvrages existants, mais devait, au terme de son examen visuel de l'immeuble, dont la sensibilité à l'humidité était manifeste, informer le maître d'ouvrage et maître d'oeuvre du risque de développement de champignons lignivores et de l'utilité de faire procéder sur ce point à un diagnostic préalable aux travaux. Le maître d'ouvrage délégué avait d'ailleurs relevé, en février 2006, dans sa " note de présentation du projet ", que l'équipement rencontrait de nombreux problèmes de fuites d'eau au niveau de la toiture, et la société Socotec n'ignorait pas que la présence de pourriture cubique à l'intérieur du bâtiment avait été constatée en 2008. Elle n'a, cependant, formulé aucune observation sur le risque de prolifération de champignons lignivores. Dans ces conditions, et comme l'ont estimé à bon droit les premiers juges, ces carences ont contribué aux dommages et engagent sa responsabilité contractuelle.

6. La mission de la société l'Atelier Penneron ne se bornait pas à la conception et à la surveillance de travaux de décoration ou d'embellissement, dès lors qu'il résulte des documents contractuels que la réhabilitation du bâtiment en vue d'un usage d'école de musique impliquait notamment le réaménagement de l'espace intérieur, le renforcement des plafonds et planchers, notamment au niveau des solives, des travaux électriques et de chauffage ainsi que l'installation de cloisons acoustiques destinées à doubler les boiseries. De tels travaux ne pouvaient être exécutés dans les règles de l'art qu'après la vérification de l'état des matériaux existants sauvegardés. Or, la société l'Atelier Penneron n'a fait procéder à aucun diagnostic portant sur la présence de champignons lignivores préalablement à l'exécution des travaux, ni en cours de chantier, alors même que le contenu de la note de présentation du projet, mentionnée ci-dessus, aurait dû l'alerter. La présence de pourriture cubique, constatée sur certains pieds de ferme au cours des travaux aurait dû également attirer son attention. Enfin, le type d'isolation des parois retenu ou validé par la société l'Atelier Penneron a produit un effet de confinement qui a favorisé la prolifération des mérules. Ainsi, les carences ou erreurs du maître d'oeuvre, si elles ne sont pas à l'origine directe de l'apparition de la mérule, ont favorisé le développement de ce champignon. Par suite, la responsabilité contractuelle de la société l'Atelier Penneron est également engagée.

7. Dans la mesure où les manquements contractuels mentionnés ci-dessus ont contribué concurremment aux dommages, les premiers juges ont pu prononcer, à bon droit, une condamnation solidaire.

8. La société EAD conteste, par la voie de l'appel incident, le jugement en tant qu'il a retenu une faute du maître d'ouvrage et du maître d'ouvrage délégué. Toutefois, il résulte de l'instruction que la société EAD avait signalé elle-même la sensibilité du bâtiment à l'humidité, en 2006. Dans ces conditions, le maître d'ouvrage et son maître d'ouvrage délégué ont eux-mêmes fait preuve d'imprudence, en ne prévoyant aucune mesure visant à prévenir le risque de développement de champignons lignivores avant le début des travaux. Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont laissé à la charge de la société SMA, en tant qu'elle est subrogée dans les droits du maître d'ouvrage, 10 % du montant des désordres.

Sur le préjudice :

9. Le montant du préjudice subi par la commune n'est pas contesté en appel. Compte tenu de la subrogation de la société SMA dans les droits de la société EAD et de ce qui a été dit au point 8 ci-dessus, c'est à bon droit que le tribunal administratif a condamné solidairement les sociétés l'Atelier Penneron et Socotec à verser à la société SMA 90 % du montant de 153 000 euros, soit 137 700 euros.

Sur le partage des responsabilités :

10. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 5 et 6 ci-dessus et de la nature des carences ou erreurs commises par le maître d'oeuvre et par le contrôleur technique, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation des faits de l'espèce en retenant une part de responsabilité de 65 % pour la société l'Atelier Penneron et une part de responsabilité de 15 % pour la société Socotec.

11. Il résulte de tout ce qui précède que ni la société Socotec, ni les autres parties, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de leurs conclusions, ne sont fondées à demander la réformation du jugement. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1 : La requête de la société Socotec est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel incident et d'appel provoqué présentées par la société SMA et par la société l'Atelier Penneron sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Socotec, à la société SMA, à la société l'Atelier Penneron, à la société Eure aménagement développement (EAD), à la société Ligne Be, à la société Charpente menuiserie Leduc et au mandataire-liquidateur de la société Cruchon.

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N°15DA01375


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15DA01375
Date de la décision : 20/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01 Marchés et contrats administratifs. Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: Mme Valérie Petit
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : CABINET DRAGHI-ALONSO MELLA

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-12-20;15da01375 ?
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